Intervention de Trevor Phillips

Réunion du jeudi 26 novembre 2020 à 9h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Trevor Phillips, journaliste et écrivain, président du think-tank Runnymede Trust :

La question n'est pas tant celle du modèle (universaliste ou multiculturaliste) que celle du décalage entre des idéaux proclamés et la réalité de la société. La société repose sur ce que l'on se promet collectivement.

Je prendrai pour exemple la ségrégation du logement. Les États ont décidé de laisser les immigrés se loger où ils veulent, sans restreindre leur liberté. Cela a favorisé le développement des ghettos. Il y a seize ans, lorsque j'étais président de la Commission pour l'égalité raciale et les droits de l'homme, j'exprimais déjà mes craintes à ce sujet : en raison du multiculturalisme, je craignais que nous permettions aux ghettos de se développer. Or, le Royaume-Uni connaît aujourd'hui une bien plus grande ségrégation ethnique qu'il y a seize ans. Dans son ouvrage Whiteshift (2018), l'universitaire Eric Kaufmann démontrait qu'au cours des sept dernières années, 600 000 Blancs avaient quitté Londres, alors même que la population de Londres avait augmenté. Les communautés ethniques non blanches sont de plus en plus présentes dans les grandes villes mais, paradoxalement, elles ne se mélangent pas avec les Blancs. Cela crée donc davantage de brassage entre les communautés ethniques non blanches, mais en aucun cas de mélange entre les communautés ethniques non blanches et les Blancs. Cette conclusion est troublante dans une société qui se targue d'être cosmopolite.

Sur la gestion de l'immigration, je prendrai l'exemple de l'Allemagne qui a accueilli un million de migrants ces cinq dernières années. Il s'agit d'une réussite, parce que la décision d'accueillir ces migrants a été prise de manière transparente et ouverte et parce qu'elle a été soutenue par des fonds conséquents qui ont permis de financer les parcours d'intégration et les cours de langue. C'est un modèle auquel il faut réfléchir.

Je reviens enfin sur la question des modèles de réussite. Nous avons ce que l'on appelle au Royaume-Uni des « trésors nationaux ». Parmi ces modèles de réussite, il y a des personnes de couleur. Cela permet, comme vous le suggérez, de faire changer les choses.

Je citerai l'exemple d'un quartier très nanti du Nord-Ouest de Londres, qui était également un quartier très blanc ces vingt dernières années. Plus récemment, sa démographie a augmenté du fait de l'installation de familles nanties venues d'Asie du Sud-Est. Ces personnes, d'abord arrivées en tant que migrantes pauvres, ont réussi et ont déménagé afin de vivre parmi leurs pairs. Ainsi, résoudre les questions matérielles ne permettra pas de résoudre les questions d'intégration. Un groupe plus diversifié vaut toujours mieux qu'un groupe moins diversifié, quelle que soit la situation.

Enfin, parfois, la couleur de votre peau ou la langue que vous parlez n'ont que peu d'importance : en effet, si vous représentez l'autorité publique, personne ne veut vous rencontrer. Il faudrait que l'État reflète la situation du pays dans son ensemble, plutôt qu'il soit ressenti comme si éloigné et si différent des populations.

À propos de la carte scolaire, le Royaume-Uni devrait surveiller la composition ethnique de chaque établissement scolaire, afin d'éviter certains déséquilibres que l'on peut observer. D'où, encore une fois, l'importance des statistiques ethniques.

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