Intervention de Nicolas Grivel

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 12h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Nicolas Grivel, directeur général de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) :

Le racisme n'est pas notre sujet premier en termes d'intervention, mais nous pouvons être confrontés à la problématique des ghettos sociaux, avec une caractérisation plus ou moins ethnique du sujet.

Ce sujet est différent de celui évoqué par M. Torrollion, car il concerne un autre pendant du marché local de l'habitat, celui des quartiers sur lesquels se sont concentrés, au fil des années, des phénomènes d'exclusion et de concentration urbaine de la pauvreté. C'est sur ces sujets que l'ANRU, établissement public de l'État avec de multiples partenaires, est chargée d'intervenir.

Un premier programme massif, créé en 2004 par Jean-Louis Borloo, concernait 500 quartiers en France, financés à hauteur de 50 milliards d'euros, tous financeurs confondus, dont 12 milliards par l'ANRU. Il est en cours de finalisation.

Un deuxième programme lancé en 2014-2015 s'est progressivement matérialisé ces deux dernières années. Nous disposons d'environ 10 milliards d'euros au niveau national, ce qui représentera environ 40 milliards d'investissements, tous financeurs confondus, d'ici à 2030, 2031, 2032.

Les quartiers dans lesquels nous intervenons sont caractérisés – conformément à la définition de la politique de la ville depuis la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite « loi Lamy », par la concentration urbaine de la pauvreté. Ce sont des quartiers dans lesquels nous devons mener des missions de construction, de rénovation, de réhabilitation d'établissements publics et d'aménagements, qui constituent le cœur de la qualité de la vie et de l'envie d'habiter dans un quartier.

C'est à ce niveau-là que nous allons croiser notre sujet du jour. En effet, ces quartiers, souvent construits dans les années cinquante, soixante, soixante-dix présentaient alors des facteurs attractifs (mélange de populations, mixité sociale dans une logique un peu ascensionnelle de la société) avant de se paupériser progressivement. En effet, les habitants initiaux ayant accédé à la propriété en centre-ville ou en proche périphérie, dans le cadre d'un parcours résidentiel normal et positif, sont partis. Ils ont progressivement été remplacés par des populations à chaque fois plus pauvres et plus précarisées, souvent issues de l'immigration de première, de deuxième ou de troisième génération.

Dans ces quartiers les plus en difficulté, nous n'avons pas de réel marché de l'habitat : nous sommes devant un parc de logement social ou des quartiers de copropriété plus ou moins en difficulté, plus ou moins dégradés. Ces quartiers se caractérisent donc plutôt par un choix d'habitations soit subi – parce que les personnes n'ont pu accéder à des logements sur les marchés privés – soit ayant fait l'objet d'un taux de refus important d'autres populations.

Dans notre analyse, nous nous basons sur des critères sociaux, qui peuvent également croiser des critères d'appartenance réelle ou supposée à des communautés qui n'ont pu accéder à d'autres logements ou qui ont une préférence pour un quartier où elles ont des affinités particulières.

Même si notre sujet n'est pas un sujet de racisme ou d'approche ethnique, nous voyons bien qu'un certain nombre de quartiers sont marqués par des spécialisations de populations et des refus d'autres populations de venir y vivre, ce qui soulève des questions de mixité sociale, scolaire et d'usage.

Notre action consistera à rénover ces quartiers pour leur redonner une attractivité, à discuter avec les élus locaux, sachant que cela ne suffit pas toujours pour rééquilibrer les choses à l'échelle d'une agglomération, dès lors que ce qui se passe dans un quartier est souvent le résultat de ce qui se passe ailleurs. C'est pourquoi ce sont souvent les populations les plus fragiles et les plus précaires que l'on oriente – ou qui s'orientent elles-mêmes – vers ces quartiers.

Cela suppose d'avoir une stratégie d'habitat, de transports et de répartition des formes d'habitat (logement social, accession, logement privé) pensée plus globalement et non à l'échelle d'une ville ou d'un quartier. Telle est la première discussion que nous avons avec les élus avant d'évoquer le financement et l'accompagnement d'un projet urbain. C'est structurant pour nous, si nous voulons réussir notre mission de moindre concentration de la pauvreté et des difficultés dans les mêmes zones urbaines.

Nous interviendrons également sur le sujet des ghettos sociaux. Il a un impact sur les grands équilibres sociétaux et la cohésion territoriale des années futures avec, à la fois, des quartiers qui se sont améliorés, notamment sur le plan urbain, et des quartiers qui se sont dégradés, compte tenu de la concentration des difficultés, qui s'est amplifiée au fil des décennies dans la différenciation entre les personnes qui vivent dans ces quartiers et celles qui, pour rien au monde, ne voudraient y habiter.

De plus, les leçons du premier programme montrent que, même quand les quartiers changent positivement, ils conservent une mauvaise réputation auprès des habitants du reste de l'agglomération. Remettre partiellement ces quartiers dans une dynamique positive nécessite donc un travail de longue haleine et une grande modestie.

Dans le contexte actuel, nous devons rester très attentifs et très proactifs sur ces sujets.

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