Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du mardi 1er décembre 2020 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • logement
  • mahorais
  • mayotte
  • racisme

La réunion

Source

La mission d'information procède à l'audition de M. Jean-François Colombet, préfet de Mayotte.

La séance est ouverte à 17 heures 10.

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Dans le cadre des auditions que nous menons pour la mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme, nous consacrons un cycle spécifique aux questions relatives à l'outre-mer. Outre un déplacement de Mme la rapporteure en Martinique, nous avons débuté ce cycle avec plusieurs auditions. Nous recevons aujourd'hui Monsieur Jean-François Colombet, préfet de Mayotte.

Notre mission d'information a été créée le 3 décembre 2019 et a intensifié ses travaux à l'issue du premier confinement. Notre objectif est de dresser un état des lieux des différentes formes de racisme qui s'expriment dans la société française, soit qu'elles persistent soit qu'elles apparaissent. Notre rapport vise à proposer des mesures ou pistes de réflexion pour que notre pays puisse lutter de manière plus effective contre ces racismes.

Nous traitons beaucoup des questions d'histoire, de mémoire et d'éducation ainsi que des questions policières et pénales. Nous traitons également des discriminations pouvant porter atteinte à la promesse d'égalité républicaine.

Le 1er octobre dernier, nous avons entendu le ministre de l'éducation nationale ainsi que Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances. Prochainement, nous auditionnerons M. le garde des Sceaux et, aujourd'hui, M. Mikaël Quimbert, sous-directeur adjoint des politiques publiques à la direction générale des outre-mer.

La question des outre-mer se situe à la croisée d'un grand nombre de problématiques. Elle revêt une dimension particulière pour notre mission.

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Au cours de mon déplacement en Martinique il y a quelques semaines, j'ai trouvé frappant que la moindre iniquité en termes de services publics ou d'inégalités territoriales soit perçue assez directement comme le prolongement d'un colonialisme et donc comme une forme de racisme, que les plus extrêmes vivent comme un racisme institutionnel. Nous ne partageons pas du tout cette définition, les discriminations étant souvent involontaires et rémanentes, mais notre mission doit traiter de ce sujet de préoccupation.

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Jean-François Colombet, préfet de Mayotte

. Je ne suis pas un sachant sur ces sujets extrêmement délicats et sensibles. Ayant travaillé récemment en Guadeloupe, je ne pense pas que nous puissions comparer les situations en Guadeloupe et à Mayotte. D'abord, le département de Mayotte a seulement dix ans. Ensuite, certains phénomènes ont été accélérés depuis la loi de départementalisation de ce territoire, qui ont entraîné des dysfonctionnements sérieux dans la société mahoraise.

À Mayotte, je ne ressens pas du tout de racisme institutionnel alors que je le percevais très fréquemment en Guadeloupe dans nos discussions lors de médiations de conflits sociaux. Pourtant, le gouvernement conduit à Mayotte une politique de convergence sur le code du travail, sur le code de la Sécurité sociale et sur les infrastructures. Nous sommes encore très loin des standards métropolitains. Un contrat de convergence a été signé en juillet 2019 entre l'État et le territoire, qui engage 1,6 milliard d'euros pour nourrir cet effort de convergence de Mayotte avec la métropole. Selon moi, le sentiment dominant ici est que l'État prend les mesures adaptées pour rapprocher chaque jour Mayotte du standard métropolitain.

Néanmoins, certains phénomènes graves sont liés aux problématiques que rencontre Mayotte. Le premier concerne l'immigration clandestine massive. Selon une étude de l'INSEE, la population d'origine étrangère et la population française se situent quasiment à parité à 50 %. 30 à 35 % de ces personnes d'origine étrangère sont des immigrés clandestins, c'est-à-dire sans aucun statut. Le droit génère de surcroît un certain nombre de situations « ni ni » : elles touchent principalement des mineurs qui étaient présents sur le territoire national, mais qui ne sont ni régularisables ni éloignables. Cette partie de la population sans statut ne peut pas s'insérer et doit vivre cela comme une charge considérable.

Ce phénomène est très présent et entraîne chez la population mahoraise le sentiment d'immigration massive. Or les migrants arrivant à Mayotte viennent essentiellement d'Anjouan, une île située à 70 kilomètres de Mayotte. Ils parlent la même langue, pratiquent la même religion et ont souvent des origines et des bases culturelles proches. Les Mahorais sont en construction de la nationalité qu'ils ont toujours revendiquée et dont ils sont dépositaires aujourd'hui. Au cours des vingt dernières années, la société mahoraise a subi des évolutions majeures, voire une véritable révolution, s'agissant de la structure familiale, de la gestion de l'état civil ou de la justice.

Quelquefois, cette évolution majeure a généré des comportements venant d'une perte de confiance ou d'identité qui ont conduit à un certain rejet du migrant qui vient chercher à Mayotte une solution économique. Avec un PIB de 10 000 euros/habitant/an à Mayotte contre 900 euros/habitant/an aux Comores et 450 euros/habitant/an à Madagascar, le département brille un peu comme un diamant dans cette région de l'Océan indien. Évidemment, cette île qui offre la même langue, la même culture et la même religion attire les populations voisines.

Cette immigration massive a bouleversé les services publics de l'école qui fonctionne sur un système de convocation des élèves le matin ou l'après-midi pour pallier l'insuffisance des infrastructures. Elle a bouleversé le service public sanitaire puisqu'une affluence considérable à la maternité de Mamoudzou, « la première maternité d'Europe », perturbe lourdement le service public. Selon le sentiment des Mahorais, elle a aussi perturbé la sécurité. Les populations sans statut, ne pouvant pas s'insérer et ne pouvant pas attendre toute l'aide nécessaire des associations caritatives qui sont moins nombreuses qu'en métropole, se retournent vers l'appropriation, ce qui a perturbé lourdement la sérénité de l'île au cours des vingt dernières années.

Si certains phénomènes peuvent être assimilés à de nouveaux racismes apparaissant sur le territoire ultramarin, à Mayotte c'est surtout une forme de racisme qui se développe à l'égard de l'autre pour se définir soi-même, à l'égard de celui qui a peut-être perturbé la vie sociale ou à l'égard de la religion de l'autre. Bien qu'elle ne soit pas massive, l'immigration de demandeurs d'asile venant de l'Afrique des Grands lacs est très remarquée dans l'opinion et dans les collectifs, car ils sont catholiques. Selon moi, ces phénomènes émergents sont essentiellement liés à l'immigration comorienne et africaine.

Pour illustrer mon propos, durant toute ma carrière, je n'avais jamais vu une telle situation où, à l'arrivée sur les côtes mahoraises d'un kwassa-kwassa sanitaire transportant une femme de 70 ans agonisante de maladie, un barrage de 200 à 400 villageois s'est constitué pour empêcher les services de secours d'accéder à la plage. Ce phénomène est présent à Mayotte, car la société de l'île a été totalement bouleversée au cours des 20 à 30 dernières années. Cela a été amplifié par la départementalisation.

De même, 400 personnes voulaient déloger des femmes et enfants demandeurs d'asile venant de la région des Grands lacs, que j'avais hébergés avec l'accord du maire dans une maison des jeunes et de la culture (MJC) pour les protéger des agressions dans la rue, puisque nous n'avons pas d'aide aux demandeurs d'asile (ADA) et peu de capacités d'hébergement d'urgence. Ce sont des phénomènes récents et nouveaux à Mayotte.

En résumé, je ne mesure pas de racisme institutionnel, mais des phénomènes nouveaux directement liés à l'immigration massive. En 2019, nous avons procédé à 27 000 éloignements et, pour la première fois, la population a diminué à Mayotte. Nous le constatons par la baisse de consommation du riz, de la vente des cartes téléphoniques prépayées et du nombre d'inscriptions supplémentaires dans les écoles de premier degré (200 au lieu de 2 000). Ces marqueurs ont montré que nous avons contenu l'immigration en 2019, voire diminué la pression de l'immigration.

L'effort a été identique, voire meilleur au premier trimestre 2020 jusqu'à ce que le président Azali décide de mettre un terme à la réadmission de ses ressortissants. À partir du 18 mars, les lignes aériennes ont été suspendues pendant trois mois et 15 000 à 17 000 éloignements n'ont pas pu avoir lieu, alors que nous avions un rythme de 31 000 éloignements par an au premier trimestre. Une ville entière est restée avec des problèmes de territorialisation, d'appropriation du territoire et de survie, d'autant que le confinement a été très respecté durant les quatre premières semaines, ce qui a anéanti l'économie informelle. Nous avons délivré 7 millions d'euros de bons alimentaires durant la crise sanitaire. Cette pression migratoire qui n'a pas pu être contenue a aussi généré une sorte de racisme de peur, car les Mahorais se sentent ou sont minoritaires dans certaines villes de l'île.

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Merci pour cette présentation générale et complète. Le rapport entre les autorités républicaines, la police et la population nous préoccupe beaucoup dans l'Hexagone actuellement. Je crois cette question assez prégnante aussi à Mayotte compte tenu de l'existence de formes de criminalité exacerbée et de la volonté d'apporter une réponse sécuritaire à l'égard des Comoriens, ce qui peut générer des accusations en matière de racisme ou de ciblage institutionnel. Pourriez-vous nous faire un état des lieux des questions de sécurité et des relations entre l'institution policière et la population sur ce point ?

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Le racisme de la peur apparaît lié à la peur d'être amputé de ses propres droits en étant Français et pouvant à ce titre prétendre à bénéficier de nombreuses politiques publiques. Comment gérez-vous l'attribution des logements entre des Mahorais et une population immigrée clandestine qui en a tellement besoin car les situations paraissent inextricables ?

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Jean-François Colombet, préfet de Mayotte

. La police et la gendarmerie sont attendues. Le ratio de policiers et gendarmes par habitant est plus important à Mayotte (480 pour 100 000 habitants) qu'en métropole (280 à 300/100 000 habitants). Il est justifié, car 65 % de la population mahoraise a moins de 25 ans et de nombreux jeunes sont déscolarisés. Le département est donc plus éruptif et plus compliqué à administrer que n'importe quel autre département métropolitain.

Le niveau de la délinquance est important, mais inférieur à celui d'autres départements métropolitains ou aux Antilles. Ainsi, en Guadeloupe, lorsque j'y exerçais de 2014 à 2017, nous comptions 50 homicides annuels. Ici, les choses ne sont pas du tout de cet ordre. En revanche, les troubles à l'ordre public sont nombreux. Les forces de l'ordre et particulièrement les gendarmes sont quotidiennement « caillassés ». Les Mahorais soutiennent la police, la gendarmerie et l'État. Ici, nous sommes très médiatisés et, en tant que représentant de l'État, je reçois partout des messages d'encouragement. Une partie de l'opinion cependant considère que la justice ne rend pas les décisions comme la société mahoraise le faisait trente ans auparavant.

En résumé, la police, la gendarmerie et la population entretiennent plutôt de bonnes relations alors qu'un jugement défavorable est porté contre l'institution judiciaire, bien qu'elle rende ses jugements normalement, sans aucun laxisme. Un véritable malaise existe, le dernier procureur de la République a été durement diffamé, pour la couleur de la peau, par les Mahorais eux-mêmes et il avait déposé plainte pour diffamation et propos racistes.

Dans un département où la priorité est la lutte contre l'immigration clandestine, il existe dans la police une grande composante de police aux frontières (PAF). Elle est alimentée pour lutter contre l'immigration clandestine. Son unité d'élite, le groupe d'appui opérationnel (GAO), réalise 84 à 85 % des interpellations sur l'espace public avant éloignement. Les fonctionnaires qui rejoignent le GAO sont volontaires. En réalisant tous ces éloignements, cette unité soulage le territoire des maux dont il souffre, mais il faut veiller à ce qu'elle reste dans le cadre républicain et de la loi. C'est l'une de mes préoccupations. Ainsi, avec le directeur territorial de la police nationale, nous sommes à la fois proches des fonctionnaires qui composent cette unité et exigeants. Nous sommes vigilants et la population le ressent, elle accepte le GAO.

Par ailleurs, de nombreuses opérations de maintien de l'ordre ont lieu. Face à nous, nous avons parfois des enfants. Lors de récents événements, nous avons interpellé un enfant de huit ans avec un cocktail Molotov dans les mains. Dans les secteurs de brousse, les gendarmes mobiles surtout sont à la manœuvre. À chaque fois que les relais arrivent, environ tous les trois mois, je mets un point d'honneur à les accueillir sur le tarmac de l'aéroport. Je les rassemble et leur rappelle qu'ils sont des professionnels. À ce titre, j'attends d'eux des gestes professionnels. Un geste non maîtrisé ou non professionnel qui conduirait au décès d'un enfant de huit ans provoquerait une explosion sur l'île. La situation serait immédiatement incontrôlable.

Les policiers et gendarmes exercent donc un métier difficile et délicat à Mayotte. Je crois que l'opinion voit les policiers et les gendarmes comme des professionnels qui font bien leur métier et qui restent rigoureusement dans le cadre de la loi.

S'agissant du rejet de l'autre, la présence comorienne n'est pas une invasion. Elle s'est construite progressivement. Avec les collectifs, nous partageons le constat suivant : il y a 30 ou 40 ans, des Mahorais souvent d'origine grand-comorienne ayant une situation financière plutôt favorable ont, presque à titre humanitaire, fait venir des personnes d'Anjouan pour les aider (garde d'enfants, travaux, commerces). Il existait alors un vrai sentiment de fraternité entre les Mahorais et les personnes habitant à Anjouan. Le rejet de l'autre est aujourd'hui très marqué, mais il est arrivé progressivement, au fur et à mesure des arrivées jusqu'à la départementalisation où l'immigration est devenue massive, à partir de 2011. Le lien fraternel est devenu un lien de rejet.

Tous les Mahorais ne rejettent pas tous les Anjouanais, mais il me semble qu'une majorité de la population est dans cette posture. De même, les Mahorais sont souvent rejetés par les Réunionnais et cela leur pose d'énormes problèmes.

Comment faire pour attribuer des logements en présence d'une population mahoraise qui vit majoritairement en dessous du seuil de pauvreté et d'une population anjouanaise sans statut ? Tout d'abord, aucun contingent préfectoral n'existait à Mayotte, c'est-à-dire que le préfet ne pouvait pas réserver une partie des logements pour les attribuer aux familles en difficulté. C'est un comble quand la puissance publique consacre via la Caisse des dépôts (CDC), l'unique bailleur social à Mayotte, 100 millions d'euros par an pendant dix ans pour produire 5 000 logements au terme de dix ans. C'est un effort considérable. Je signe cette semaine la convention avec le bailleur social pour installer ce contingent.

Nous avons moins de 100 logements pour gérer des cas d'extrême urgence, par exemple pour héberger des femmes victimes de violences intrafamiliales, mais nous n'avons pas un parc d'hébergement à la mesure du public que nous rencontrons.

Ainsi, le logement social est très défaillant. Un effort effectué aujourd'hui nous permettra de produire 500 logements sociaux par an. En dix ans, c'est insuffisant. Paradoxalement, Mayotte connaît probablement le dynamisme économique le plus puissant de tout l'outre-mer aujourd'hui. Le taux de croissance est très élevé. Le civisme fiscal ne cesse de progresser, c'est-à-dire que de plus en plus de personnes de Mayotte paient l'impôt parce qu'elles accèdent à l'emploi. En 2019, nous avons créé 4 000 emplois dans le secteur marchand. Très peu de ces employés ont accès au logement social. 1 500 ont accédé à un logement dur et une partie est restée dans les bidonvilles, faute d'autre solution.

C'est la raison pour laquelle nous sommes en train de développer un logement intermédiaire à bas coût qui serait branché à l'eau, contrairement aux logements mahorais, et serait doté d'électricité, contrairement aux bangas.

Dans ce contexte, l'attribution de logements est tout à fait délicate. Nous ne pouvons pas définir de stratégie sur ce sujet. D'abord, nous devons produire du logement, casser les bangas et les bidonvilles, héberger des personnes temporairement et leur permettre ensuite d'accéder au logement.

Actuellement, grâce à la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi « ELAN », nous détruisons des bidonvilles. La semaine dernière, nous avons détruit 96 bangas et interpellé 130 personnes en situation irrégulière qui ont été éloignées. Dans ces bangas sans accès à l'eau, à l'électricité et au confort habitaient des Français ou des étrangers disposant d'un titre de séjour régulier qui auraient pu prétendre, pour la même somme, à des logements sociaux. Ils ne le savaient pas.

De même, quand nous combattons l'immigration clandestine qui génère les phénomènes de rejet que j'ai décrits, nous combattons tous les moteurs : la construction illégale de logements, le travail illégal et l'économie informelle. Nous fournissons des efforts très denses sur le travail illégal qui attire des personnes plongées dans la pauvreté à 70 kilomètres d'ici et qui veulent survivre.

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Nous avons toujours tendance à mener des débats parallèles concernant la spécificité de Mayotte. Un futur projet de loi interviendra en début d'année. Selon vous, des préconisations particulières doivent-elles continuer à être proposées concernant le territoire de Mayotte afin de rattraper certains éléments que vous avez décrits ?

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Jean-François Colombet, préfet de Mayotte

. Ma réponse est personnelle et n'engage absolument pas le gouvernement que je représente à Mayotte. L'État conduit ici une politique de convergence pour rapprocher le standard mahorais du standard métropolitain : je pense qu'elle est utile, voire indispensable sur les sujets sociaux, notamment sur le code de la sécurité sociale. Pour le reste, compte tenu du retard considérable de Mayotte en matière d'infrastructures et de niveau scolaire, compte tenu du niveau de pauvreté absolue, notamment dans les bidonvilles, je pense qu'il faut également conduire une politique de différenciation. C'est une question d'équilibre. Il faut néanmoins respecter un niveau extrême de vigilance sur la protection de l'environnement, qui est l'un des moteurs économiques de Mayotte, de par la beauté de l'île, de son lagon et de ses forêts, avec la présence de ses tortues notamment. Une politique de différenciation nous permettrait d'alléger nos procédures, de mettre plus vite la commande publique à la disposition des entreprises, de construire plus vite des écoles, le système d'assainissement et les usines de potabilisation pour préserver le lagon, pour donner plus rapidement de l'eau à tous ceux qui n'y ont pas accès. Les personnes n'ayant pas accès à l'eau sur l'île sont très nombreuses.

Pour aller plus vite, nous devons nous libérer de notre carcan, qui est celui de tout pays développé et lourdement industrialisé. À Mayotte, nous devons faire abstraction de cela. Par exemple, une opération Résorption de l'habitat indigne (RHI) permet, en cinq à six ans et en mobilisant une trentaine de fonctionnaires d'État, de reloger 30 à 40 familles dans des conditions décentes alors que probablement 100 000 à 150 000 personnes vivent dans des conditions indécentes. La procédure RHI est beaucoup trop lourde et inadaptée au territoire mahorais. Ici, nous sommes dans une situation d'urgence, laquelle urgence nécessite parfois la différenciation des textes qui s'appliquent sur les grands services publics (logement, aménagement, assainissement, eau, etc.). Ce sentiment n'engage que moi.

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Il existe un lycée hôtelier à Mayotte. Quelle politique faudrait-il mettre en œuvre pour permettre à un maximum de jeunes d'entrer dans les cursus d'hôtellerie (CAP, bac professionnel) ? Est-il logique de développer ces formations alors que les jeunes ne pourront peut-être pas effectuer leur stage ou être embauchés dans des restaurants locaux et qu'ils risquent de devoir partir en métropole pour exercer leurs compétences ?

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Jean-François Colombet, préfet de Mayotte

. Nous nous interrogeons sur ce point. D'abord, le territoire mahorais est en croissance. Il affiche un dynamisme économique rarement égalé dans d'autres territoires de la République, qui génère de l'emploi et beaucoup de profit. La présence d'entreprises est insuffisante pour répondre à la demande. Une personne qui investit à Mayotte peut avoir un retour sur investissement conséquent et gagner beaucoup d'argent.

En outre, Mayotte a de fortes perspectives de développement. Les Mahorais attendent par exemple le rallongement de la piste d'atterrissage pour permettre aux gros-porteurs de se poser. Actuellement, la piste courte ne permet pas d'accueillir toutes les compagnies que nous souhaiterions. Des investissements considérables sont consentis sur la piste longue.

Par ailleurs, nous sommes en voie d'obtenir de Total ou de Technip que la base arrière de l'exploitation gazière du canal du Mozambique soit à Mayotte, car nous avons un port en eaux profondes. En tant qu'autorité de gestion sur les fonds européens à Mayotte, nous avons décidé de consacrer 35 millions d'euros sur la rénovation d'un quai du port de Longoni qui permettra d'amener de grands bateaux avec la possibilité de former des jeunes sur la filière marine. Ce développement s'accompagnera de transferts majeurs de personnes et de pouvoirs d'achat.

Il existe donc un cadre naturel somptueux, un patrimoine naturel encore préservé, des perspectives économiques extrêmement encourageantes et des investissements lourds qui pourront faire rayonner Mayotte sur cette région de l'Océan indien d'ici une quinzaine d'années. Autour de nous, rien ne peut faire concurrence à Mayotte.

En conséquence, ces emplois de l'hôtellerie et de la restauration sont attendus. Nous avons rencontré dernièrement les élèves du lycée hôtelier : tous avaient trouvé un stage dans les restaurants ou hôtels de l'île. L'industrie de service peut générer un potentiel d'emplois important et nous devons former des jeunes dans cette perspective.

Le groupe Accor arrive à Mayotte avec un projet de 12 millions d'euros d'investissement. Si son activité fonctionne bien, elle ouvrira des perspectives de développement de l'hôtellerie à Mayotte qui justifie de former des jeunes à ces métiers.

Il ne peut qu'être enrichissant de créer des passerelles avec la métropole ou avec la Réunion pour effectuer des stages en sortant de l'île. Néanmoins, il est absolument indispensable que les élites mahoraises restent sur le territoire. Or 5 000 Mahorais ont quitté le territoire au cours des cinq dernières années, essentiellement pour des questions scolaires. Dès lors que l'enfant atteint l'âge d'entrer en classe de sixième, les Mahorais qui ont un bon niveau de vie, qui sont formés et qui ont du travail sont tentés de quitter Mayotte pour rejoindre la Réunion ou la métropole. C'est un problème très grave pour Mayotte qui a besoin de ses cadres mahorais qui ont été formés pour développer ce territoire.

En conclusion, le stage à l'extérieur est une belle ouverture, mais nous devons de plus en plus vendre l'idée aux jeunes Mahorais en formation de rester sur le territoire pour le développer.

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Merci, monsieur le préfet, d'avoir pris le temps de cet échange et de nous avoir apporté vos éclairages ainsi que vos réponses concrètes. Ils nous permettent de mieux comprendre les enjeux auxquels nous sommes attachés.

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Jean-François Colombet, préfet de Mayotte

. Je le dis à tous les parlementaires : si vous ne connaissez pas Mayotte, venez ! Vous repartirez avec une idée différente de ce territoire qui est extrêmement attachant, tout comme sa population.

La séance est levée à 18 heures 10.