Intervention de Kofi Yamgnane

Réunion du jeudi 26 novembre 2020 à 10h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Kofi Yamgnane, ancien secrétaire d'État aux affaires sociales et à l'intégration :

. Je répondrai d'abord à votre interrogation sur les différences que je relève entre le moment où j'étais aux affaires et aujourd'hui. L'on ne peut pas dire que la société française est plus ou moins raciste en 2020 qu'en 1991. Je ne crois pas qu'il y ait une différence de quantité ou d'intensité de racisme. La différence est que par le passé, les racistes étaient anonymes. Cela n'est plus le cas aujourd'hui. En 2013, Christiane Taubira s'est rendue à Angers. Une petite fille sort des rangs et lui tend une banane, sous les yeux rieurs de ses parents, en disant : « Pour qui la banane ? Pour la guenon ». Cet événement dit bien que le racisme ne se cache plus ! Je rends responsable de cette idéologie le Front National, qui porte aujourd'hui le nom de Rassemblement National. Il a banalisé le racisme qui, pour la République Française, n'est pas une opinion comme les autres – le propos raciste constitue un délit, puni par la loi.

J'ai participé à la commission souhaitée par le président Nicolas Sarkozy et créée par Brice Hortefeux. Plusieurs questions principales se posaient. D'abord, est-il possible d'instaurer des quotas d'immigration ? Ensuite, est-il possible de mettre en place un tribunal pour juger rapidement les migrants en situation irrégulière et les reconduire tout de suite chez eux ? Enfin, si tout cela n'est pas possible, peut-on modifier la Constitution pour rendre cela possible ? J'ai estimé, en mon âme et conscience, et compte tenu des responsabilités que j'ai exercées dans ce pays, que mon rôle était de participer à cette commission. J'ai été à l'époque fortement critiqué par mon parti politique, le parti socialiste, pour avoir prêté mes compétences à un gouvernement de droite. J'estime que j'ai donné toutes mes compétences à la France, à mon pays. J'étais le seul socialiste encarté à participer à cette commission, et j'ai pu mesurer mon influence sur les débats, notamment en expliquant ma position sur les quotas. Les quotas me semblaient être trop compliqués à instituer. S'agissant du tribunal pour juger les migrants en situation irrégulière, cela était tout à fait inconstitutionnel – il y a bien longtemps déjà que la France ne dispose plus de tribunaux d'exception. Au final, la réponse apportée à toutes les questions posées a été négative. J'étais très satisfait d'y avoir participé. Je ne souhaitais pas défigurer mon pays, la République née en 1792.

Existe-t-il un modèle d'intégration ? Je ne le crois pas. Quand j'ai été élu maire en 1989, aucun autre maire n'était noir ou issu de la diversité. Dans ma grande naïveté, j'ai cru qu'ils seraient très nombreux six ans après, en 1995 – puisque j'allais montrer l'exemple, j'allais montrer qu'un immigré noir venu de la brousse du Togo pouvait gérer une commune française. Je me suis rendu compte qu'en 1995, il n'y avait pas davantage de maires noirs. Je me suis présenté à nouveau pour montrer que mon élection n'était pas un accident.

Nous avons pu penser que les mariages mixtes pourraient faire évoluer la situation. C'est vrai, mais cela n'est pas suffisant. L'école a un rôle absolument essentiel à jouer. L'école enseigne l'histoire, la morale, le civisme, la tolérance. Du jour où je suis allé à l'école, j'ai compris son importance. L'école a mis le globe terrestre à mes pieds. L'école a mis à ma disposition la rencontre, le dialogue, la conversation avec toutes les autres cultures du monde. La République Française m'a donné l'occasion de mener toutes ces rencontres et je ne l'en remercierai jamais assez. Elle m'a beaucoup enrichi. Je me sens plus riche aujourd'hui à la fois que le Togolais né en 1945 et resté au Togo, et que le Français né en 1945 et resté en France.

Il est exact que j'avais demandé et obtenu du Président Mitterrand de créer une cérémonie de naturalisation des étrangers. J'ai été, pour ma part, naturalisé dans des conditions tout à fait étonnantes. En 1976, quand mon fils est né, je me suis rendu compte que toute ma famille était française, sauf moi. J'ai donc demandé à devenir français. J'ai envoyé mon dossier de demande de naturalisation au ministère des affaires sociales. Des agents ont sillonné le village pour interroger les paysans, les commerçants. Puis, un jour de 1977, je reçois dans ma boîte aux lettres ma confirmation de naturalisation. Cela était absolument étonnant. Une fois aux affaires, j'ai souhaité créer une cérémonie pour célébrer le changement de statut des naturalisés et, pour ne pas les stigmatiser, j'ai souhaité que tous les jeunes Français qui atteignent l'âge de 18 ans y participent également. La cérémonie à la préfecture permettait de jouer la Marseillaise, d'expliquer ce que signifie la République, de remettre une carte électorale à tous les jeunes Français de 18 ans et de remettre une carte nationale d'identité à tous les étrangers qui venaient d'être naturalisés. Cette cérémonie marque le changement de statut. L'appartenance à la France donne des droits mais aussi des devoirs. Cette cérémonie a été supprimée très tôt après mon passage aux affaires et cela est très dommage.

Lorsque j'étais aux affaires, j'avais en effet formé beaucoup de projets qui n'ont pas pu aboutir. Je souhaitais mener un travail important sur l'esclavage, afin que les gens comprennent que l'histoire de la France ne peut s'écrire sans prendre en compte l'esclavage ni l'immigration. J'ai créé à cette fin la Fondation pour l'intégration républicaine, qui a mené plusieurs actions.

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