Intervention de Pr. Tariq Modood

Réunion du jeudi 26 novembre 2020 à 12h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Pr. Tariq Modood, professeur de sociologie à l'université de Bristol :

. Je vous remercie pour votre invitation. Personnellement, je ne conçois pas le multiculturalisme et l'universalisme comme deux concepts totalement opposés, même s'ils impliquent une approche différente de l'intégration. « L'intégration » suppose qu'une partie de la population soit différente du reste des citoyens, soit pour des raisons culturelles, soit pour des raisons identitaires ou sociales relatives à la race, à l'ethnicité ou aux religions.

Différents modèles d'intégration existent. Le modèle classique d'intégration en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis est l'assimilation. Elle suppose que le nouveau venu s'assimile au reste de la population, se fonde dans celle-ci et lui ressemble jusqu'à ne plus pouvoir en être distingué. Le multiculturalisme est un autre modèle d'intégration. Il ne s'oppose pas forcément, en ce sens, à l'universalisme.

Je vais tenter d'expliquer le multiculturalisme par l'angle de la valeur républicaine de laïcité. Dans le multiculturalisme, les individus sont libres de mener la vie qu'ils veulent, quelles que soient leur identité ethnique ou leurs convictions religieuses. Dans l'assimilation, la liberté individuelle existe aussi, mais elle est plus restreinte : il s'agit avant tout, pour s'assimiler, de se fondre dans un moule social préexistant. Ainsi, aucun élément nouveau ne peut être ajouté à ceux déjà présents et qui composent le moule du citoyen national.

Pour les partisans du multiculturalisme, l'assimilation est un facteur de division de la population. Le modèle assimilationniste implique de distinguer les personnes considérées comme des citoyens « normaux » et les autres, qui doivent tout faire pour devenir des citoyens « normaux ». Cette idée est incompatible avec l'idée d'égalité, puisque tous les citoyens n'ont alors pas la liberté d'exercer leurs propres choix de la même manière. Selon moi, il ne devrait pas être possible d'ériger une partie de la population en modèle auquel devrait se conformer le reste de la population.

Le multiculturalisme apporte un éclairage très intéressant au concept d'égalité. Dans le monde anglo-saxon, l'égalité est conçue comme une égalité de droits. Toute construction politique est fondée sur la volonté des individus et sur leurs droits individuels. À l'inverse, la conception républicaine met en avant le concept de collectivité, comme si les individus devaient une forme d'allégeance à l'État et à la République. Le libéralisme anglo-saxon considère ainsi que la république, la nation ou l'État est une construction politique ou un artefact, rendu possible par la volonté des individus, qui ont conclu des contrats leur reconnaissant des droits mutuels. L'État n'a pas d'autre signification que de faire respecter les droits des individus. Je note sur ce point une différence entre les traditions française et anglo-saxonne.

Dans le modèle britannique, il n'y a pas cependant pas que l'État et les individus : l'État reconnaît également l'existence de groupes d'individus. Ces groupes peuvent se voir reconnaître certains droits ; ou, plus exactement, les individus appartenant à des groupes le peuvent. Il en résulte une société composée d'individus, jouissant de droits, ainsi que de groupes d'individus, qui ne sont pas placés sur un pied d'égalité avec les premiers, mais qui jouissent également de certains droits. S'agit-il de droits collectifs, de droits accordés à des groupes ? Pas exactement. Les individus sont porteurs de droits. Les individus appartenant à des groupes peuvent bénéficier de certains droits qui leur sont spécifiquement accordés au titre de leur appartenance au groupe.

Par exemple, dans le monde anglo-saxon – aux États-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne – les membres de la communauté sikhe portent un turban. Dans d'autres pays, comme la France, on peut exiger d'eux qu'ils le retirent. En Grande-Bretagne, au contraire, nous pensons que le turban a une signification très importante pour les sikhs et que ceux-ci doivent pouvoir le porter quand ils le souhaitent. Nous sommes allés jusqu'à adapter les uniformes de police pour ne pas dissuader les sikhs d'y entrer : les policiers sikhs peuvent porter le turban à la place du képi.

Le groupe en tant que tel n'obtient pas de droits ; en revanche, les membres individuels de chaque groupe se voient conférer certains droits spécifiques en raison de leur appartenance à une communauté. Pourquoi devons-nous respecter les droits des communautés ? Parce que l'égalité recouvre deux aspects, l'égalité des droits et l'absence de discriminations. Dans le modèle multiculturaliste, nous respectons « l'identité de groupe » dès lors que les individus appartenant à ce groupe y attachent de l'importance. Je parle bien d'une identité qui ne relève pas de la sphère privée, mais de la sphère publique : elle est affichée et revendiquée comme telle au sein de la société.

Contrairement au modèle républicain, qui a une interprétation monistique de l'identité collective, le multiculturalisme reconnaît davantage l'importance de l'appartenance à un groupe infranational dans la définition de l'identité individuelle.

Les individus s'attachent à demeurer unis, se considérant tous citoyens de la même nation ; mais, pour ce faire, ils doivent respecter les différences qui existent entre eux. Le respect et la reconnaissance des identités singulières confortent alors le sentiment d'appartenance à la nation britannique. Ainsi, il est possible d'être musulman britannique, noir britannique, écossais, gallois, etc. Nous devons donc reformuler l'identité nationale pour y inclure les identités multiculturelles, plutôt que, à la façon du Président Macron, reformuler les identités de groupe pour faire en sorte qu'elles se conforment à l'identité nationale. Nous ne devons jamais forcer qui que ce soit à se fondre dans une identité collective.

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