Intervention de Alain Frugière

Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 10h30
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Alain Frugière, directeur de l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation de l'académie de Paris, président du réseau national des Inspé :

Je vous remercie pour votre invitation à échanger sur un sujet essentiel et complexe, et qui intéresse fortement les 32 Inspé, qui ont pour mission d'assurer la formation initiale des enseignants du premier et second degré, les conseillers principaux d'éducation et les psychologues de l'éducation nationale.

Le terme de racisme m'interpelle, parce qu'il induit la notion de race, ce qui est un non-sens par rapport à l'espèce humaine. Il peut, en lui-même, faire obstacle au combat que nous menons pour l'égalité. Les enseignants, dans leur formation initiale, doivent prendre conscience que les mots employés véhiculent parfois des stéréotypes. Élèves et enseignants doivent comprendre que la notion de race est une construction intellectuelle et culturelle. Ce n'est pas un phénomène naturel, c'est une croyance. Notre histoire nous conditionne, génération après génération, à nous classer selon notre couleur de peau, quatre couleurs, quatre races, chacune aurait ses propres qualités. Nous avons la mission d'éduquer contre cette fausse évidence. Le premier des combats à mener consiste à nous assurer que tous les étudiants connaissent la non-existence des races à l'échelle humaine. Cela semble évident, mais je constate régulièrement que cela ne l'est pas. C'est un préalable à une éducation durable contre toute forme de racisme.

Le ministre Jean-Michel Blanquer l'a rappelé lors de son audition, l'école est la colonne vertébrale de la République. Il est donc naturel de s'interroger sur la formation des enseignants et conseillers principaux d'éducation (CPE). Elle s'étale sur deux ans d'un master dédié, qui se déroule en alternance avec des stages en collège et en lycée, parmi lesquels un stage au cours duquel l'étudiant a la responsabilité de la classe. Il doit en outre rédiger et soutenir un mémoire de master ancré sur les pratiques de classe. La formation est donc à la fois universitaire et professionnalisante, elle se nourrit de la recherche, favorise le dialogue entre la recherche et le terrain. Cette formation initiale est adossée à un référentiel national de compétences professionnelles, publié par l'Éducation Nationale, qui définit les objectifs d'apprentissage de tous les enseignants. Ces compétences s'acquièrent et se renforcent tout au long de la carrière, à la fois par l'expérience professionnelle et la formation continue. Tout futur CPE suit, dans sa formation initiale, des modules consacrés aux valeurs de la République, qui comprennent la lutte contre toutes les formes de racisme.

L'assassinat tragique de Samuel Paty a relancé la réflexion sur la manière d'aborder ces sujets sensibles en classe. On entend d'ailleurs régulièrement des critiques sur le manque de formation des enseignants en matière d'éducation morale et civique. On m'interroge sur le nombre d'heures consacrées à la lutte contre les racismes dans la formation. Quelle que soit la réponse, ces heures seront insuffisantes. Pour rendre cet enseignement efficace, il doit être présent tout au long de la formation. Le nombre d'heures ne peut, à lui seul, être le garant de l'efficacité de l'enseignement, qui doit entrer en résonance avec le besoin professionnel des étudiants et la confrontation au terrain dans le cadre de leur stage. Ce travail doit s'inscrire dans la durée.

Notre objectif est d'amener les enseignants à intégrer l'enseignement contre le racisme et les discriminations associées dans leur pratique. Les étudiants sont adeptes de solutions clés en main et nous devons leur en apporter, mais ce n'est pas suffisant. Sur les 800 heures de formation d'un master, il n'est pas envisageable de traiter toutes ces questions. Nous devons donc leur apprendre à questionner leur pratique, à construire des solutions propres aux situations qu'ils rencontrent.

Les étudiants, lorsqu'ils sont en stage, sont confrontés à une adhésion apparente des élèves aux contenus délivrés en classe, qui s'oppose aux comportements observés en dehors de la classe. Ils connaissent le discours attendu, mais c'est loin d'être suffisant. Lors d'un cours sur le système sanguin, l'un des élèves avait compris qu'une transfusion entre deux frères de groupe sanguin différent peut être mortelle, alors qu'elle peut être salvatrice entre deux personnes d'un même groupe sanguin et de couleur de peau différente. Ce même élève a déclaré, peu après, « le prof peut dire ce qu'il veut, la transfusion avec un Black , jamais ». Il n'y a pas de réponse simple, et au-delà de l'enseignement dédié, nous avons besoin d'un enseignement disciplinaire.

Les formateurs de toutes les disciplines doivent aborder ces sujets en Inspé. Les géographes, par exemple, peuvent travailler sur des données géographiques, sur des cartes dont l'Europe n'est pas le centre. On utilise les données historiques qui démontrent que toutes les civilisations du monde ont produit des trésors de beauté. Les enseignants s'appuient également sur la déconstruction de certains discours médiatiques. Il existe de nombreux dispositifs, supports pédagogiques et outils collaboratifs.

Des semaines banalisées sont mises en place, telle que la semaine de lutte contre le racisme et l'antisémitisme à l'Inspé de la Martinique au mois de mars, ainsi que des semaines de recherche. À Aix Marseille, l'Inspé est associé au réseau international intitulé « éducation et diversité ». Les premières rencontres de ce réseau se sont déroulées à l'Inspé d'Aix Marseille en octobre 2014. Une journée d'étude avait été organisée, deux ans plus, tard, dans cet établissement, sur le thème « Penser l'école non-raciste ». Je ne ferai pas de liste exhaustive, mais il est important de savoir que les Inspé ne travaillent pas seuls sur ces questions. Ils collaborent avec les associations, les rectorats, les fondations, les musées, pour permettre aux étudiants d'acquérir les compétences nécessaires à leur pratique professionnelle.

J'ai commencé mon intervention en dénonçant le caractère problématique du terme de racisme, pourtant, je l'ai souvent évoqué, et même au pluriel, car la lutte contre le racisme s'inscrit dans un combat plus large de lutte contre la phobie et de la haine de l'autre. Ce combat ne sera remporté que par l'éducation, d'où l'importance de la formation de l'enseignant.

Je terminerai en abordant la place de l'éducation contre les racismes et les valeurs de la République dans les concours de recrutement des enseignants et CPE. Ces concours sont en cours de révision. L'intégration de ces sujets dans les épreuves, et notamment l'épreuve orale, constituerait un levier important. Je vous remercie pour votre attention.

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