En exigeant l'exhortation et le caractère explicite en matière de provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence, notamment à raison de la race, la jurisprudence tire les conséquences du texte même de la loi. Toutefois, la jurisprudence peut aussi condamner les appels implicites à la haine. Je pense notamment à la condamnation d'un écrivain qui expliquait que les institutions de la République (police, justice) étaient impuissantes face au risque « d'invasion » et de « remplacement » que constituerait l'immigration. Ces propos ont été jugés comme un appel implicite, car ils mènent à l'idée qu'il faudrait se défendre soi-même à la place de la justice et de la police.
Cette jurisprudence, bien qu'exigeante, ne me semble pas conduire à baisser la garde.
Vous évoquez la difficulté liée aux réseaux sociaux. Je reviens aux réseaux sociaux. Dans la loi Avia largement invalidée par le Conseil constitutionnel, l'auteur des propos retirés disposait d'un recours contre l'auteur du signalement, s'il le jugeait mensonger. C'était donc un recours difficile à mettre en œuvre, la mauvaise foi de l'auteur du signalement étant plus difficile à démontrer que la légèreté éventuelle de la plateforme. Je ne pense pas que le risque que les juges soient submergés par les recours soit si important, car pour faire un recours, il faut au préalable s'identifier, or de nombreux internautes préféreront conserver leur anonymat.
Le projet de parquet spécialisé vise une spécialisation de fait, mais pas une spécialisation de droit. Les infractions à la loi sur la presse peuvent être engagées devant n'importe quelle juridiction, même si la chambre spécialisée du tribunal judiciaire de Paris est particulièrement sollicitée. Les petites juridictions sont confrontées à la difficulté de faire face de façon pertinente aux contentieux peu fréquents, car elles ne disposent pas toujours des compétences que donnent l'expérience et la fréquentation régulière d'un contentieux. La démarche de spécialisation des procureurs et des juges me semble utile, même si la multiplication des spécialisations, ces dernières années, gêne la visibilité des juridictions spécialisées. Le parquet de Paris a, en la matière, d'une compétence spécifique, et il me semblerait logique de poursuivre la voie de la spécialisation sur la question du numérique et des réseaux sociaux.
Sur la question de l'intention raciste, il convient de distinguer les infractions du discours de la circonstance aggravante d'une infraction de droit commun, par exemple le caractère raciste d'une violence ou d'un meurtre. Pour les circonstances aggravantes, il faut établir la réalité de l'intention. Cela s'apparente à la recherche du mobile. À l'inverse, pour les infractions du discours, il suffit de décrypter le propos – peu importe ce que pensait réellement leur auteur.