Intervention de Yannick L'Horty

Réunion du jeudi 3 décembre 2020 à 10h30
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Yannick L'Horty, professeur d'économie à l'Université Gustave Eiffel, directeur de la fédération Théorie et évaluation des politiques publiques (n° 2042 du Centre national de la recherche scientifique - CNRS) :

La fédération de recherche Théorie et évaluation des politiques publiques regroupe dix laboratoires et 230 enseignants‑chercheurs. Nous sommes un opérateur académique de l'évaluation des politiques publiques. Au sein de la fédération, le groupe d'études sur l'origine des discriminations et sur l'égalité est dédié spécifiquement à la mesure des discriminations, par le recours aux tests de situation ou tests de correspondances, une méthode expérimentale de mesure des discriminations objectives et directes. Le groupe d'études effectue ces tests depuis le début des années 2000 pour le compte de plusieurs agences et opérateurs publics.

Nous intervenons dans deux domaines pour mesurer les discriminations sur le marché du travail. La seule façon de véritablement mesurer les discriminations ayant un caractère objectif et direct est d'utiliser les opérations pièges, proposées par des sociologues dans les années 1960 et qui se sont développées de façon exponentielle ces dix dernières années. Notre démarche est double : nous suivons les méthodes de testings scientifiques pour mesurer les discriminations sur la base de différents critères, et nous appliquons les méthodes dites d'évaluation expérimentale des politiques publiques à la question des discriminations. Notre objectif est d'identifier quels dispositifs de l'arsenal de politiques publiques antidiscriminatoires fonctionnent réellement. Les acteurs publics et privés font preuve d'un grand dynamisme en la matière : une variété d'actions existe – mais elles ne sont pas évaluées. Développer les travaux d'évaluation dans ces domaines relève donc d'un enjeu prioritaire pour la recherche ainsi que pour la décision publique.

Je présenterai brièvement certaines de nos opérations de recherche. Nous avons réalisé en 2019 pour le compte du ministère du logement et de la ville une opération de testings qui a bénéficié d'une large médiatisation. Nous avons testé 103 très grandes entreprises par l'envoi d'un total de 17 163 demandes de candidats fictifs à l'emploi. Cette étude confirme les études antérieures : des discriminations – c'est-à-dire des différences de traitement sur la base de critères prohibés – s'opèrent dans l'accès à l'emploi. L'étude a mis en évidence des différences de traitement importantes entre un candidat de référence, dont le nom et le prénom sont franco-français, et un candidat dont le nom et le prénom suggèrent une origine maghrébine. À ma connaissance, l'ensemble des opérations de testings portant sur les discriminations selon l'origine menées ces dix dernières années convergent et indiquent des différences de traitement sur le marché du travail défavorables aux candidats originaires du Maghreb et d'Afrique sub-saharienne.

Nous avons également mené des travaux sur d'autres critères de discrimination comme l'adresse, le sexe ou le handicap. Nous avons notamment participé à l'évaluation des emplois francs et avons, à ce titre, évalué les discriminations à l'adresse. D'abord fortes dans les années 2000, elles ont connu un reflux puis redeviennent en 2019 et 2020 un critère de discrimination facilement détectable. Nos travaux concernent également les discriminations dans l'accès au logement et l'accès aux soins – nous constatons que les discriminations selon l'origine ne se cantonnent pas au seul marché du travail.

S'agissant du marché du logement et de l'évaluation des politiques publiques, nous avons mené une étude pour le compte du Défenseur des droits sur 300 agences immobilières. Nous avons mis en évidence qu'un courrier de rappel à la règle de droit envoyé par le Défenseur des droits a eu un effet puissant sur les comportements discriminatoires : nous avons constaté une nette différence de trajectoire entre les agences ayant reçu le courrier et celles ne l'ayant pas reçu. Cette expérience est révélatrice des travaux d'évaluation qui devraient être absolument encouragés en matière de politiques publiques luttant contre les discriminations.

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