Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du jeudi 26 novembre 2020 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • intégration
  • racisme
  • raciste
  • village

La réunion

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La mission d'information procède à l'audition de M. Kofi Yamgnane, ancien secrétaire d'État aux affaires sociales et à l'intégration.

La séance est ouverte à 10 heures 05.

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. Nous poursuivons la mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme dans la société française.

Nous avons l'honneur de recevoir M. Kofi Yamgnane, ancien secrétaire d'État aux affaires sociales et à l'intégration pendant le second septennat de François Mitterrand, d'abord auprès de Jean-Louis Bianco, que nous avons reçu, puis de René Teulade. Votre présence à ces postes et à ce niveau de responsabilité a marqué l'histoire de nos gouvernements. Votre parcours est exceptionnel et rare dans notre République, et a permis l'arrivée de personnes de couleur à des postes visibles. Vous êtes natif du Togo. Après avoir exercé vos fonctions ministérielles, vous avez été député de la sixième circonscription du Finistère pendant de nombreuses années. Des parcours d'intégration tels que le vôtre sont exemplaires et inspirants pour la nation.

Nous aimerions que vous partagiez avec nous votre expérience et que vous analysiez avec recul la thématique du racisme, qui se lie aux enjeux d'éducation, de mémoire, de lutte contre les discriminations, d'accès aux charges publics, aux emplois, au logement.

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. Notre mission est très délicate, et revêt une grande utilité en regard de l'actualité. Avant toute chose, je souhaiterais que nous revenions sur l'aspect de modèle. Ensuite, je note un écueil important. Il convient d'éviter de considérer que la lutte contre le racisme légitimerait de fait le communautarisme. Nous veillerons à ce que notre rapport et nos propositions ne tombent pas dans cet écueil. Je souhaiterais enfin parler avec vous d'intégration, sujet que vous connaissez parfaitement.

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Kofi Yamgnane, ancien secrétaire d'État aux affaires sociales et à l'intégration

. Je ne suis pas un spécialiste du racisme, je ne suis pas sociologue, je ne suis pas un homme politique. Je suis un technicien, je suis un ingénieur diplômé de l'École des mines. Je vivais et travaillais dans le Finistère. Les habitants m'ont demandé de me présenter à l'élection municipale – je n'y ai d'abord pas cru. Ils m'ont convaincu et j'ai été élu maire de ce village. Je ne peux parler que de ce que j'ai vécu.

J'ai toujours vécu en campagne. Je n'ai pas vécu en ville et je n'ai pas fait l'expérience du racisme de manière aussi dure que les gens la racontent. Je suis fils de paysans venus du Togo. Je vis dans une région agricole et je crois en les civilisations paysannes. Si j'observe mes administrés travailler, ils n'ont pas besoin de venir m'expliquer leurs problèmes – je les connais car je suis issu de la même culture agricole qu'eux. Cela a beaucoup participé à mon intégration, une intégration douce qui a pris son temps. J'ai épousé une Bretonne et je suis chrétien baptisé. Tout cela a dû contribuer, chaque élément en ses moyens, à cette intégration.

Je continue à dire et à penser, contrairement à ce que les indigènes de la République et d'autres veulent dire de la France, que la France n'est pas un pays raciste, j'insiste. Dire qu'il y a des racistes en France – rien n'est plus normal. Il y a aussi des racistes au Togo, en Algérie, en Turquie ou en Chine. Dire que la France est un pays raciste est une injure. La République Française est construite sur la diversité. La France est un carrefour géographique, historique et culturel. Aucune institution en France n'est raciste.

Il y a des racistes en France, oui. J'en ai connu quelques-uns quand je résidais en ville. J'ai vécu une expérience navrante lorsque j'étais étudiant à l'École des mines. Mes camarades de promotion me disaient : « Dans les couloirs noirs de la cité universitaire, on ne te voit pas, sauf quand tu souris ». Ce n'est pas spécialement injurieux. J'ai été suffisamment formé à l'école de la République et je dispose d'une force mentale suffisante pour tourner en dérision ce genre de situations. Cela n'est pas extrêmement grave.

Qu'un Blanc soit surpris de rencontrer une personne noire – cela ne m'étonne pas. J'en ai fait l'expérience dans un village reculé du Finistère. J'ai poussé la porte d'un bistrot ; la patronne s'est précipitée pour refermer la porte sur moi et m'empêcher d'entrer. Elle venait de voir le diable en personne ! Elle n'avait jamais vu de Noir. Les habitants de ce village ont ensuite voté pour m'élire député ! La première fois que ma femme est venue dans mon village natal, là-aussi, les enfants couraient et pleuraient, stupéfaits. Ce genre d'étonnement, de situation, n'est pas grave et ne doit pas être stigmatisé comme le mépris que l'on peut théoriser. C'est quand il devient un comportement systématique qu'il est grave.

C'est en effet quand j'ai été élu maire que j'ai compris ce qu'était le racisme. J'ai lu les courriers que m'adressaient les administrés : « Espèce de sale nègre », « Espèce de singe », « Gros singe noir », « Remonte dans tes arbres », « Retourne chez toi, crois-tu pouvoir commander dans un pays de Blancs ?». J'ai reçu six cartons de courriers comme ceux-là. J'ai alors compris qu'il y avait des racistes en France. Puisqu'il s'agissait de courriers anonymes, je n'ai pas pu leur répondre et confronter mes idées avec les leurs. C'est pourquoi j'ai décidé cet été d'écrire un livre pour adresser une réponse collective à toutes ces personnes racistes qui m'ont écrit. Ce livre sera édité très bientôt. Je lutte, comme je peux, avec les moyens à ma disposition, pour que les hommes apprennent à accepter celui qui est différent. Je ne veux pas convertir tous les Français à la conduite non-raciste. Mais je veux apporter ma part. Pour cela, je suis très heureux de participer à votre mission.

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. Merci monsieur Yamgnane. Comment percevez-vous les évolutions de ces trente dernières années, entre la période pendant laquelle vous avez travaillé au gouvernement de la France et le contexte actuel ? Estimez-vous qu'il y a plus de racisme dans la société aujourd'hui que par le passé ? Ou le racisme est-il rendu plus visible, en raison notamment de l'avènement des réseaux sociaux ? Il s'agit de connaître votre sensibilité au contexte.

Ensuite, en 2008 se sont tenus deux débats sur l'identité nationale et la réforme constitutionnelle. Le ministre de l'intégration de l'époque, Brice Hortefeux, avait créé une commission pour réfléchir à la politique des quotas d'immigration. Vous étiez membre de cette commission ; quel souvenir en gardez-vous ? Quel regard portez-vous sur la politique d'intégration, qui est forcément une part de la politique migratoire, menée aujourd'hui dans notre pays ? Participe-t-elle d'une meilleure compréhension de la rencontre avec les nouveaux arrivants et de la lutte contre les discriminations ?

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. Vous en parliez, les sociologues relèvent que la France enregistre des records en matière de nombre de mariages mixtes. Cependant cela n'est pas suffisant pour générer une mixité réelle. La politique de peuplement est sûrement également fautive. Arrivons-nous à faire émerger suffisamment de modèles, qui doivent pouvoir s'exprimer et être entendus ? N'y a-t-il pas, d'ailleurs, différentes sortes de modèles ? Notre mission a également reçu Lilian Thuram. Nous avons entendu les propos d'Omar Sy. On voit aussi qu'un autre modèle de réussite que le vôtre existe, tenant parfois des propos très durs à l'encontre de nos institutions, très critique à l'égard de notre société, légitimement d'ailleurs à bien des égards. On peut regretter que cela ne permette pas d'entraîner, dans un creuset républicain comme vous le faites, plus de personnes.

Enfin, vous avez institué la cérémonie de naturalisation française. Cela est très précieux pour sacraliser ce moment, cette nouvelle ne devant pas arriver par courrier. Auriez‑vous eu envie de mettre en place d'autres mesures de cet ordre et vous n'avez pas pu le faire, faute de temps ?

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Kofi Yamgnane, ancien secrétaire d'État aux affaires sociales et à l'intégration

. Je répondrai d'abord à votre interrogation sur les différences que je relève entre le moment où j'étais aux affaires et aujourd'hui. L'on ne peut pas dire que la société française est plus ou moins raciste en 2020 qu'en 1991. Je ne crois pas qu'il y ait une différence de quantité ou d'intensité de racisme. La différence est que par le passé, les racistes étaient anonymes. Cela n'est plus le cas aujourd'hui. En 2013, Christiane Taubira s'est rendue à Angers. Une petite fille sort des rangs et lui tend une banane, sous les yeux rieurs de ses parents, en disant : « Pour qui la banane ? Pour la guenon ». Cet événement dit bien que le racisme ne se cache plus ! Je rends responsable de cette idéologie le Front National, qui porte aujourd'hui le nom de Rassemblement National. Il a banalisé le racisme qui, pour la République Française, n'est pas une opinion comme les autres – le propos raciste constitue un délit, puni par la loi.

J'ai participé à la commission souhaitée par le président Nicolas Sarkozy et créée par Brice Hortefeux. Plusieurs questions principales se posaient. D'abord, est-il possible d'instaurer des quotas d'immigration ? Ensuite, est-il possible de mettre en place un tribunal pour juger rapidement les migrants en situation irrégulière et les reconduire tout de suite chez eux ? Enfin, si tout cela n'est pas possible, peut-on modifier la Constitution pour rendre cela possible ? J'ai estimé, en mon âme et conscience, et compte tenu des responsabilités que j'ai exercées dans ce pays, que mon rôle était de participer à cette commission. J'ai été à l'époque fortement critiqué par mon parti politique, le parti socialiste, pour avoir prêté mes compétences à un gouvernement de droite. J'estime que j'ai donné toutes mes compétences à la France, à mon pays. J'étais le seul socialiste encarté à participer à cette commission, et j'ai pu mesurer mon influence sur les débats, notamment en expliquant ma position sur les quotas. Les quotas me semblaient être trop compliqués à instituer. S'agissant du tribunal pour juger les migrants en situation irrégulière, cela était tout à fait inconstitutionnel – il y a bien longtemps déjà que la France ne dispose plus de tribunaux d'exception. Au final, la réponse apportée à toutes les questions posées a été négative. J'étais très satisfait d'y avoir participé. Je ne souhaitais pas défigurer mon pays, la République née en 1792.

Existe-t-il un modèle d'intégration ? Je ne le crois pas. Quand j'ai été élu maire en 1989, aucun autre maire n'était noir ou issu de la diversité. Dans ma grande naïveté, j'ai cru qu'ils seraient très nombreux six ans après, en 1995 – puisque j'allais montrer l'exemple, j'allais montrer qu'un immigré noir venu de la brousse du Togo pouvait gérer une commune française. Je me suis rendu compte qu'en 1995, il n'y avait pas davantage de maires noirs. Je me suis présenté à nouveau pour montrer que mon élection n'était pas un accident.

Nous avons pu penser que les mariages mixtes pourraient faire évoluer la situation. C'est vrai, mais cela n'est pas suffisant. L'école a un rôle absolument essentiel à jouer. L'école enseigne l'histoire, la morale, le civisme, la tolérance. Du jour où je suis allé à l'école, j'ai compris son importance. L'école a mis le globe terrestre à mes pieds. L'école a mis à ma disposition la rencontre, le dialogue, la conversation avec toutes les autres cultures du monde. La République Française m'a donné l'occasion de mener toutes ces rencontres et je ne l'en remercierai jamais assez. Elle m'a beaucoup enrichi. Je me sens plus riche aujourd'hui à la fois que le Togolais né en 1945 et resté au Togo, et que le Français né en 1945 et resté en France.

Il est exact que j'avais demandé et obtenu du Président Mitterrand de créer une cérémonie de naturalisation des étrangers. J'ai été, pour ma part, naturalisé dans des conditions tout à fait étonnantes. En 1976, quand mon fils est né, je me suis rendu compte que toute ma famille était française, sauf moi. J'ai donc demandé à devenir français. J'ai envoyé mon dossier de demande de naturalisation au ministère des affaires sociales. Des agents ont sillonné le village pour interroger les paysans, les commerçants. Puis, un jour de 1977, je reçois dans ma boîte aux lettres ma confirmation de naturalisation. Cela était absolument étonnant. Une fois aux affaires, j'ai souhaité créer une cérémonie pour célébrer le changement de statut des naturalisés et, pour ne pas les stigmatiser, j'ai souhaité que tous les jeunes Français qui atteignent l'âge de 18 ans y participent également. La cérémonie à la préfecture permettait de jouer la Marseillaise, d'expliquer ce que signifie la République, de remettre une carte électorale à tous les jeunes Français de 18 ans et de remettre une carte nationale d'identité à tous les étrangers qui venaient d'être naturalisés. Cette cérémonie marque le changement de statut. L'appartenance à la France donne des droits mais aussi des devoirs. Cette cérémonie a été supprimée très tôt après mon passage aux affaires et cela est très dommage.

Lorsque j'étais aux affaires, j'avais en effet formé beaucoup de projets qui n'ont pas pu aboutir. Je souhaitais mener un travail important sur l'esclavage, afin que les gens comprennent que l'histoire de la France ne peut s'écrire sans prendre en compte l'esclavage ni l'immigration. J'ai créé à cette fin la Fondation pour l'intégration républicaine, qui a mené plusieurs actions.

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. Merci monsieur Yamgnane pour votre témoignage. Madame la rapporteure a évoqué les jeunes, comme Omar Sy, qui réussissent et se sentent racisés. J'ai bien entendu que la France n'était pas raciste – certains Français le sont, mais la République ne l'est pas. Pour autant, des jeunes se sentent aujourd'hui racisés et se disent victimes d'un racisme institutionnel. Nous travaillons sur l'émergence de nouvelles formes de racisme, c'est-à-dire sur l'évolution de la société en la matière. Qu'en pensez-vous ?

Par ailleurs, vous avez affirmé qu'il n'y a pas de modèle d'intégration. Ce modèle dépend-il seulement d'une personne, comme vous-même, qui s'intègre ?

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. Vous avez témoigné de votre expérience et du fait que la ruralité vous avait facilité la tâche, car vous vous sentiez proche de la terre et des personnes qui partageaient le même intérêt. La France n'aurait-elle pas le moyen d'accueillir dans ses petites villes et villages des immigrés et des demandeurs d'asile ? Chacun pourrait accepter d'accueillir une ou deux personnes, et leur offrir un toit et de la terre. Par ailleurs, il me semble qu'une des promesses de campagne du Président Mitterrand était d'accorder le droit de vote aux étrangers. J'ai du mal à comprendre pourquoi cette promesse, qui est sans cesse repoussée, est si difficile à mettre en place. L'accord du droit de vote ne participerait-il pas à l'intégration, en donnant l'occasion à chacun de participer aux décisions collectives ?

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Kofi Yamgnane, ancien secrétaire d'État aux affaires sociales et à l'intégration

. J'ai vu et j'ai compris que les jeunes se sentent racisés. En 2018, la France participait à la Coupe du monde de football en Russie. Je me suis rendu en banlieue pour assister à un match avec les jeunes et observer leurs réactions. La France affrontait ce jour-là la Belgique. Je leur ai demandé : « Quelle équipe soutenez-vous ? ». Ils ont répondu par le silence. L'un d'entre eux finit par me répondre qu'il regarde le match et ne soutient personne. J'étais très étonné de sa réponse. Nous n'aurions jamais entendu une telle réponse en 1998. En 1998, tous les jeunes étaient Français et soutenaient la France, sans aucune hésitation. Karim Benzéma dit, selon ses propres mots : « Quand je marque des buts, je suis Français ; quand je n'en marque pas, je suis un Arabe ». Cela veut dire quelque chose ! C'est cela se sentir racisé. Ces jeunes aiment la France, mais la France leur offre les petits boulots, le chômage et le mal-logement. Je leur explique que ce n'est pas cela : ce n'est pas parce qu'un employeur, un préfet ou un directeur départemental du logement vous refuse un emploi ou un logement que la France vous le refuse.

L'éducation est essentielle pour que la tolérance gagne et donner des réponses à toutes ces questions. Les jeunes se sentent racisés. Mes enfants sont métisses, mais on les qualifie de Noirs. Quand Obama est devenu président des États-Unis, on a dit qu'un Noir était devenu président. Pourquoi dit-on qu'il est noir ? On pourrait tout aussi bien dire qu'il est blanc, puisqu'il est métis. Mes enfants ont parfaitement bien réussi dans leur vie, ma fille étant une gynécologue renommée, et mon fils, ingénieur en informatique, est sorti de l'École nationale supérieure de techniques avancées. Mais il est parti travailler aux États-Unis car le patronat ici n'a pas accepté d'embaucher un métis. Il faut comprendre que le racisme est partout dans la société française. Dans la famille également : combien de lettres ai-je reçues de jeunes femmes dont les parents s'opposaient à un mariage mixte, ou même cette jeune femme enceinte, dont l'ami était Gabonais, racontant la réponse de sa mère lui disant d'avorter du « petit singe » qu'elle portait ! Je n'ai rien inventé, j'ai ce courrier ! Les gens me témoignent de cela ! Ainsi le racisme est-il présent dans le travail, dans la famille, et en politique.

J'ai remarqué que la dernière législature est, pour la première fois, composée d'une grande diversité. Avant cela, il n'y avait aucune diversité. Les partis politiques eux-mêmes considèrent qu'attribuer une circonscription à un Noir ou un Arabe revient à la perdre. Les partis politiques sont très en retard par rapport aux Français à ce sujet. Pour preuve, je ne me serais jamais présenté aux élections dans mon village si les habitants ne me l'avaient pas demandé. Le peuple de France est très avancé. Certes, j'ai reçu des lettres anonymes injurieuses. Mais que représentent mes six cartons de courriers, ces 500 lettres, sur les 70 millions de Français ? Il faut savoir relativiser les choses.

Sans doute me suis-je mal exprimé quand j'ai évoqué les modèles d'intégration. Bien sûr qu'un modèle d'intégration existe en France : il s'agit du modèle républicain, qui ne considère pas les communautés, mais les individus. D'autres modèles existent à l'étranger.

Le fond de ma pensée était que je n'incarne pas un modèle. Non, je ne suis pas un modèle. Si j'avais été un modèle, lorsque j'ai été élu, alors beaucoup d'autres élus issus de la diversité m'auraient suivi. Ma conviction profonde est qu'une réussite n'est pas individuelle, elle ne peut être que collective. Je pensais pouvoir entraîner beaucoup d'autres personnes derrière moi, mais cela n'a pas été le cas. J'ai échoué à cette tâche, et en ce sens, je dis que je ne suis pas un modèle.

Je reviens sur la problématique de l'accueil en campagne. Certains, dont de mes amis sont très … « sensibles » au nombre de personnes qu'ils perçoivent comme étrangères autour d'eux, tout en disant ne pas être racistes. Je suis arrivé ici en 1973 et je suis toujours le seul immigré dans le village. Les gens ne me voient plus noir. Qu'Harlem Désir vienne ici après mon élection avait d'ailleurs férocement vexé les gens qui me considèrent non pas comme Noir mais comme citoyen de Saint-Coulitz. Voilà le type de situations que j'ai vécues.

Si des personnes issues de l'immigration ou demandeurs d'asile pouvaient s'installer dans des villages français, cela permettrait d'absorber beaucoup des nouveaux arrivants. 75 % de nos 36 000 communes sont des villages. Cette solution permettrait de loger beaucoup de personnes et cela poserait beaucoup moins de problèmes que ce que nous vivons aujourd'hui ; mais cela ne se fait pas. Quand j'avais formulé cette proposition lorsque j'étais aux affaires en 1991, l'on m'avait répondu qu'il y avait trop peu d'emplois à la campagne. Mais on peut très bien vivre sans avoir de travail – j'ai un lopin de terre qui me permet de cultiver si je n'avais pas les moyens d'acheter. Il y aurait une plus grande fluidité des relations entre les hommes.

Le droit de vote aiderait beaucoup à l'intégration. Je suis un militant du parti socialiste et je me suis battu, aux côtés de François Mitterrand, en faveur de cette mesure. Nous n'y sommes pas arrivés. L'on m'a toujours opposé que l'opinion n'était pas prête. Mais Mitterrand a aboli la peine de mort alors que l'opinion n'était pas prête. Quand on veut, on peut. Jean Jaurès disait : « Là où il y a la volonté, il y a un chemin ».

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. Je vous remercie, monsieur Yamgnane, d'avoir pris le temps de nous répondre et de nous exposer votre témoignage. Au-delà des travaux que nous pouvons mener, il est important d'avoir la parole de personnes telles que vous qui se sont confrontées à l'exercice des responsabilités. Je prends vos propos comme un excès de modestie et tenais à souligner en conclusion que je vous avais trouvé trop dur avec vous‑même !

La séance est levée à 11 heures 05.