Intervention de Anne-Laure Cuq

Réunion du jeudi 3 décembre 2020 à 9h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Anne-Laure Cuq, directrice régionale Sud-Ouest de Les entreprises pour la cité :

Les entreprises pour la cité ont été créées par Claude Bébéar il y a une trentaine d'années. Notre objectif est d'accompagner les entreprises dans leur engagement sociétal en poursuivant la conviction que les entreprises ont leur part à faire. Trois sujets nous tiennent particulièrement à cœur : l'égalité des chances dans l'éducation, l'accès à l'emploi et la diversité dans l'entreprise, et enfin le mécénat.

Nous constituons un réseau d'entreprises et non une association de lutte contre les discriminations. Nous accompagnons les entreprises au quotidien en organisant des opérations de sensibilisation, des formations, des séances de groupes de travail, des échanges entre pairs, par exemple. Nous les engageons également à participer à des actions concrètes sur le terrain. Enfin, nous partageons leurs bonnes pratiques afin que les plus avancées inspirent les autres sur ces différents sujets. Nous proposons d'être le relais des réalités que nous constatons dans nos échanges avec les responsables des ressources humaines, de l'inclusion ou de la diversité au sein des entreprises.

Nous formulons trois constats principaux. Le premier est que le racisme dans l'entreprise est une réalité. Nous sommes confrontés à des actes, à des propos, à des comportements racistes et à des discriminations liées à l'origine des personnes dans la sphère de l'emploi. Les discriminations à l'embauche sont le phénomène le plus connu et le mieux identifié, et les engagements des entreprises portent souvent sur ce phénomène en priorité.

Cependant, nous constatons également des discriminations dans l'évolution de carrière. La mesure de ces phénomènes est insuffisante, bien que le plafond de verre soit manifeste : passé un certain niveau hiérarchique, tous les membres des comités de direction ou des comités exécutifs sont blancs. Ce plafond de verre existe de toute évidence, il est connu et admis par beaucoup de nos interlocuteurs.

Nous constatons enfin un racisme ordinaire, qui est diffus et va affecter les relations de travail. L'essentiel est évidemment d'entrer dans l'entreprise et d'accéder à une carrière, mais la qualité des relations de travail au quotidien est également affectée par des remarques récurrentes, des plaisanteries par exemple. Elles constituent des micro-agressions, des phénomènes infraliminaux qui ne sont pas communiqués à la hiérarchie, en partie car ils ne sont pas toujours identifiés comme des phénomènes racistes par les personnes qui en sont elles-mêmes victimes. Pour autant, la récurrence et l'intention négative de ces phénomènes créent un vécu compliqué qui peut déboucher sur de vraies difficultés dans l'entreprise, comme l'autocensure et la mésestime de soi.

Le second constat est que le sujet est insuffisamment qualifié et mesuré. La mesure est compliquée, cependant elle est possible – elle est clairement insuffisante dans les entreprises. Les testing à l'embauche pourraient être largement généralisés, de même que les audits sur les procédures de ressources humaines. Nous disposons de peu de baromètres annuels ou d'enquêtes de perception qui pourraient permettre de mieux saisir le racisme diffus ou les micro-agressions – car la perception des discriminations est tout aussi importante que la mesure factuelle et légale des discriminations dans l'évolution et dans les projections professionnelles des personnes. Nous ne disposons pas d'indicateurs de suivi sur l'origine traitant de l'évolution de carrière ou de l'accès à la promotion par exemple. Tout cela résulte en une connaissance incomplète du sujet. Les directions disposent donc d'une vision très parcellaire et ne sont pas sûres d'agir de la bonne manière ou en visant les bonnes cibles.

Le troisième constat est que la discrimination est un sujet d'attention pour les entreprises, mais pour autant leurs actions sont limitées. Le sujet de la discrimination en raison de l'origine n'est jamais traité frontalement et est souvent englobé dans des politiques plus larges, ce qui contribue en partie à invisibiliser le problème. Si le sujet est traité, il va donc souvent l'être en même temps que d'autres sujets. Ainsi nos interlocuteurs nous demandent d'organiser une session de sensibilisation sur les préjugés : une partie sera consacrée aux origines – l'âge, le genre, le handicap seront traités sur le même plan. Beaucoup d'entreprises sont également engagées en faveur de l'accès à l'emploi des personnes issues des quartiers prioritaires de la politique de la ville : les deux choses vont se confondre, et la discrimination en raison de l'origine sera alors traitée de manière indirecte. D'autres approches indirectes peuvent concerner la diversité religieuse au sein de l'entreprise ou l'emploi des personnes réfugiées. Les actions directes sont, en revanche, timides et très peu nombreuses. Elles constituent souvent des actions isolées, et ne sont jamais intégrées dans un grand plan de lutte contre le racisme dans l'entreprise.

Le terme de racisme est d'ailleurs très rarement employé. Notre expérience montre que le mot « racisme » est tabou en entreprise. Certaines personnes souhaiteraient investir ce sujet mais ne savent pas comment le faire. Cela nous questionne sur les barrières persistantes en la matière. Nous avons créé la charte de la diversité il y a quatorze ans. Malgré la conscience du phénomène et la bonne volonté, pourquoi n'arrivons-nous pas à concrétiser ces actions ? Je constate la complexité de la mesure des discriminations en raison de l'origine ainsi qu'un phénomène de concurrence entre les différentes thématiques de la diversité – le racisme ne se situe pas en première ligne.

Nous préconisons, à l'échelle de l'entreprise, de dresser d'abord un état des lieux. Nous suggérons de travailler à l'objectivité et à la transparence des processus, de traiter les signalements et de travailler à la formation. La méconnaissance des moyens d'agir et de réagir freine l'évolution professionnelle et le bien-être ensemble. Il est essentiel de braquer les projecteurs sur ce sujet – il semble que la contrainte légale est très efficace en la matière.

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