Intervention de le doyen Nicolas Bonnal

Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 12h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

le doyen Nicolas Bonnal, conseiller à la Cour de cassation, chambre criminelle :

Je vous remercie de m'avoir invité à contribuer à vos travaux. Nous sommes d'accord sur le fait que la réponse pénale, que notre société privilégie, n'est pas la seule ni même la plus efficace.

La direction des affaires criminelles et des grâces de la chancellerie est plus à même que moi de vous fournir des données chiffrées, même si elles ne sont pas exhaustives. La vision que j'ai de la chambre criminelle et de la Cour de cassation donne des indices intéressants sur les limites de la réponse pénale en la matière, ainsi que mon expérience, pendant huit ans, de la présidence de la chambre de la presse du Tribunal de grande instance de Paris.

Notre système pénal prévoit à la fois des infractions et des garanties à la liberté d'expression. En matière d'expression, il est important de dire qu'il est sans doute abusif de prétendre que le racisme ou l'expression raciste serait un délit. Notre droit reconnaît l'injure raciste, la diffamation raciste, et la provocation à la haine raciste. En dehors de ces trois infractions, définies par la loi, il peut subsister une marge d'expression raciste qui n'est pas pénalisable.

Il est également important de rappeler, sauf évolution possible mais à mon sens improbable de la loi, que celle-ci protège des personnes et que les infractions ne sont constituées que quand elles visent des personnes, non pas des idéologies ou des religions. La chambre criminelle de la Cour de cassation l'a jugé à plusieurs reprises et rappelle en permanence que seuls les propos qui visent une personne à raison de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sont pénalisés. Autrement dit, on peut heurter la sensibilité des adeptes d'une religion tant que l'on n'attaque pas les adeptes eux‑mêmes.

Par ailleurs, la loi retient comme critère l'appartenance à une nation, une ethnie, une race ou une religion, ce qui rend pénalisable le racisme anti-Français ou racisme anti-Blancs. Des exemples jurisprudentiels de cette pénalisation existent.

La place des infractions racistes dans la loi sur la liberté de la presse est discutée. Les associations antiracistes ont exprimé devant vous des positions que je connaissais déjà, et qui sont divergentes. Elle s'inscrit aujourd'hui au cœur du débat politique.

J'évoquerai trois contraintes et difficultés que rencontre la répression de la parole raciste, trois angles d'approche pour apprécier la pertinence de sortir de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 les infractions de presse racistes, créées par la loi du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme, dite « loi Pleven ». Les contraintes procédurales étaient alors fortes : précision de l'acte de poursuite, identification précise des propos, visa du texte de la loi poursuivi, prescription brève, et impossibilité de requalifier. Cela signifie que des propos poursuivis comme diffamatoires, c'est-à-dire comportant l'imputation d'un fait précis contraire à l'honneur et à la considération d'une personne à raison de son appartenance raciale, par exemple, ne pouvaient être requalifiés en injures, c'est-à-dire en propos qui ne contiennent l'imputation d'aucun fait précis mais qui sont insultants, outrageants ou méprisants.

Mais ce cadre procédural commun aux infractions de presse, dont les infractions à caractère raciste, a beaucoup évolué. La prescription a été allongée à un an par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. La loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté autorise la juridiction saisie de diffamation à requalifier en injure, ou la juridiction saisie pour provocation à la haine raciale à requalifier en injure raciale, par exemple. Il subsiste l'exigence de préciser le propos poursuivi.

Les difficultés procédurales me semblent théoriquement réglées, mais il faut du temps pour faire évoluer les pratiques des juristes qui sont, comme chacun le sait, conservateurs. Les exemples de requalification sont peu nombreux. Il subsiste donc l'exigence de préciser le propos poursuivi et de lui offrir une qualification dans l'acte de poursuite, qui pourra par la suite être modifiée par le biais d'une requalification. Mon expérience à la chambre criminelle me conduit néanmoins à penser que les parquets savent poursuivre les propos racistes, de même que les associations antiracistes, qui disposent à cette fin d'une marge de manœuvre importante. Les exigences procédurales ne sont donc peut-être pas aussi insurmontables qu'on ne le dit.

Sur le fond, la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation sur la notion de provocation à la haine ou à la discrimination en raison de la race est exigeante, mais conforme à l'esprit du texte. Ne sont qualifiés de « provocation à la haine » ou à la discrimination que les propos qui appellent expressément à la haine ou à la discrimination.

Le dernier point, que vous avez bien évoqué Mme la rapporteure, est le fait que le contentieux raciste est devenu un contentieux de masse avec internet et les réseaux sociaux. Les difficultés sont considérables. Elles ne sont pas liées à la place des infractions dans l'arsenal juridique, elles sont liées à l'enquête, à l'identification des auteurs, et au volume. Des solutions alternatives à la poursuite pénale doivent probablement être favorisées, ce que tentait de faire la proposition de loi de Mme Avia visant à lutter contre visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, adoptée en 2020.

Cette loi du 24 juin 2020 a été largement déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel, car les infractions en question sont des infractions du discours. Or l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme s'imposent au législateur et aux juges, quelle que soit la place de l'infraction dans l'arsenal juridique. Le Conseil constitutionnel a retenu que les contraintes imposées par la loi dite loi Avia aux opérateurs et plateformes étaient trop importantes au regard de ces principes constitutionnels et conventionnels. L'une des faiblesses de ce texte était de ne pas prévoir de recours pour la personne dont les propos auraient été supprimés par la plateforme en ligne. La qualification constitue un exercice difficile, comme toute qualification juridique d'un fait poursuivi pénalement. La loi manquait de recours pour la personne dont les propos auraient été supprimés par la plateforme pour faire dire in fine au juge dans le cadre d'un débat contradictoire si ces propos présentaient ou non le caractère d'une infraction et pouvaient ou non être rétablis.

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