Intervention de Jean-Marc Torrollion

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 12h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Jean-Marc Torrollion, président de la Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM) :

Je parlerai spécifiquement de l'accès au logement. Je précise que je travaille en Isère où nous gérons 11 000 logements en location en Rhône-Alpes et réalisons une importante activité de transactions et de syndics de copropriétés.

Au préalable, je rappelle que, chez les Français, l'immobilier représente une valeur très affective. En effet, la peur du déclassement d'un bien dans un quartier est réelle et conduit parfois à des demandes et à des comportements motivés par la crainte que le bien peut être dévalué au gré de l'évolution d'un quartier.

Les professionnels de l'immobilier sont soumis à diverses pressions de la part du président de conseil syndical qui demande de ne pas louer un appartement à des gens de couleur ; d'un futur locataire qui regarde les noms sur les boîtes aux lettres de l'immeuble ; ou d'un propriétaire qui ne souhaite pas que l'on ne donne son bien à bail à certaines personnes.

Nous sommes en quelque sorte les filtres républicains de cet ensemble et le logement constitue un point d'orgue de la crispation globale de la société.

Lorsque nous sommes confrontés, en qualité de syndic de copropriété et gestionnaire d'un bien, à cet aspect des choses, nous avons une double responsabilité : donner confiance aux uns et aux autres, dire à un locataire qu'il fait bon vivre dans un appartement, rejeter l'objection d'un bailleur, etc. Il convient d'expliquer que notre action ne s'exercera jamais au préjudice de certaines valeurs, ni au préjudice de la valeur de ses biens. Nous mettons en place des formations, comme nous y oblige un décret récent de M. Denormandie.

Il est vrai qu'aucun règlement de copropriété ne prévoit l'absence de discrimination d'un point de vue formel. Il serait intéressant que ce soit le cas. De même, il était prévu que nous remettions, à chaque locataire, des extraits de règlement de copropriété. Le fait que cela soit rarement le cas contribue à individualiser les comportements et ne facilite pas la bonne compréhension des règles qu'impose la copropriété.

Ainsi, dans un immeuble neuf que nous avons géré au Pont-de-Claix, commune populaire de l'agglomération grenobloise accueillant beaucoup de primo-accédants issus du secteur employé/ouvrier, un brassage culturel s'est fait naturellement et la règle commune s'est progressivement imposée sur des sujets sensibles (tenue des immeubles, usage des espaces verts, etc.). Dès que nous avons inclus les habitants dans le conseil syndical, nous avons constaté que les choses se déroulaient plutôt correctement, chacun ayant conscience du sens de la valeur commune.

Mais nous devons aussi travailler à la réappropriation des parties communes, de l'intérêt général d'un immeuble et de la façon dont chacun s'organise pour favoriser la fluidité par rapport à ces sujets, sans pour autant empêcher chacun de jouir convenablement de son bien.

En matière de locations, la situation varie selon les villes. Dans certaines d'entre elles, les choses se déroulent de manière fluide, pour une question d'équilibre des populations. C'est pourquoi un jour, Michel Destot, l'ancien maire de Grenoble, m'a demandé, lorsque j'étais président de la FNAIM de l'Isère, d'installer des agences immobilières dans certains quartiers « difficiles » : il y voyait un élément structurant dans la façon dont le marché locatif, comme celui de la transaction, pouvait se mettre en place.

Mais nous n'y sommes pas parvenus, car le modèle économique était très difficile, dès lors qu'un basculement s'était opéré dans certains quartiers, notamment celui de La Villeneuve. Mais il pensait que si le marché était a minima intermédié, un équilibre se mettrait en place. Mais il était probablement un peu tard pour que nous puissions imprimer une marque sur cet aspect ces choses.

Retenez que la professionnalisation de l'intermédiation, notamment en matière locative, reste un filtre de plus en plus efficace contre le racisme. En effet, nous traitons, en professionnels et sans affect, les biens qui nous sont confiés. De plus, il existe une vulnérabilité de nos entreprises, ce qui induit des comportements vertueux, car la formation de nos collaborateurs et la façon dont nous appréhendons ce marché nous permettent d'avoir une certaine ouverture d'esprit sur ces questions.

Mais nous avons malgré tout des problèmes : il nous est ainsi souvent reproché de ne pas accepter des cautionnements d'origine étrangère, difficiles à manipuler en droit. Il est en effet difficile d'expliquer à un propriétaire que le recouvrement du cautionnement exigera l'obtention d'un exequatur. C'est pourquoi, entre deux garanties de même nature, le choix s'oriente malheureusement souvent vers l'efficacité.

En revanche, nous faisons en sorte que les personnes vivant en outre-mer qui se portent caution n'aient pas à prendre l'avion pour venir dans nos agences, en recourant à des signatures légalisées dans des agences partenaires sur les territoires d'outre-mer ou dans les mairies.

Par rapport à la discrimination, nous n'avons pas mesuré la transparence de l'offre qu'implique internet. Autant, par le passé, les offres n'étaient répertoriées que dans le fichier des agences, autant aujourd'hui elles sont disponibles, accessibles et non cachées. Je pense que la massification de la divulgation des annonces, leur standardisation et celle des process des dossiers en location, mais également en transaction, ont beaucoup contribué à un recul de la discrimination et du racisme.

Mais la discrimination concerne également les personnes âgées du secteur privé locatif qui bénéficient d'une protection particulière liée à la loi de 1989, qui se retourne contre elles, car les bailleurs, eux-mêmes âgés, veulent pouvoir récupérer leur bien à tout moment. Nous sommes soumis à une importante pression sur ce point, à laquelle nous nous efforçons de ne pas donner suite, ce qui est loin d'être évident face à une population vieillissante de bailleurs.

Nous devons être attentifs à ces mesures d'hyperprotection de certaines catégories de locataires qui engendrent mécaniquement des systèmes d'exclusion ou des discriminations, contre lesquels il n'est pas toujours facile de lutter.

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