Intervention de Jean-François Colombet

Réunion du mardi 1er décembre 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Jean-François Colombet, préfet de Mayotte :

. La police et la gendarmerie sont attendues. Le ratio de policiers et gendarmes par habitant est plus important à Mayotte (480 pour 100 000 habitants) qu'en métropole (280 à 300/100 000 habitants). Il est justifié, car 65 % de la population mahoraise a moins de 25 ans et de nombreux jeunes sont déscolarisés. Le département est donc plus éruptif et plus compliqué à administrer que n'importe quel autre département métropolitain.

Le niveau de la délinquance est important, mais inférieur à celui d'autres départements métropolitains ou aux Antilles. Ainsi, en Guadeloupe, lorsque j'y exerçais de 2014 à 2017, nous comptions 50 homicides annuels. Ici, les choses ne sont pas du tout de cet ordre. En revanche, les troubles à l'ordre public sont nombreux. Les forces de l'ordre et particulièrement les gendarmes sont quotidiennement « caillassés ». Les Mahorais soutiennent la police, la gendarmerie et l'État. Ici, nous sommes très médiatisés et, en tant que représentant de l'État, je reçois partout des messages d'encouragement. Une partie de l'opinion cependant considère que la justice ne rend pas les décisions comme la société mahoraise le faisait trente ans auparavant.

En résumé, la police, la gendarmerie et la population entretiennent plutôt de bonnes relations alors qu'un jugement défavorable est porté contre l'institution judiciaire, bien qu'elle rende ses jugements normalement, sans aucun laxisme. Un véritable malaise existe, le dernier procureur de la République a été durement diffamé, pour la couleur de la peau, par les Mahorais eux-mêmes et il avait déposé plainte pour diffamation et propos racistes.

Dans un département où la priorité est la lutte contre l'immigration clandestine, il existe dans la police une grande composante de police aux frontières (PAF). Elle est alimentée pour lutter contre l'immigration clandestine. Son unité d'élite, le groupe d'appui opérationnel (GAO), réalise 84 à 85 % des interpellations sur l'espace public avant éloignement. Les fonctionnaires qui rejoignent le GAO sont volontaires. En réalisant tous ces éloignements, cette unité soulage le territoire des maux dont il souffre, mais il faut veiller à ce qu'elle reste dans le cadre républicain et de la loi. C'est l'une de mes préoccupations. Ainsi, avec le directeur territorial de la police nationale, nous sommes à la fois proches des fonctionnaires qui composent cette unité et exigeants. Nous sommes vigilants et la population le ressent, elle accepte le GAO.

Par ailleurs, de nombreuses opérations de maintien de l'ordre ont lieu. Face à nous, nous avons parfois des enfants. Lors de récents événements, nous avons interpellé un enfant de huit ans avec un cocktail Molotov dans les mains. Dans les secteurs de brousse, les gendarmes mobiles surtout sont à la manœuvre. À chaque fois que les relais arrivent, environ tous les trois mois, je mets un point d'honneur à les accueillir sur le tarmac de l'aéroport. Je les rassemble et leur rappelle qu'ils sont des professionnels. À ce titre, j'attends d'eux des gestes professionnels. Un geste non maîtrisé ou non professionnel qui conduirait au décès d'un enfant de huit ans provoquerait une explosion sur l'île. La situation serait immédiatement incontrôlable.

Les policiers et gendarmes exercent donc un métier difficile et délicat à Mayotte. Je crois que l'opinion voit les policiers et les gendarmes comme des professionnels qui font bien leur métier et qui restent rigoureusement dans le cadre de la loi.

S'agissant du rejet de l'autre, la présence comorienne n'est pas une invasion. Elle s'est construite progressivement. Avec les collectifs, nous partageons le constat suivant : il y a 30 ou 40 ans, des Mahorais souvent d'origine grand-comorienne ayant une situation financière plutôt favorable ont, presque à titre humanitaire, fait venir des personnes d'Anjouan pour les aider (garde d'enfants, travaux, commerces). Il existait alors un vrai sentiment de fraternité entre les Mahorais et les personnes habitant à Anjouan. Le rejet de l'autre est aujourd'hui très marqué, mais il est arrivé progressivement, au fur et à mesure des arrivées jusqu'à la départementalisation où l'immigration est devenue massive, à partir de 2011. Le lien fraternel est devenu un lien de rejet.

Tous les Mahorais ne rejettent pas tous les Anjouanais, mais il me semble qu'une majorité de la population est dans cette posture. De même, les Mahorais sont souvent rejetés par les Réunionnais et cela leur pose d'énormes problèmes.

Comment faire pour attribuer des logements en présence d'une population mahoraise qui vit majoritairement en dessous du seuil de pauvreté et d'une population anjouanaise sans statut ? Tout d'abord, aucun contingent préfectoral n'existait à Mayotte, c'est-à-dire que le préfet ne pouvait pas réserver une partie des logements pour les attribuer aux familles en difficulté. C'est un comble quand la puissance publique consacre via la Caisse des dépôts (CDC), l'unique bailleur social à Mayotte, 100 millions d'euros par an pendant dix ans pour produire 5 000 logements au terme de dix ans. C'est un effort considérable. Je signe cette semaine la convention avec le bailleur social pour installer ce contingent.

Nous avons moins de 100 logements pour gérer des cas d'extrême urgence, par exemple pour héberger des femmes victimes de violences intrafamiliales, mais nous n'avons pas un parc d'hébergement à la mesure du public que nous rencontrons.

Ainsi, le logement social est très défaillant. Un effort effectué aujourd'hui nous permettra de produire 500 logements sociaux par an. En dix ans, c'est insuffisant. Paradoxalement, Mayotte connaît probablement le dynamisme économique le plus puissant de tout l'outre-mer aujourd'hui. Le taux de croissance est très élevé. Le civisme fiscal ne cesse de progresser, c'est-à-dire que de plus en plus de personnes de Mayotte paient l'impôt parce qu'elles accèdent à l'emploi. En 2019, nous avons créé 4 000 emplois dans le secteur marchand. Très peu de ces employés ont accès au logement social. 1 500 ont accédé à un logement dur et une partie est restée dans les bidonvilles, faute d'autre solution.

C'est la raison pour laquelle nous sommes en train de développer un logement intermédiaire à bas coût qui serait branché à l'eau, contrairement aux logements mahorais, et serait doté d'électricité, contrairement aux bangas.

Dans ce contexte, l'attribution de logements est tout à fait délicate. Nous ne pouvons pas définir de stratégie sur ce sujet. D'abord, nous devons produire du logement, casser les bangas et les bidonvilles, héberger des personnes temporairement et leur permettre ensuite d'accéder au logement.

Actuellement, grâce à la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi « ELAN », nous détruisons des bidonvilles. La semaine dernière, nous avons détruit 96 bangas et interpellé 130 personnes en situation irrégulière qui ont été éloignées. Dans ces bangas sans accès à l'eau, à l'électricité et au confort habitaient des Français ou des étrangers disposant d'un titre de séjour régulier qui auraient pu prétendre, pour la même somme, à des logements sociaux. Ils ne le savaient pas.

De même, quand nous combattons l'immigration clandestine qui génère les phénomènes de rejet que j'ai décrits, nous combattons tous les moteurs : la construction illégale de logements, le travail illégal et l'économie informelle. Nous fournissons des efforts très denses sur le travail illégal qui attire des personnes plongées dans la pauvreté à 70 kilomètres d'ici et qui veulent survivre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.