Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 10h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • discrimination
  • incident
  • insulte
  • racisme
  • raciste
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La réunion

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La mission d'information organise une table ronde réunissant M. Alain Frugière, directeur de l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation de l'Académie de Paris, président du réseau national des Inspé, Mme Fabienne Rosenwald, directrice de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) au ministère de l'éducation nationale et M. Thibaut de Saint Pol, directeur de l'Institut national pour la jeunesse et l'éducation populaire (INJEP).

La séance est ouverte à 10 heures 30.

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Nos auditions se tiennent dans le cadre de la mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme. Avec madame la rapporteure, Caroline Abadie, nous consacrons cette matinée à l'éducation. Après avoir reçu des associations représentant les professeurs d'histoire-géographie, nous entendons ce matin d'autres acteurs du monde de l'éducation : Mme Fabienne Rosenwald, directrice de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) au ministère de l'éducation nationale ; M. Alain Frugière, directeur de l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation de l'académie de Paris, président du réseau national des Inspé ; et M. Thibaut de Saint Pol, directeur de l'Institut national pour la jeunesse et l'éducation populaire (INJEP).

Cette mission d'information se donne pour objectif de dresser un rapport présentant l'état des lieux des différentes formes de racisme dans la société française, et redonner sa place à la notion d'universalisme.

Les auditions relatives aux questions d'éducation nous paraissaient essentielles, depuis le début de la mission. Nous avons eu l'honneur de recevoir le ministre de l'éducation nationale le 1er octobre. L'actualité du terrorisme islamiste et de l'attentat contre Samuel Paty le 16 octobre, un professeur qui effectuait sa mission d'éveil à l'esprit critique et à l'esprit des lumières, a résonné tout particulièrement au sein de cette mission d'information, qui traite de sujets sensibles, pouvant mener au pire si la République ne les traite pas.

Nous aimerions entendre votre analyse relative au racisme et aux discriminations.

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Bonjour à tous. Nous sommes heureux que vous ayez accepté cette invitation. Depuis le début de ces auditions, nous avons abordé de nombreux sujets. Ce matin, nous nous consacrons à l'enseignement. Nous connaissons le rôle de l'éducation nationale dans le combat contre le racisme. Nous prendrons la liberté de parler de mixité sociale, de carte scolaire, de programmes, de formation des enseignants, ainsi que de ce portail Valeurs de la République. Nous aborderons également l'étude réalisée par l'INJEP en milieu scolaire sur le racisme entre élèves. C'est un sujet que nous avons, jusqu'alors, peu abordé.

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Fabienne Rosenwald, directrice de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) au ministère de l'éducation nationale

La DEPP endosse deux rôles, celui d'une direction du ministère en charge de l'éducation nationale et le service public chargé des statistiques sur l'éducation.

La DEPP rencontre régulièrement les phénomènes de racisme à travers deux enquêtes statistiques, qui documentent les atteintes subies par les élèves et les membres de l'éducation nationale au sein d'établissements scolaires. Nous questionnons la motivation des actes renseignés, et les éventuelles motivations racistes.

La première enquête, intitulée Système d'information et de vigilance sur la sécurité scolaire (SIVIS), est menée depuis 2007, sur un échantillon de chefs d'établissements. Elle rend compte des incidents graves survenus en milieu scolaire. Tous les incidents qui portent atteinte à un membre du personnel sont également retenus. Un incident grave est dit discriminatoire dès lors que sa motivation est à caractère raciste, xénophobe ou antisémite. Pour chaque fait déclaré, le chef d'établissement renseigne le type de fait (atteinte aux personnes, violence verbale ou physique, atteinte aux biens etc.), la circonstance (harcèlement, intrusion etc.) et la motivation (raciste, antisémite, homophobe etc.).

Nous menons également des enquêtes de climat scolaire et de victimation auprès d'élèves ou de personnels du système éducatif. Pour l'instant, l'enquête s'adresse aux élèves du second degré, elle sera étendue aux élèves du premier degré en 2021. Ils sont interrogés sur le climat scolaire dans l'établissement. Cette enquête ne porte pas directement sur les discriminations, mais certaines questions concernent les insultes dont ils ont été victimes, et les raisons qui ont poussé les auteurs à commettre ces actes. Ils précisent si la motivation comporte un caractère discriminatoire, la fréquence des événements, le lieu, y compris s'il s'agit d'un acte commis sur internet, le profil de l'auteur, et la présence ou non de témoins.

Nous menons, en outre, depuis 2019, une enquête auprès des personnels du second degré. La prochaine sera réalisée auprès du personnel du premier degré en 2021. Nous mesurons la façon dont ils perçoivent le climat scolaire dans leur établissement, et caractérisons les atteintes subies, qu'elles aient, ou non, fait l'objet d'un signalement auprès d'une autorité scolaire, judiciaire ou administrative. Pour chacun des faits, l'enquête recense la fréquence, le lieu et la qualité des auteurs, ainsi que la nature (raciste, antisémite, sexiste, homophobe etc.).

Selon l'enquête SIVIS, les incidents à caractère raciste, xénophobe ou antisémite représentent 0,3 incident pour 1 000 élèves, soit 2,9 % de l'ensemble des actes graves déclarés par les chefs d'établissement. Ce taux affiche une certaine stabilité dans le temps. 80 % de ces incidents discriminatoires sont qualifiés de racistes, et 6 % d'antisémites. Ce pourcentage sur l'ensemble des actes graves déclarés varie peu selon le type d'établissement : il est de 2,8 % dans les collèges et les lycées professionnels, et 3,7 % dans les lycées généraux et technologiques. Les incidents graves à caractère discriminatoires se caractérisent par le fait qu'il s'agit en majorité de violences verbales, dans 67 % des cas. On observe que les violences verbales représentent en moyenne 42 % de l'ensemble des autres types d'incidents déclarés. Elles s'exercent principalement entre élèves, auteurs de 95 % des incidents signalés, les 5 % restant étant le fait des familles d'élèves ou de personnes extérieures à l'établissement. Pour l'ensemble des incidents déclarés, ce sont 91 % des incidents sont commis par des élèves. Les actes à caractère discriminatoire visent, dans deux cas sur trois, d'autres élèves. Les personnels enseignants et non enseignants en sont victimes dans 24 % des cas. Dans 14 % des cas, les incidents à caractère raciste, xénophobe ou antisémite s'inscrivent dans une situation de harcèlement. C'est un taux similaire à l'ensemble des incidents.

Lors de la dernière enquête menée auprès des collégiens, en 2017, 51 % déclaraient avoir été victimes d'insultes au moins une fois au cours de l'année scolaire. Les insultes liées aux discriminations représentent 11 %, celles à la religion 6 % (et les insultes sexistes 10 %). Les insultes les plus fréquentes chez les collégiens sont liées à l'apparence physique (28 %) et à la tenue vestimentaire (17 %). Les insultes sont majoritairement proférées par des élèves à l'intérieur du collège, envers d'autres élèves. 22 % des lycéens déclarent avoir été victimes d'insultes au moins une fois dans l'année scolaire. Les insultes sexistes représentent 10 % de ces insultes, les insultes liées à l'origine et à la couleur de peau 7 %.

L'enquête menée auprès des personnels révèle que 24 % ont déclaré avoir été victimes d'insultes ou de moqueries au cours de l'année scolaire 2018-2019. Les insultes à caractère discriminatoire représentent 0,8 % des incidents rapportés.

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Alain Frugière, directeur de l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation de l'académie de Paris, président du réseau national des Inspé

Je vous remercie pour votre invitation à échanger sur un sujet essentiel et complexe, et qui intéresse fortement les 32 Inspé, qui ont pour mission d'assurer la formation initiale des enseignants du premier et second degré, les conseillers principaux d'éducation et les psychologues de l'éducation nationale.

Le terme de racisme m'interpelle, parce qu'il induit la notion de race, ce qui est un non-sens par rapport à l'espèce humaine. Il peut, en lui-même, faire obstacle au combat que nous menons pour l'égalité. Les enseignants, dans leur formation initiale, doivent prendre conscience que les mots employés véhiculent parfois des stéréotypes. Élèves et enseignants doivent comprendre que la notion de race est une construction intellectuelle et culturelle. Ce n'est pas un phénomène naturel, c'est une croyance. Notre histoire nous conditionne, génération après génération, à nous classer selon notre couleur de peau, quatre couleurs, quatre races, chacune aurait ses propres qualités. Nous avons la mission d'éduquer contre cette fausse évidence. Le premier des combats à mener consiste à nous assurer que tous les étudiants connaissent la non-existence des races à l'échelle humaine. Cela semble évident, mais je constate régulièrement que cela ne l'est pas. C'est un préalable à une éducation durable contre toute forme de racisme.

Le ministre Jean-Michel Blanquer l'a rappelé lors de son audition, l'école est la colonne vertébrale de la République. Il est donc naturel de s'interroger sur la formation des enseignants et conseillers principaux d'éducation (CPE). Elle s'étale sur deux ans d'un master dédié, qui se déroule en alternance avec des stages en collège et en lycée, parmi lesquels un stage au cours duquel l'étudiant a la responsabilité de la classe. Il doit en outre rédiger et soutenir un mémoire de master ancré sur les pratiques de classe. La formation est donc à la fois universitaire et professionnalisante, elle se nourrit de la recherche, favorise le dialogue entre la recherche et le terrain. Cette formation initiale est adossée à un référentiel national de compétences professionnelles, publié par l'Éducation Nationale, qui définit les objectifs d'apprentissage de tous les enseignants. Ces compétences s'acquièrent et se renforcent tout au long de la carrière, à la fois par l'expérience professionnelle et la formation continue. Tout futur CPE suit, dans sa formation initiale, des modules consacrés aux valeurs de la République, qui comprennent la lutte contre toutes les formes de racisme.

L'assassinat tragique de Samuel Paty a relancé la réflexion sur la manière d'aborder ces sujets sensibles en classe. On entend d'ailleurs régulièrement des critiques sur le manque de formation des enseignants en matière d'éducation morale et civique. On m'interroge sur le nombre d'heures consacrées à la lutte contre les racismes dans la formation. Quelle que soit la réponse, ces heures seront insuffisantes. Pour rendre cet enseignement efficace, il doit être présent tout au long de la formation. Le nombre d'heures ne peut, à lui seul, être le garant de l'efficacité de l'enseignement, qui doit entrer en résonance avec le besoin professionnel des étudiants et la confrontation au terrain dans le cadre de leur stage. Ce travail doit s'inscrire dans la durée.

Notre objectif est d'amener les enseignants à intégrer l'enseignement contre le racisme et les discriminations associées dans leur pratique. Les étudiants sont adeptes de solutions clés en main et nous devons leur en apporter, mais ce n'est pas suffisant. Sur les 800 heures de formation d'un master, il n'est pas envisageable de traiter toutes ces questions. Nous devons donc leur apprendre à questionner leur pratique, à construire des solutions propres aux situations qu'ils rencontrent.

Les étudiants, lorsqu'ils sont en stage, sont confrontés à une adhésion apparente des élèves aux contenus délivrés en classe, qui s'oppose aux comportements observés en dehors de la classe. Ils connaissent le discours attendu, mais c'est loin d'être suffisant. Lors d'un cours sur le système sanguin, l'un des élèves avait compris qu'une transfusion entre deux frères de groupe sanguin différent peut être mortelle, alors qu'elle peut être salvatrice entre deux personnes d'un même groupe sanguin et de couleur de peau différente. Ce même élève a déclaré, peu après, « le prof peut dire ce qu'il veut, la transfusion avec un Black , jamais ». Il n'y a pas de réponse simple, et au-delà de l'enseignement dédié, nous avons besoin d'un enseignement disciplinaire.

Les formateurs de toutes les disciplines doivent aborder ces sujets en Inspé. Les géographes, par exemple, peuvent travailler sur des données géographiques, sur des cartes dont l'Europe n'est pas le centre. On utilise les données historiques qui démontrent que toutes les civilisations du monde ont produit des trésors de beauté. Les enseignants s'appuient également sur la déconstruction de certains discours médiatiques. Il existe de nombreux dispositifs, supports pédagogiques et outils collaboratifs.

Des semaines banalisées sont mises en place, telle que la semaine de lutte contre le racisme et l'antisémitisme à l'Inspé de la Martinique au mois de mars, ainsi que des semaines de recherche. À Aix Marseille, l'Inspé est associé au réseau international intitulé « éducation et diversité ». Les premières rencontres de ce réseau se sont déroulées à l'Inspé d'Aix Marseille en octobre 2014. Une journée d'étude avait été organisée, deux ans plus, tard, dans cet établissement, sur le thème « Penser l'école non-raciste ». Je ne ferai pas de liste exhaustive, mais il est important de savoir que les Inspé ne travaillent pas seuls sur ces questions. Ils collaborent avec les associations, les rectorats, les fondations, les musées, pour permettre aux étudiants d'acquérir les compétences nécessaires à leur pratique professionnelle.

J'ai commencé mon intervention en dénonçant le caractère problématique du terme de racisme, pourtant, je l'ai souvent évoqué, et même au pluriel, car la lutte contre le racisme s'inscrit dans un combat plus large de lutte contre la phobie et de la haine de l'autre. Ce combat ne sera remporté que par l'éducation, d'où l'importance de la formation de l'enseignant.

Je terminerai en abordant la place de l'éducation contre les racismes et les valeurs de la République dans les concours de recrutement des enseignants et CPE. Ces concours sont en cours de révision. L'intégration de ces sujets dans les épreuves, et notamment l'épreuve orale, constituerait un levier important. Je vous remercie pour votre attention.

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Thibaut de Saint Pol, directeur de l'Institut national pour la jeunesse et l'éducation populaire (INJEP)

L'INJEP est un service à compétence nationale crée en 2016, au ministère en charge de la jeunesse, qui a pour objet de produire des études, des recherches, des statistiques publiques et des évaluations. Sauf exception, nous ne travaillons pas directement avec le système éducatif, mais plutôt sur la manière dont la vie des jeunes s'articule avec ce système éducatif. Avec notre équipe pluridisciplinaire, nous portons notamment le service statistique en charge de la jeunesse et des sports.

L'INJEP a beaucoup travaillé sur la question du racisme dans les années 2000, mais depuis une dizaine d'années, nos recherches se concentrent sur les discriminations et la manière dont le racisme s'entremêle avec d'autres facteurs de discrimination.

Dans ce propos liminaire, j'ai fait le choix de vous présenter une étude qui rassemble les données les plus intéressantes et novatrices sur le sujet du racisme. En 2018, nous avons lancé un programme d'expérimentation et d'évaluation, avec de nombreux partenaires de recherches. Les résultats de ce programme sont attendus pour 2022. Nous expérimentons neuf projets sur le terrain, sur différents thèmes comme les discriminations dans le milieu agricole, en particulier dans les lycées agricoles, une recherche-action sur les pratiques des enseignants, ou encore une recherche sur la manière dont le racisme se cumule avec d'autres facteurs de discrimination comme le genre ou l'origine.

Avant ce projet, nous avons mené quatre études dans le cadre d'un appel à projet du fond d'expérimentation pour la jeunesse. Ces études ont fourni de très nombreux résultats dans l'objectif d'éclairer les décideurs publics sur les politiques de remédiation aux discriminations. Yannick Lartigue, professeur d'économie à l'Université Paris Est, a piloté une série de testings sur sept marchés qui conditionnent l'insertion sociale et professionnelle des jeunes. Pour la première fois, une étude a démontré l'existence de discriminations en dehors des domaines dans lesquels la littérature existe (enseignement, marché du travail, marché du logement), et prouve que les discriminations sont plus vastes que ce que l'on imagine. Les jeunes cumulent les discriminations liées à l'âge, l'origine et la réputation du lieu de résidence.

Les discriminations portent à la fois sur le fait d'accéder ou non aux services ou aux marchés, mais également les prix auxquels les jeunes y accèdent. L'enquête s'est déroulée entre janvier 2015 et février 2016, elle porte sur 2 527 tests pour 15 162 demandes envoyées. C'est l'une des plus grandes études jamais réalisée en France. Bien qu'elle porte sur des données partielles et non représentatives, elle met en lumière l'ampleur des discriminations. Nous avons travaillé avec six profils types dont nous avons fait varier certaines données comme le sexe, la consonance du nom et du prénom, et la réputation du lieu de résidence en Île-de-France, et les avons testés sur l'accès à certains biens et service, tels que l'accès à un moyen de transport individuel, la voiture d'occasion. Nous avons envoyé six messages similaires le jour de la mise en ligne de 489 annonces de voitures d'occasion, entre janvier et mai 2015. L'homme de 22 ans d'origine française a significativement plus de réponses que celui d'origine africaine ou celui qui réside dans un quartier prioritaire au titre de la politique de la ville.

Nous avons appliqué le même protocole pour l'accès à l'assurance automobile, et avons observé le même type de discrimination. Des tarifs différents sont proposés selon le sexe, le lieu de résidence et l'âge.

Nous avons par ailleurs demandé des devis auprès de 52 établissements de complémentaire santé. La jeune femme d'origine africaine reçoit moins fréquemment un accord de principe.

Pour la première fois, nous avons effectué des tests sur l'accès à la formation professionnelle pour adultes, dans lesquels l'individu plus âgé a significativement plus de chances d'obtenir une réponse positive. En revanche, les jeunes issus de l'immigration ou résidant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ont eu moins de retours positifs.

Les six individus fictifs ont par ailleurs sollicité 1 433 établissements proposant un hébergement de loisirs dans différentes régions. L'homme de 22 ans d'origine africaine avait significativement moins de retours positifs. Le lieu de résidence avait également un impact sur le taux de retour. Ces exemples démontrent que les effets du lieu de résidence et de l'origine ne sont pas toujours les mêmes. La discrimination liée à l'origine n'est pas significative dans les hôtels, en revanche elle s'exerce fortement dans les chambres d'hôtes et les campings.

Ces exemples révèlent la présence de discriminations sur les marchés auxquels on ne pense pas toujours, et pour lesquels on ne dispose pas d'études. Outre les études, le travail et le logement, les jeunes cumulent de nombreuses discriminations. Il existe parfois une dissociation entre l'origine ethnique des candidats et les personnes habitant dans certains quartiers. On observe une discrimination plus grande pour une personne d'origine africaine dans le rachat d'une petite entreprise, et une discrimination plus importante sur le marché des véhicules d'occasion pour les personnes vivant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville. Les discriminations observées s'exercent d'une part sur l'accès ou non à un marché ou un service, mais également sur la qualité ou la nature du service, ou le tarif proposé.

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Merci à chacun d'entre vous d'avoir respecté le temps alloué à ces propos liminaires. Les données que vous avez partagées enrichiront la rédaction de notre rapport.

J'ai une question concernant les enquêtes de victimation et les incidents à l'école. Quels sont les sanctions prononcées et leur caractère dissuasif ?

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Fabienne Rosenwald, directrice de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) au ministère de l'éducation nationale

Les signalements à caractère raciste, antisémite ou xénophobe font l'objet de signalements hors de l'établissement dans 22 % des cas (auprès de l'inspection académique, main courante etc.). Tout motif considéré comme discriminant confère à l'incident un caractère de gravité.

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La déclaration est-elle à la discrétion du chef d'établissement ? La sanction relève-t-elle du règlement intérieur ? Disposons-nous de données sur le suivi judiciaire des cas traités en dehors de l'établissement ?

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Fabienne Rosenwald, directrice de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) au ministère de l'éducation nationale

Les incidents sont effectivement traités au sein de l'établissement, mais nous demandons aux chefs d'établissement de préciser quand un signalement externe est effectué. C'est le cas pour 22 % des incidents. Nous n'effectuons pas de suivi des cas traités hors de l'établissement. De plus, les chefs d'établissements ne peuvent pas toujours indiquer les suites données, car nous les interrogeons sur les incidents de l'année écoulée.

Dans l'enquête portant sur les personnels du second degré, un agent sur dix, victime au moins d'une insulte ou moquerie à caractère discriminatoire, le signale à sa hiérarchie, un sur dix décide de ne pas en parler, huit sur dix en parlent à un collègue, sept sur dix à la vie scolaire. Certains en parlent également à leur famille. Quand il ne le signale pas, l'agent explique qu'il estime avoir géré lui-même la situation.

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Vos enquêtes sont le reflet d'une société qui porte très peu plainte. Dans la chaîne pénale, le taux de plainte est très inférieur au nombre d'insultes ou d'actes racistes vécus au quotidien.

Je reviendrai sur le sujet de la chaîne disciplinaire en milieu scolaire. Le travail que j'ai mené sur la cyber-haine me laisse penser que le directeur et les organes qui travaillent avec lui sur la médiation ou la sanction disciplinaire sont impuissants face aux conflits entre élèves sur les réseaux sociaux. Je considère que le chef d'établissement devrait pouvoir se saisir de ce type de conflit qui relève de la projection de l'établissement dans les réseaux sociaux. Pouvez-vous me dire si cela arrive ?

Je ne remets pas en cause la mixité sociale, mais je lisais dans une étude de l'INJEP intitulée De la discrimination aux attitudes protestataires ? Enquête dans les lycées populaires, parue en 2018, que des jeunes issus de la diversité qui arrivent dans un lycée de centre-ville ressentent davantage de discriminations, par la comparaison des moyens dont disposent leurs familles dans l'accès au sport et à la culture par rapport à leurs camarades. La discrimination s'arrête-t-elle là, ou observe-t-on des actes racistes ?

Nous avons entendu les professeurs d'histoire-géographie, qui sont très sollicités sur ces sujets. Ils s'organisent au sein d'associations pour enrichir leurs contenus et les partager avec des collègues moins armés qu'eux. Ils mettent en place une formation continue volontariste, en plus des outils fournis par l'éducation nationale. Comment les professeurs des autres matières, comme un professeur de science qui verrait la théorie de l'évolution remise en cause, sont-ils armés pour parler d'esprit critique à leurs élèves ?

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Alain Frugière, directeur de l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation de l'académie de Paris, président du réseau national des Inspé

Je commencerai par le dernier point, qui est un sujet de fond. Tous les professeurs sont légitimes pour en parler, car de nombreux sujets peuvent faire l'objet de contestation, comme l'évolution ou la sexualité. Ils y sont confrontés dès l'école primaire. Pour les accompagner, un travail sur le long terme et en équipe est indispensable. Il faut tout d'abord rappeler aux élèves le droit et appliquer les sanctions face aux actes inappropriés, et leur expliquer la différence entre la croyance et les faits scientifiques, les amener à adopter une démarche scientifique et une pensée critique. C'est un travail pluridisciplinaire, qui débute dès l'école primaire : apprendre à l'élève à vérifier une information, ne pas croire tout ce qui est publié sur un réseau social, évaluer la fiabilité d'une source d'information, démontrer que toute parole n'a pas la même valeur. Cette démarche s'acquiert tout au long de la scolarité. Il faut donc armer les enseignants pour le faire.

J'insiste par ailleurs sur l'importance de transmettre des codes culturels à tous les enfants, de les ouvrir aux théâtres, aux musées et à l'opéra. La formation culturelle doit donc intégrer la formation initiale de l'enseignant pour qu'il transmette ces codes aux élèves qui en sont dépourvus dans leur environnement familial.

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Thibaut de Saint Pol, directeur de l'Institut national pour la jeunesse et l'éducation populaire (INJEP)

Plusieurs études portent sur le thème que vous évoquez, la plus récente étant celle portée par Julien Grenet, chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), professeur associé à l'école d'économie de Paris, et qui étudie les secteurs multicollèges à Paris, pour évaluer l'efficacité de cet outil contre la ségrégation sociale. Cette étude se poursuit, nous n'avons publié que des résultats intermédiaires. Les résultats définitifs seront publiés l'année prochaine.

Cette étude fait apparaître les tensions possibles engendrées par la mixité, mais à ce stade, nous n'avons pas relevé de discrimination. Je poserai la question aux chercheurs, dans la perspective des éléments définitifs.

Nous regardons ce qui se passe autour du système éducatif. Je souhaite donc souligner, de manière plus générale, l'action des acteurs autour de l'école, comme les associations et l'éducation populaire qui jouent un rôle déterminant dans la lutte contre les discriminations et l'ouverture à l'autre.

D'après l'ensemble des connaissances dont nous disposons, la jeunesse d'aujourd'hui est caractérisée par la présence de grandes fractures. Certaines jeunesses ne se croisent plus. Toutes les mesures qui favorisent la mixité sociale jouent un rôle positif pour réduire ces barrières et limiter les stéréotypes et donc les comportements racistes. Nous regardons notamment si le dispositif du Service national universel (SNU), dont nous sommes chargés de l'évaluation, atteint son objectif de mixité sociale entre des jeunes d'origines différentes. Nous espérons avoir bientôt des résultats.

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Des sanctions ou des recours sont-ils mis en place après les testings ?

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Thibaut de Saint Pol, directeur de l'Institut national pour la jeunesse et l'éducation populaire (INJEP)

Notre mission est de mener une recherche pour documenter les phénomènes, afin d'interpeller les citoyens et acteurs politiques. Notre protocole ne prévoit pas de sanctions pour les acteurs qui ne répondent pas. Ils peuvent avoir de multiples raisons de ne pas le faire. La masse de non-réponses permet d'appréhender la discrimination, mais nous ne cherchons pas à connaître les raisons au cas par cas.

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Fabienne Rosenwald, directrice de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) au ministère de l'éducation nationale

Je reviens sur la question que vous m'avez posée précédemment. Les insultes liées aux origines, racistes ou antisémites, sont déclarées auprès de la hiérarchie dans 90 % des cas, et dans 13 % des cas auprès des autorités judiciaires (syndicats et médecins peuvent également recevoir de telles déclarations). Dans 25 % des cas, les victimes estiment que cette déclaration contribuera à arranger la situation. Dans 52 % des cas, les personnes considèrent qu'elle ne s'améliorera pas. Dans 23 % des cas, elles déclarent l'ignorer. Lorsqu'elles ne signalent pas l'incident, elles expliquent l'avoir géré seules dans 70 % des cas. 25 % des victimes estiment que la situation se serait dégradée si elles avaient signalé l'incident. Ces chiffres sont intéressants.

Nous disposons de données sur la cyber violence. 1,2 % des lycéens interrogés ont reçu des insultes en lien avec leur origine ou leur couleur de peau par internet ou par SMS. 0,4 % des incidents déclarés sont liés à la religion, 1,3 % sont des insultes sexistes et 0,8 % des insultes homophobes. Nous établissons chaque année un rapport sur les violences discriminatoires que nous envoyons à la Commission nationale consultative des droits de l'Homme. La cyber violence y est intégrée.

11 % de collégiens déclarent avoir reçu des insultes liées à leur origine, mais ils sont 18 % dans les établissements d'éducation prioritaire +, et 7 % en milieu rural. On retrouve cette différence sur les insultes liées à la religion, mais elle est moindre pour les insultes liées à la tenue vestimentaire ou l'apparence physique.

L'éducation nationale a lancé des expérimentations de mixité dans certains collèges, suivies par des équipes de recherche qui étudient les conséquences sur les compétences scolaires des élèves, mais également leur savoir-vivre avec les autres. Ces études permettront de documenter si la mixité contribue au savoir vivre-ensemble des jeunes.

La DEPP déploiera en 2022 une enquête de comparaison internationale International civic and citizenship education study (ICCS), qui interroge les élèves sur leur adhésion à certaines valeurs, en tant que futurs citoyens. Ils sont interrogés notamment sur le vivre-ensemble. Cette étude permettra d'établir une comparaison entre élèves de différents pays.

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L'avantage d'avoir auditionné des personnes du monde de l'éducation est que nous avons eu des présentations claires et structurées, nous avons balayé tous les sujets que nous souhaitions aborder. Je vous remercie.

La séance est levée à 11 heures 45.