Intervention de Thibaut de Saint Pol

Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 10h30
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Thibaut de Saint Pol, directeur de l'Institut national pour la jeunesse et l'éducation populaire (INJEP) :

L'INJEP est un service à compétence nationale crée en 2016, au ministère en charge de la jeunesse, qui a pour objet de produire des études, des recherches, des statistiques publiques et des évaluations. Sauf exception, nous ne travaillons pas directement avec le système éducatif, mais plutôt sur la manière dont la vie des jeunes s'articule avec ce système éducatif. Avec notre équipe pluridisciplinaire, nous portons notamment le service statistique en charge de la jeunesse et des sports.

L'INJEP a beaucoup travaillé sur la question du racisme dans les années 2000, mais depuis une dizaine d'années, nos recherches se concentrent sur les discriminations et la manière dont le racisme s'entremêle avec d'autres facteurs de discrimination.

Dans ce propos liminaire, j'ai fait le choix de vous présenter une étude qui rassemble les données les plus intéressantes et novatrices sur le sujet du racisme. En 2018, nous avons lancé un programme d'expérimentation et d'évaluation, avec de nombreux partenaires de recherches. Les résultats de ce programme sont attendus pour 2022. Nous expérimentons neuf projets sur le terrain, sur différents thèmes comme les discriminations dans le milieu agricole, en particulier dans les lycées agricoles, une recherche-action sur les pratiques des enseignants, ou encore une recherche sur la manière dont le racisme se cumule avec d'autres facteurs de discrimination comme le genre ou l'origine.

Avant ce projet, nous avons mené quatre études dans le cadre d'un appel à projet du fond d'expérimentation pour la jeunesse. Ces études ont fourni de très nombreux résultats dans l'objectif d'éclairer les décideurs publics sur les politiques de remédiation aux discriminations. Yannick Lartigue, professeur d'économie à l'Université Paris Est, a piloté une série de testings sur sept marchés qui conditionnent l'insertion sociale et professionnelle des jeunes. Pour la première fois, une étude a démontré l'existence de discriminations en dehors des domaines dans lesquels la littérature existe (enseignement, marché du travail, marché du logement), et prouve que les discriminations sont plus vastes que ce que l'on imagine. Les jeunes cumulent les discriminations liées à l'âge, l'origine et la réputation du lieu de résidence.

Les discriminations portent à la fois sur le fait d'accéder ou non aux services ou aux marchés, mais également les prix auxquels les jeunes y accèdent. L'enquête s'est déroulée entre janvier 2015 et février 2016, elle porte sur 2 527 tests pour 15 162 demandes envoyées. C'est l'une des plus grandes études jamais réalisée en France. Bien qu'elle porte sur des données partielles et non représentatives, elle met en lumière l'ampleur des discriminations. Nous avons travaillé avec six profils types dont nous avons fait varier certaines données comme le sexe, la consonance du nom et du prénom, et la réputation du lieu de résidence en Île-de-France, et les avons testés sur l'accès à certains biens et service, tels que l'accès à un moyen de transport individuel, la voiture d'occasion. Nous avons envoyé six messages similaires le jour de la mise en ligne de 489 annonces de voitures d'occasion, entre janvier et mai 2015. L'homme de 22 ans d'origine française a significativement plus de réponses que celui d'origine africaine ou celui qui réside dans un quartier prioritaire au titre de la politique de la ville.

Nous avons appliqué le même protocole pour l'accès à l'assurance automobile, et avons observé le même type de discrimination. Des tarifs différents sont proposés selon le sexe, le lieu de résidence et l'âge.

Nous avons par ailleurs demandé des devis auprès de 52 établissements de complémentaire santé. La jeune femme d'origine africaine reçoit moins fréquemment un accord de principe.

Pour la première fois, nous avons effectué des tests sur l'accès à la formation professionnelle pour adultes, dans lesquels l'individu plus âgé a significativement plus de chances d'obtenir une réponse positive. En revanche, les jeunes issus de l'immigration ou résidant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ont eu moins de retours positifs.

Les six individus fictifs ont par ailleurs sollicité 1 433 établissements proposant un hébergement de loisirs dans différentes régions. L'homme de 22 ans d'origine africaine avait significativement moins de retours positifs. Le lieu de résidence avait également un impact sur le taux de retour. Ces exemples démontrent que les effets du lieu de résidence et de l'origine ne sont pas toujours les mêmes. La discrimination liée à l'origine n'est pas significative dans les hôtels, en revanche elle s'exerce fortement dans les chambres d'hôtes et les campings.

Ces exemples révèlent la présence de discriminations sur les marchés auxquels on ne pense pas toujours, et pour lesquels on ne dispose pas d'études. Outre les études, le travail et le logement, les jeunes cumulent de nombreuses discriminations. Il existe parfois une dissociation entre l'origine ethnique des candidats et les personnes habitant dans certains quartiers. On observe une discrimination plus grande pour une personne d'origine africaine dans le rachat d'une petite entreprise, et une discrimination plus importante sur le marché des véhicules d'occasion pour les personnes vivant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville. Les discriminations observées s'exercent d'une part sur l'accès ou non à un marché ou un service, mais également sur la qualité ou la nature du service, ou le tarif proposé.

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