Le sujet qui nous réunit est essentiel, car il touche à notre cohésion nationale et à notre pacte républicain. Il est d'ailleurs au cœur de l'actualité. Les menaces de mort reçues récemment par Mohamed Gnabaly, maire de L'Île-Saint-Denis, ou les appels racistes lancés sur les réseaux sociaux contre les personnes d'origine asiatique nous le démontrent chaque jour, le racisme et l'antisémitisme demeurent, dans notre pays, une bien triste réalité qui blesse toujours et peut parfois aussi tuer, malheureusement.
La triple crise, sanitaire, économique et sécuritaire, qui traverse le monde en général et notre pays en particulier, exacerbe encore les tensions. Comme souvent dans les périodes de crise, elle contribue à renforcer les préjugés et les discriminations.
Consciente des tensions montantes en France, j'ai réuni, le 12 novembre, les représentants des principales associations de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, que j'avais rencontrés lors de ma prise de fonction au mois de juillet. Nous étions convenus de nous revoir à intervalles réguliers pour travailler ensemble, et je tenais à évoquer avec eux ces faits d'actualité très préoccupants. J'ai écouté à la fois leur diagnostic et leurs propositions concrètes. Nous avons également évoqué le futur plan de lutte contre le racisme 2021-2023, qui sera piloté par la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH). Nous le coconstruirons avec les associations, acteurs fondamentaux pour avancer sur ces sujets.
Je me suis particulièrement entretenue avec la présidente de l'Association des jeunes Chinois de France, pour l'assurer de ma vigilance et de mon soutien face au déferlement de menaces et d'agressions dont la communauté asiatique de France est la cible. La crise sanitaire que nous traversons constitue, en effet, un facteur aggravant en matière de racisme. Il y a donc urgence à agir et à se mobiliser contre toutes les formes de racisme, d'antisémitisme et de discrimination, qui sont indignes d'un pays civilisé tel que le nôtre et portent atteinte à nos valeurs fondamentales. Elles sont l'antithèse de la promesse républicaine qui nous lie les uns aux autres.
Mon parcours m'autorise, avec les préoccupations oratoires qui s'imposent, à parler avec franchise sur le thème qui nous occupe. En préambule, je veux dire combien je sais que ce sujet touche au tréfonds de l'âme de chacun et à la complexité qui habite chaque individu. Je sais aussi que la question du racisme et de l'antisémitisme est sensible. Ces discours de haine peuvent séduire, parfois même cimenter des groupes d'individus, comme ils peuvent inspirer des propos exaltés ou de cyniques calculs politiques. L'histoire nous l'a malheureusement montré à maintes reprises dans le passé. Notre société contemporaine n'est malheureusement pas imperméable à ces discours.
Oui, il existe des discriminations dans l'accès au logement et à l'emploi. Les enquêtes du Défenseur des droits l'ont démontré à maintes reprises, les discriminations à raison de l'origine sont importantes. Il s'agit du deuxième critère invoqué devant cette institution, après le handicap. Toutes les formes de discrimination doivent être combattues : comme les souffrances qu'elles engendrent, elles ne doivent pas être hiérarchisées. Oui, certains propos relayés dans les médias stigmatisent. Ils jettent de l'huile sur le feu, nous dressent les uns contre les autres, alors que nous devrions, au contraire, rechercher l'apaisement, l'union et la concorde dans les moments difficiles que nous traversons. Oui, aussi, les contrôles « au faciès » sont une réalité concrète que certains de nos concitoyens vivent au quotidien. Il est vrai, enfin, que l'égalité des chances n'est pas encore effective dans l'ensemble de notre pays.
Pourtant, l'universalisme auquel nous croyons, le modèle républicain dont nous sommes si fiers fonctionne. Ne soyons pas myopes face à ces réalités silencieuses dont nous pouvons nous enorgueillir. Ce modèle, nous y sommes viscéralement attachés. Il fait la singularité de notre pays et, vu de l'étranger, suscite tantôt des interrogations ou des incompréhensions, tantôt de l'admiration. La tradition française est une conception abstraite de la citoyenneté, qui fait fi des singularités des individus. Elle est indépendante des genres, des croyances, des couleurs de peau et des orientations sexuelles.
Soyons lucides, ce modèle est fortement bousculé. Il est remis en question par de nouvelles formes de discours, qui distillent dans le débat public l'idée qu'il existerait en France un « racisme d'État ». Je vous le dis tout net, la notion de racisme d'État est, à mes yeux, totalement infondée. J'ai vécu en Afrique du Sud, où l'apartheid, c'est-à-dire le racisme gravé dans le marbre de la loi, était une réalité concrète il y a encore moins de trente ans. En France, il existe des actes racistes, qu'il faut combattre de toutes nos forces, mais il n'existe pas de racisme d'État. Nos services publics, nos lois ne pratiquent pas la ségrégation en fonction des origines ou des croyances. Ce fantasme, colporté par certaines associations ou acteurs politiques, doit être combattu avec force.
Notre pays est le pays des droits de l'homme et du citoyen, mais il a malheureusement tendance à se perdre dans ses divisions. Les déboulonnages de statues auxquels on assiste depuis quelques années en sont l'un des symptômes, qui n'est pas uniquement symbolique. L'histoire de France doit être lue et appréhendée dans sa globalité. Elle contient des pages sublimes, avec des héroïnes et des héros dont nous pouvons être fiers collectivement, mais aussi des pages plus sombres. Chaque période a produit ses haines, avec son lot de bourreaux et de zélateurs. Ces pages sombres, nous ne devons ni les occulter, ni les instrumentaliser ; nous devons les regarder en face, les expliquer, faire œuvre de pédagogie, en particulier auprès des jeunes générations. Nous devons débattre, confronter les points de vue, mais ne jamais faire de la politique politicienne avec notre histoire : c'est une impasse et un fourvoiement. Nous devons poser un regard lucide sur notre passé, qui est à la fois riche et complexe. On n'écrit pas l'histoire avec une gomme ou avec des jugements. Ernest Renan nous a invités à penser la Nation comme « un héritage de gloire et de regrets ». C'est en transmettant cet héritage dans sa globalité que nous pourrons redonner corps à notre vivre ensemble et donner un sens à notre aventure collective.
Ce travail mémoriel est une ligne de crête, sur laquelle nous n'avons pas le droit de trébucher. Nous ne devons jamais rompre avec l'exigence de lucidité qui doit être la nôtre. C'est le cœur du travail qu'a confié le Président de la République à Benjamin Stora, sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie.
D'une manière générale, il est nécessaire de développer les actions mémorielles. Certaines figures importantes de notre histoire, nées hors de l'Hexagone – Félix Éboué, Aimé Césaire, les sœurs Nardal, Gaston Monnerville, Manon Tardon et bien d'autres – demeurent trop peu connues, et trop peu reconnues en 2021. Plutôt que de déboulonner des statues, plutôt que d'effacer, nous devons, au contraire, enrichir nos musées, nos manuels scolaires, nos rues et, ainsi, nos mémoires collectives. C'est notamment le sens du projet de Geneviève Darrieussecq, qui invite les maires à baptiser certaines rues de nos communes de noms de héros d'Afrique, qui ont par exemple combattu pour la France durant la Seconde Guerre mondiale.
La reconnaissance prend vie à travers la transmission du savoir. Elle passe également par une meilleure représentativité, dans les médias, de la diversité de la société française telle qu'elle est aujourd'hui. L'exemple du baromètre CSA publié en septembre sur le sujet le montre, les médias offrent une photographie qui n'est pas représentative de la France telle qu'elle est aujourd'hui. C'est également le cas dans le cinéma. La France est plurielle : l'industrie audiovisuelle doit la représenter.
Mais cette reconnaissance passe aussi par la « saison africaine » en France, qui vise à mieux faire connaître l'Afrique contemporaine aux Français. L'engagement du Président de la République nous permettra de dérouler cette saison de décembre jusqu'au mois de juillet 2021, si la pandémie le permet. Cela passe encore par la restitution de certaines œuvres du patrimoine culturel africain, comme Emmanuel Macron s'y est engagé en novembre 2017 à Ouagadougou. L'Assemblée nationale et le Sénat ont récemment voté à l'unanimité le retour au Sénégal et au Bénin de plusieurs œuvres d'art historiques dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.
En d'autres termes, le Gouvernement propose des réponses pédagogiques, des réponses d'inclusion. L'histoire doit, non pas faire le tri mais, au contraire, faire œuvre d'honnêteté et de lucidité pour nous rassembler. Ce n'est que de cette manière que nous réconcilierons les Français entre eux et que nous ferons nation.
Refuser la nuance, c'est refuser la vérité. Cela fait le lit de tous les radicalismes et les complotismes. Je réfute donc l'existence d'un racisme institutionnalisé : cette idéologie, car c'en est une, va à l'encontre de l'universalisme. Nous devons, au contraire, travailler sur des actions contraintes et inclusives, qui vont nous rassembler plutôt que nous diviser.
La lutte contre le racisme et l'antisémitisme est un défi majeur auquel l'ensemble des pays européens sont confrontés. Ursula von der Leyen a exhorté les pays européens à construire un véritable plan de lutte contre le racisme et les discriminations. Nous devons rester lucides et réalistes parce que les époques changent. La haine, elle aussi, s'est métamorphosée : elle a changé de visage, endossé de nouvelles pratiques, mais elle n'a pas baissé en intensité. Notre devoir républicain, à nous, responsables politiques, mais aussi à tous les citoyens de notre pays, est de poursuivre ce combat. Il constitue une priorité de ce Gouvernement, qui se traduira notamment dans le projet de loi pour la défense des valeurs républicaines.
La lutte contre le racisme constitue une politique publique bien ancrée dans notre pays. Notre arsenal juridique en la matière est important. De nombreux acteurs publics et associatifs y travaillent tous les jours. Je reconnais volontiers que l'on peut faire mieux et plus pour redonner confiance en la République et en ses institutions. C'est mon rôle aujourd'hui, en lien avec la DILCRAH notamment, ainsi qu'avec les parlementaires et le tissu associatif, que de continuer à renforcer nos politiques publiques pour combattre toutes les formes de haine, de la façon la plus efficace qui soit.
La meilleure arme repose sur le triptyque : éducation, formation et sanction.
L'école est le meilleur creuset pour porter les promesses de la République. C'est aussi notre meilleur levier pour éclairer les esprits et lutter contre les préjugés. C'est à l'école que nous devons apprendre et, parfois aussi, désapprendre. Je suis heureuse de savoir que vous avez entendu Jean-Michel Blanquer, car c'est dans l'école que doivent se déconstruire les idées reçues, que nous devons détricoter les stéréotypes qui enferment dans des cases et qui secrètent le racisme et l'antisémitisme qui gangrènent notre société. L'école doit être la première enceinte où nous pouvons inculquer les valeurs de respect, d'acceptation et d'ouverture d'esprit. Elle doit être le lieu où nous apprenons l'altérité, car c'est le regard de l'autre qui enferme et rejette autant qu'il libère.
Avec Jean-Michel Blanquer, nous considérons que c'est de cette manière que nous construirons une société beaucoup plus républicaine. Nous devons donc développer les actions éducatives en milieu scolaire. Nous le faisons déjà : la DILCRAH finance des actions menées par des associations à destination des jeunes sur le temps scolaire et en dehors, dans les écoles, les collèges, les lycées. Nous devons les amplifier.
Le deuxième pilier du triptyque est la formation. Dans ce domaine, l'État doit être exemplaire : qu'il s'agisse de nos forces de l'ordre, des magistrats ou des enseignants, les acteurs du service public doivent être sensibilisés et formés à ces enjeux auxquels ils sont confrontés quotidiennement. Cela passe, bien entendu, par la formation initiale, mais aussi par la formation continue. La DILCRAH joue, là aussi, un rôle important. À travers elle, nous avons lancé, en octobre, un appel à projets local contre les discours et les actes de haine. S'inscrivant en complément du travail mené sur le terrain par les comités opérationnels de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT, présidés par les préfets, cet appel à projets doit permettre de soutenir localement des projets citoyens. En 2019, la DILCRAH a soutenu 873 projets de ce type, pour une enveloppe d'un peu plus de 2 millions d'euros. Il s'agit donc d'un outil très important, qui permet d'agir concrètement contre la haine.
Le troisième pilier est la sanction. La stricte application du cadre juridique est indispensable. Le ministère de la justice édicte des instructions dans ce domaine à l'attention des parquets, afin que ces derniers adoptent le réflexe d'échanger régulièrement avec les associations. Il faut une sensibilisation et une sévérité à l'égard des faits de racisme, d'antisémitisme et de discrimination. Comme le prévoit la loi, les juges doivent retenir les circonstances aggravantes de racisme, ce qui arrive encore trop peu – les associations nous l'ont encore dit la semaine dernière.
Le Défenseur des droits est également un acteur important en la matière, car il lutte de manière très efficace contre les discriminations. Avec Claire Hédon, que j'ai eu le plaisir de rencontrer, nous conclurons prochainement une convention de collaboration, afin d'amplifier notre mobilisation commune.
La question des réseaux sociaux est tout à fait cruciale. Les réseaux sociaux sont devenus un déversoir de propos haineux, le réceptacle d'un racisme et d'un antisémitisme décomplexés. Il faut absolument les punir et, pour ce faire, lever l'anonymat. Si les propos haineux, les menaces de mort et les insultes sont virtuels, les dommages collatéraux et les blessures qu'ils infligent sont, quant à eux, bien réels. L'actualité nous l'a démontré encore très récemment avec les agressions qu'ont subies certaines personnes d'origine asiatique. Nous devons donc être intransigeants envers le racisme et l'antisémitisme décomplexés qui sévissent sur internet, et ce d'autant plus qu'ils touchent majoritairement les jeunes générations. Nous devons travailler avec les plateformes afin qu'elles renforcent leur rôle de modération. Le Gouvernement est décidé à avancer de manière résolue sur le sujet, dans le cadre du projet de loi sur la défense des valeurs républicaines.
La réponse doit être également organisée au niveau européen, car la question dépasse les frontières. Les futurs textes relatifs aux services numériques, dits Digital Services Act (DSA), dont l'un des objets sera la régulation des contenus sur les réseaux sociaux, seront présentés le 2 décembre. La France travaillera avec la Commission européenne et le Parlement européen pour que cette réglementation soit la plus ambitieuse possible.
Les actions que je vous ai sommairement énumérées s'inscrivent dans le sillon tracé par le plan national de lutte contre le racisme et l'antisémitisme 2018-2020. Il s'agit naturellement d'un plan interministériel : il est piloté par mon ministère et par la DILCRAH, mais concerne l'ensemble du Gouvernement. Une évaluation sera faite en mars, dans le cadre de la préparation du futur plan d'action qui sera présenté l'année prochaine. Cette nouvelle stratégie sera en cohérence avec le plan d'action de l'Union européenne contre le racisme pour les années 2021-2025. Je souhaite que les associations participent étroitement à son élaboration. Je veux aussi que l'on adopte une véritable approche territoriale en la matière, afin d'être le plus opérationnel et efficace possible. Je veux également que l'ensemble des services de l'État soient sensibilisés à ces enjeux. En outre, je m'appuierai sur les conclusions de vos travaux pour enrichir ce nouveau plan.
La lutte contre le racisme et l'antisémitisme doit nous rassembler et être l'affaire de tous. Du fait des enjeux auxquels notre société est confrontée, nous sommes soumis à une obligation d'action et de résultats. Nous n'avons pas le droit d'échouer ni de réussir à moitié, car les attentes sont très nombreuses. Le racisme, l'antisémitisme et les discriminations sont l'exact opposé de l'ADN de notre République, l'exact contraire de ce que nous avons accompli et de ce qui nous rassemble. Nous devons travailler à la construction d'une société dans laquelle l'égalité et la fraternité reprennent tout leur sens. Vous pouvez évidemment compter sur ma pleine mobilisation, de même que je sais pouvoir compter sur la vôtre.