. Je ne suis pas un sachant sur ces sujets extrêmement délicats et sensibles. Ayant travaillé récemment en Guadeloupe, je ne pense pas que nous puissions comparer les situations en Guadeloupe et à Mayotte. D'abord, le département de Mayotte a seulement dix ans. Ensuite, certains phénomènes ont été accélérés depuis la loi de départementalisation de ce territoire, qui ont entraîné des dysfonctionnements sérieux dans la société mahoraise.
À Mayotte, je ne ressens pas du tout de racisme institutionnel alors que je le percevais très fréquemment en Guadeloupe dans nos discussions lors de médiations de conflits sociaux. Pourtant, le gouvernement conduit à Mayotte une politique de convergence sur le code du travail, sur le code de la Sécurité sociale et sur les infrastructures. Nous sommes encore très loin des standards métropolitains. Un contrat de convergence a été signé en juillet 2019 entre l'État et le territoire, qui engage 1,6 milliard d'euros pour nourrir cet effort de convergence de Mayotte avec la métropole. Selon moi, le sentiment dominant ici est que l'État prend les mesures adaptées pour rapprocher chaque jour Mayotte du standard métropolitain.
Néanmoins, certains phénomènes graves sont liés aux problématiques que rencontre Mayotte. Le premier concerne l'immigration clandestine massive. Selon une étude de l'INSEE, la population d'origine étrangère et la population française se situent quasiment à parité à 50 %. 30 à 35 % de ces personnes d'origine étrangère sont des immigrés clandestins, c'est-à-dire sans aucun statut. Le droit génère de surcroît un certain nombre de situations « ni ni » : elles touchent principalement des mineurs qui étaient présents sur le territoire national, mais qui ne sont ni régularisables ni éloignables. Cette partie de la population sans statut ne peut pas s'insérer et doit vivre cela comme une charge considérable.
Ce phénomène est très présent et entraîne chez la population mahoraise le sentiment d'immigration massive. Or les migrants arrivant à Mayotte viennent essentiellement d'Anjouan, une île située à 70 kilomètres de Mayotte. Ils parlent la même langue, pratiquent la même religion et ont souvent des origines et des bases culturelles proches. Les Mahorais sont en construction de la nationalité qu'ils ont toujours revendiquée et dont ils sont dépositaires aujourd'hui. Au cours des vingt dernières années, la société mahoraise a subi des évolutions majeures, voire une véritable révolution, s'agissant de la structure familiale, de la gestion de l'état civil ou de la justice.
Quelquefois, cette évolution majeure a généré des comportements venant d'une perte de confiance ou d'identité qui ont conduit à un certain rejet du migrant qui vient chercher à Mayotte une solution économique. Avec un PIB de 10 000 euros/habitant/an à Mayotte contre 900 euros/habitant/an aux Comores et 450 euros/habitant/an à Madagascar, le département brille un peu comme un diamant dans cette région de l'Océan indien. Évidemment, cette île qui offre la même langue, la même culture et la même religion attire les populations voisines.
Cette immigration massive a bouleversé les services publics de l'école qui fonctionne sur un système de convocation des élèves le matin ou l'après-midi pour pallier l'insuffisance des infrastructures. Elle a bouleversé le service public sanitaire puisqu'une affluence considérable à la maternité de Mamoudzou, « la première maternité d'Europe », perturbe lourdement le service public. Selon le sentiment des Mahorais, elle a aussi perturbé la sécurité. Les populations sans statut, ne pouvant pas s'insérer et ne pouvant pas attendre toute l'aide nécessaire des associations caritatives qui sont moins nombreuses qu'en métropole, se retournent vers l'appropriation, ce qui a perturbé lourdement la sérénité de l'île au cours des vingt dernières années.
Si certains phénomènes peuvent être assimilés à de nouveaux racismes apparaissant sur le territoire ultramarin, à Mayotte c'est surtout une forme de racisme qui se développe à l'égard de l'autre pour se définir soi-même, à l'égard de celui qui a peut-être perturbé la vie sociale ou à l'égard de la religion de l'autre. Bien qu'elle ne soit pas massive, l'immigration de demandeurs d'asile venant de l'Afrique des Grands lacs est très remarquée dans l'opinion et dans les collectifs, car ils sont catholiques. Selon moi, ces phénomènes émergents sont essentiellement liés à l'immigration comorienne et africaine.
Pour illustrer mon propos, durant toute ma carrière, je n'avais jamais vu une telle situation où, à l'arrivée sur les côtes mahoraises d'un kwassa-kwassa sanitaire transportant une femme de 70 ans agonisante de maladie, un barrage de 200 à 400 villageois s'est constitué pour empêcher les services de secours d'accéder à la plage. Ce phénomène est présent à Mayotte, car la société de l'île a été totalement bouleversée au cours des 20 à 30 dernières années. Cela a été amplifié par la départementalisation.
De même, 400 personnes voulaient déloger des femmes et enfants demandeurs d'asile venant de la région des Grands lacs, que j'avais hébergés avec l'accord du maire dans une maison des jeunes et de la culture (MJC) pour les protéger des agressions dans la rue, puisque nous n'avons pas d'aide aux demandeurs d'asile (ADA) et peu de capacités d'hébergement d'urgence. Ce sont des phénomènes récents et nouveaux à Mayotte.
En résumé, je ne mesure pas de racisme institutionnel, mais des phénomènes nouveaux directement liés à l'immigration massive. En 2019, nous avons procédé à 27 000 éloignements et, pour la première fois, la population a diminué à Mayotte. Nous le constatons par la baisse de consommation du riz, de la vente des cartes téléphoniques prépayées et du nombre d'inscriptions supplémentaires dans les écoles de premier degré (200 au lieu de 2 000). Ces marqueurs ont montré que nous avons contenu l'immigration en 2019, voire diminué la pression de l'immigration.
L'effort a été identique, voire meilleur au premier trimestre 2020 jusqu'à ce que le président Azali décide de mettre un terme à la réadmission de ses ressortissants. À partir du 18 mars, les lignes aériennes ont été suspendues pendant trois mois et 15 000 à 17 000 éloignements n'ont pas pu avoir lieu, alors que nous avions un rythme de 31 000 éloignements par an au premier trimestre. Une ville entière est restée avec des problèmes de territorialisation, d'appropriation du territoire et de survie, d'autant que le confinement a été très respecté durant les quatre premières semaines, ce qui a anéanti l'économie informelle. Nous avons délivré 7 millions d'euros de bons alimentaires durant la crise sanitaire. Cette pression migratoire qui n'a pas pu être contenue a aussi généré une sorte de racisme de peur, car les Mahorais se sentent ou sont minoritaires dans certaines villes de l'île.