Intervention de Yazid Chir

Réunion du jeudi 3 décembre 2020 à 9h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Yazid Chir, cofondateur et président de Nos quartiers ont du talent (NQT) :

Notre association, Nos quartiers ont du talent, a été créée il y a quinze ans, juste avant les émeutes ayant eu lieu dans les banlieues en 2005. Elle se fonde sur un constat simple : à l'époque, les hauts diplômés en Seine-Saint-Denis avaient jusqu'à cinq fois moins de chance de décrocher un entretien d'embauche que la moyenne nationale. Ces chiffres sont issus de la première étude de testing menée à grande échelle sur les hauts diplômés de Seine-Saint-Denis, publiée à la fin de l'année 2004. Elle concluait à plusieurs critères discriminatoires : le code postal, l'origine sociale, le patronyme étranger.

Nos quartiers ont du talent a mobilisé les entreprises afin de participer à une expérience pilote avec 200 jeunes identifiés par Pôle Emploi sur les critères de l'étude : diplômés à Bac+4, ayant moins de trente ans et résidant en Seine-Saint-Denis. Les entreprises mobilisées s'étaient engagées à recevoir en entretien les jeunes sélectionnés à la seule condition que leur CV corresponde à un poste ouvert au recrutement au sein de l'entreprise. L'opération a été lancée avec une centaine d'entreprises et 200 jeunes en novembre 2005. Pour nous assurer de la réussite de l'opération, à savoir que les jeunes seraient non seulement reçus en entretien mais recrutés, nous avons au préalable reçu les jeunes par petits groupes. Je vous livre le portrait-type des 200 jeunes sélectionnés pour l'opération : il s'appelle Jean-Luc Willybiro, est originaire de Centrafrique, né à Saint-Denis et issu d'une fratrie de cinq enfants. Son père est ouvrier et sa mère est mère au foyer. Puisque ses parents n'ont pas les moyens de payer des études à tous leurs enfants, il est l'élu et va représenter l'espoir de la méritocratie pour toute sa famille. Titulaire de deux masters, après plusieurs mois de recherches d'emploi infructueuses, il se résigne à envoyer sa candidature pour un travail alimentaire, pour lequel on lui répond qu'il est surqualifié. Il supprime alors la mention de ses six années d'études supérieures pour accéder à des petits boulots. Au bout d'un an et demi, des droits Pôle Emploi lui sont ouverts. C'est à ce moment-là qu'il est sélectionné pour l'opération Nos quartiers ont du talent. Ces jeunes ont perdu confiance en eux et, dans ces conditions, ne seront pas recrutés s'ils décrochent un entretien d'embauche.

Partant de ce constat, nous avons recruté des parrains et marraines occupant des postes décisionnaires dans les entreprises et nous avons monté un système de coaching et de mentoring. Six mois après le lancement de l'opération, 60 % des 200 jeunes ont été recrutés à leur niveau de diplôme. Nous avons comparé ces chiffres avec ceux de l'éducation nationale, qui montrent que 51 % des hauts diplômés trouvent un emploi à la hauteur de leur diplôme en onze à douze mois de moyenne. Nous avons donc atteint des résultats légèrement meilleurs que la moyenne nationale, en deux fois moins de temps et dans un environnement dans lequel les jeunes diplômés ont cinq fois moins de chance d'accéder à un entretien d'embauche.

L'association Nos quartiers du talent est aujourd'hui présente dans toutes les régions, y compris dans les départements d'outre-mer. Nous avons accompagné plus de 60 000 jeunes, qui ont bénéficié d'un mentoring et d'un accompagnement par des cadres expérimentés en activité. Notre taux de succès est passé de 60 % à 80 % en six mois. Ainsi, la période de recherche d'emploi des jeunes est réduite de douze mois en moyenne.

Forts de ces réussites, nous avons collecté beaucoup de données depuis quinze ans. Nous dressons un premier constat : le principal critère de discrimination est le manque de réseau. À un niveau élevé de diplôme, 70 % des emplois sont obtenus par le réseau – l'absence de réseau constitue un fort handicap. Le deuxième critère de discrimination est lié à l'orientation subie. Plus de 50 % des jeunes accompagnés se concentrent dans quatre grandes filières : le marketing, la communication, les ressources humaines et le juridique. La moyenne du besoin réel des entreprises dans ces domaines est de 5 % à 10 %. Les jeunes se dirigent donc trop souvent vers des filières qui emploient peu. Enfin, nous avons remarqué que la moitié des jeunes, après avoir essuyé plusieurs refus dans leurs recherches – par manque de réseau, par mauvaise orientation, ou en raison de la discrimination – se rabat durablement sur des emplois peu qualifiés. Ils constituent alors des exemples à ne pas suivre pour tous les jeunes qui préfèreront se tourner vers la voie de l'argent facile par, par exemple, le trafic.

Le premier secteur informel organisé en France est ainsi le trafic de cannabis. Cela participe au fait qu'une énorme différence culturelle, sociale, hiérarchique se crée avec les jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Le racisme est lié à la différence et à la peur de l'autre – et ce phénomène risque de s'accélérer.

L'expérience de Nos quartiers ont du talent a démontré qu'apporter un petit coup de pouce à des jeunes diplômés, en offrant quelques heures de son temps, en ouvrant l'accès à un réseau et en leur redonnant confiance, leur permet de devenir des modèles, des exemples à suivre. Nous avons démontré que l'entraide pouvait changer les choses. Une moyenne de trois heures par mois, soit dix-huit heures sur six mois, peut changer durablement le cours de la vie d'un jeune et de l'ensemble de son entourage. Nous sommes convaincus que la seule arme de destruction massive du racisme est l'éducation.

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