Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du jeudi 3 décembre 2020 à 10h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • discrimination
  • diversité
  • recrutement
  • testing
  • écart
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La réunion

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La mission d'information organise une table ronde réunissant M. Paul Bazin, directeur général adjoint de la stratégie et des affaires institutionnelles de Pôle emploi ; M. Yannick L'Horty, professeur d'économie à l'Université Gustave Eiffel, directeur de la fédération Théorie et évaluation des politiques publiques (n° 2042 du Centre national de la recherche scientifique – CNRS) ; M. Jean-Luc Primon, sociologue, maître de conférences à l'université Côte d'Azur, chercheur et directeur adjoint de l'unité mixte de recherches Migrations et société (URMIS), chercheur associé à l'Institut national d'études démographiques (INED) ; Mme Karima Silvent, directrice des ressources humaines du Groupe Axa et Mme Kirsty Leivers directrice en charge de la culture, de la diversité et de l'inclusion.

La séance est ouverte à 10 heures 35.

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. La présente mission d'information a été créée par la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale le 3 décembre 2019 – il y a tout juste un an. À l'issue de nos travaux, nous présenterons un rapport qui dressera un état des lieux des formes de racisme et proposera des mesures et des pistes de réflexion pour rendre plus effective la lutte contre le racisme. Pour cela, votre analyse et votre recul nous seront précieux.

Nous avons l'honneur de recevoir aujourd'hui des économistes, des sociologues, des spécialistes de la politique de l'emploi et des professionnels des ressources humaines. Nous aborderons les politiques de l'emploi et les solutions pour remédier aux inégalités et aux discriminations en matière d'accès à l'emploi, de carrière et de rémunération entre les personnes blanches et les minorités.

Nous traiterons de ce que l'on appelle parfois le racisme institutionnel, qui est le résultat de mécanismes bien souvent involontaires et de facteurs multiples, et qui aboutit à des écarts importants entre différents groupes. Ces écarts constatés ne s'expliquent pas par d'autres raisons que l'origine ou la couleur de peau. Face à ces faits objectivés, nous avons le devoir de réduire les écarts statistiques qui sont défavorables aux minorités, quelles qu'en soient les causes.

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. Nous avons, dans le cadre de notre mission, auditionné des universitaires, des associations, des ministres et des représentants des différents ministères impliqués. Nous identifions un sujet majeur en matière d'accès à l'emploi : des discriminations se mesurent en la matière et certaines personnes ressentent qu'elles sont victimes de racisme. Vous analysez et agissez contre ces discriminations et j'espère que vous pourrez aujourd'hui nous apporter des pistes de solutions.

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Paul Bazin, directeur général adjoint de la stratégie et des affaires institutionnelles de Pôle emploi

. L'état de fait des discriminations dans l'accès à l'emploi est le résultat des années antérieures à l'entrée sur le marché du travail. Ainsi, une enquête de l'INSEE de 2017 indique que le principal motif expliquant l'écart de taux de chômage entre les personnes immigrées et les personnes nées en France est le diplôme. Pour autant, il ne faut pas exclure les discriminations.

Je concentrerai mon propos sur l'action de Pôle emploi dans la lutte contre les discriminations – il s'agit de l'une des missions que la loi confie à notre établissement.

Tout d'abord, Pôle emploi applique la convention de l'assurance-chômage, qui protège particulièrement les personnes qui ont démissionné en raison d'une discrimination. Ensuite, nous menons des actions pour lutter contre les discriminations dans cinq domaines.

Le premier est la sensibilisation des entreprises. Souvent par méconnaissance, parfois sciemment, les offres déposées à Pôle emploi contiennent des aspects discriminants. Notre dispositif de dépôt des offres en ligne comporte un algorithme d'analyse textuelle qui permet de détecter et de bloquer les offres contenant des mentions discriminatoires. Toutes les entreprises disposent également d'un tutoriel accessible en ligne livrant les bonnes pratiques de rédaction d'une offre non discriminatoire et des conseils de recrutement.

Ensuite, nous promouvons des méthodes de recrutement non discriminant. La méthode de recrutement par simulation (MRS) par exemple permet de lever des biais liés à une potentielle discrimination. Cette méthode permet d'évaluer simplement des capacités dans le cadre d'exercices pratiques et de tests d'habilité – hors de l'examen de tout CV – et de transmettre les candidatures aux entreprises qui ont accepté de prendre part à ce dispositif.

Le troisième axe de notre action est la lutte contre les stéréotypes. Nous développons et mettrons prochainement en test un outil à l'attention des demandeurs d'emploi pour les aider à déconstruire eux-mêmes leurs propres stéréotypes culturels. Le baromètre 2020 du Défenseur des droits montre que 70 % des personnes qui ont été victimes de discriminations dans l'emploi pensent qu'il est probable qu'elles le soient à nouveau et, par conséquent, s'autocensurent dans leur recherche d'emploi.

Nous souhaitons ensuite lever le frein à l'emploi qui va parfois de pair avec une discrimination en raison de l'origine : la langue. Nous donnons accès au service public aux personnes maîtrisant mal le français grâce au recours à des plaquettes d'information destinées aux étrangers primo-arrivants. Nous testons également actuellement un outil basé sur l'intelligence artificielle qui permet une traduction simultanée lors des entretiens.

Enfin, notre cinquième action, sans doute la plus importante, est de mobiliser l'ensemble de notre offre de services pour renforcer l'égalité des chances pour les habitants des quartiers contre lesquels s'exerce une discrimination à l'adresse. Nous faisons en ce sens la promotion des emplois francs : plus de 17 000 contrats d'emplois francs ont été signés depuis le début de l'année 2020, ce qui représente plus de 80 % de l'objectif annuel. Nous mettons en place des viviers de candidats qui pourraient bénéficier des emplois francs et nous organisons des job dating avec les entreprises. Nous souhaitons également aller au contact des habitants des quartiers politiques de la ville sur leur lieu de vie : cette initiative s'appelle Place de l'emploi et de la formation. Elle permet de créer des lieux d'échanges éphémères, hors les murs des agences Pôle emploi, avec nos partenaires locaux. Nous animons enfin des projets de tiers-lieux, notamment en Seine-Saint-Denis : ils constituent des lieux non institutionnels au service de l'émancipation des habitants et de la découverte des métiers.

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Jean-Luc Primon, sociologue, maître de conférences à l'université Côte d'Azur, chercheur et directeur adjoint de l'unité mixte de recherches Migrations et société (URMIS), chercheur associé à l'Institut national d'études démographiques (INED)

. Je souhaite d'abord rappeler un certain nombre d'éléments factuels sur les écarts de situation qu'accusent certaines catégories de descendants d'immigrés dans l'accès à l'emploi. Je m'appuie pour cela sur des données d'enquêtes du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq) sur l'insertion professionnelle. Depuis les années 1990, ces enquêtes introduisent progressivement des questions sur l'origine migratoire et nationale des personnes en remontant aux parents par la méthode généalogique – le Céreq a joué un rôle précurseur en la matière.

Les résultats de ces enquêtes montrent des écarts importants de formation et de diplôme en fin d'études selon les origines. Les descendants d'immigrés sont surreprésentés parmi les élèves sortant du système éducatif non diplômés – ce résultat est une constante depuis 25 ans, c'est-à-dire depuis que ces enquêtes existent. De la même manière, les descendants d'immigrés, notamment nord-africains, accèdent moins rapidement à l'emploi. En conséquence de ces difficultés, ces jeunes souffrent d'une situation de sur-chômage.

Très tôt à la fin des années 1990 a été formulée l'hypothèse d'une discrimination sélective à l'entrée sur le marché du travail. Les observations menées par la suite (notamment via les testings ) ont conforté cette hypothèse. Les descendants d'immigrés ne sont pas tous victimes de ces barrières – elles concernent certaines catégories d'entre eux, majoritairement les descendants d'immigrés d'origine nord-africaine et subsaharienne.

Au début des années 2010 a été avancée l'hypothèse d'une double pénalité : non seulement ces jeunes font face à des difficultés d'accès à l'emploi, mais ils subissent également une différenciation importante en termes de qualité des emplois.

Enfin, les jeunes descendants d'immigrés accusent une forte vulnérabilité aux variations de conjoncture économique et à la raréfaction de l'emploi – cela a été notamment révélé par la crise de 2008.

Je projetterai quatre graphiques pour illustrer mes propos. Ces graphiques représentent le taux d'emploi des hommes non diplômés sortis du système éducatif. Les graphiques des années 1992, 1998 et 2004 montrent des écarts très importants entre le taux d'emploi des Français d'origine et celui des descendants d'immigrés, qui ne convergent pas sur le temps long. Au contraire, l'on remarque un décrochage en fin de période (après 3 ou 4 ans) en raison d'effets de conjoncture et de la fin des dispositifs d'aide à l'emploi dont ces jeunes bénéficiaient. Le graphique de 2010 donne à voir l'effondrement des taux d'emploi des jeunes non diplômés suivant la crise de 2008. Cette fois-ci, les taux d'emplois de toutes les catégories se rejoignent. La difficulté de l'accès à l'emploi est bien durable et relève d'un phénomène structurel.

Pour conclure, le Céreq enquête régulièrement sur le ressenti des personnes en matière de discrimination à l'embauche. Ce graphique de 2016 donne à avoir le ressenti des jeunes diplômés en 2013, c'est-à-dire trois ans après la fin des études : près d'un quart des descendants d'immigrés dont les deux parents sont étrangers se sentent discriminés au moment de leur insertion professionnelle.

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Yannick L'Horty, professeur d'économie à l'Université Gustave Eiffel, directeur de la fédération Théorie et évaluation des politiques publiques (n° 2042 du Centre national de la recherche scientifique - CNRS)

La fédération de recherche Théorie et évaluation des politiques publiques regroupe dix laboratoires et 230 enseignants‑chercheurs. Nous sommes un opérateur académique de l'évaluation des politiques publiques. Au sein de la fédération, le groupe d'études sur l'origine des discriminations et sur l'égalité est dédié spécifiquement à la mesure des discriminations, par le recours aux tests de situation ou tests de correspondances, une méthode expérimentale de mesure des discriminations objectives et directes. Le groupe d'études effectue ces tests depuis le début des années 2000 pour le compte de plusieurs agences et opérateurs publics.

Nous intervenons dans deux domaines pour mesurer les discriminations sur le marché du travail. La seule façon de véritablement mesurer les discriminations ayant un caractère objectif et direct est d'utiliser les opérations pièges, proposées par des sociologues dans les années 1960 et qui se sont développées de façon exponentielle ces dix dernières années. Notre démarche est double : nous suivons les méthodes de testings scientifiques pour mesurer les discriminations sur la base de différents critères, et nous appliquons les méthodes dites d'évaluation expérimentale des politiques publiques à la question des discriminations. Notre objectif est d'identifier quels dispositifs de l'arsenal de politiques publiques antidiscriminatoires fonctionnent réellement. Les acteurs publics et privés font preuve d'un grand dynamisme en la matière : une variété d'actions existe – mais elles ne sont pas évaluées. Développer les travaux d'évaluation dans ces domaines relève donc d'un enjeu prioritaire pour la recherche ainsi que pour la décision publique.

Je présenterai brièvement certaines de nos opérations de recherche. Nous avons réalisé en 2019 pour le compte du ministère du logement et de la ville une opération de testings qui a bénéficié d'une large médiatisation. Nous avons testé 103 très grandes entreprises par l'envoi d'un total de 17 163 demandes de candidats fictifs à l'emploi. Cette étude confirme les études antérieures : des discriminations – c'est-à-dire des différences de traitement sur la base de critères prohibés – s'opèrent dans l'accès à l'emploi. L'étude a mis en évidence des différences de traitement importantes entre un candidat de référence, dont le nom et le prénom sont franco-français, et un candidat dont le nom et le prénom suggèrent une origine maghrébine. À ma connaissance, l'ensemble des opérations de testings portant sur les discriminations selon l'origine menées ces dix dernières années convergent et indiquent des différences de traitement sur le marché du travail défavorables aux candidats originaires du Maghreb et d'Afrique sub-saharienne.

Nous avons également mené des travaux sur d'autres critères de discrimination comme l'adresse, le sexe ou le handicap. Nous avons notamment participé à l'évaluation des emplois francs et avons, à ce titre, évalué les discriminations à l'adresse. D'abord fortes dans les années 2000, elles ont connu un reflux puis redeviennent en 2019 et 2020 un critère de discrimination facilement détectable. Nos travaux concernent également les discriminations dans l'accès au logement et l'accès aux soins – nous constatons que les discriminations selon l'origine ne se cantonnent pas au seul marché du travail.

S'agissant du marché du logement et de l'évaluation des politiques publiques, nous avons mené une étude pour le compte du Défenseur des droits sur 300 agences immobilières. Nous avons mis en évidence qu'un courrier de rappel à la règle de droit envoyé par le Défenseur des droits a eu un effet puissant sur les comportements discriminatoires : nous avons constaté une nette différence de trajectoire entre les agences ayant reçu le courrier et celles ne l'ayant pas reçu. Cette expérience est révélatrice des travaux d'évaluation qui devraient être absolument encouragés en matière de politiques publiques luttant contre les discriminations.

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Karima Silvent, directrice des ressources humaines du Groupe Axa

. Le groupe Axa totalise 120 000 collaborateurs dans le monde, dont 33 000 en France. Je souhaite partager avec vous les actions que nous avons engagées sur la problématique de la diversité des origines ainsi que nos réflexions actuelles.

Le groupe Axa a formé un engagement de longue date sur la diversité des origines, initialement porté par notre fondateur Claude Bébéar. Axa est l'une des seules entreprises à avoir eu recours au CV anonyme pour ses recrutements pendant dix ans, de 2005 à 2016. Nous en avons conservé beaucoup de procédures et de mécanismes de recrutement inclusif. Il s'agit d'un chemin continu : nous formons régulièrement nos collaborateurs sur ces sujets et menons également des évaluations en interne.

Nous avons également beaucoup investi dans la formation et l'éducation au sujet des paroles, des gestes, des comportements discriminants du quotidien, dans le processus de recrutement mais aussi au sein des équipes. Nous diffusons en la matière des bonnes pratiques à l'ensemble de nos collaborateurs. Nous avons également récemment investi dans un serious game qui traite de plusieurs discriminations telles que le handicap, le genre, les origines, la religion, le syndicalisme.

Nos procédures prévoient des dispositifs de signalement des discriminations et d'enquête. Nous avons également mis en place des groupes d'écoute de nos collaborateurs au sein de plusieurs de nos entités dans le monde pour comprendre leur vécu sur la thématique de la diversité des origines.

Nous constatons au travers des retours de nos collaborateurs trois éléments intéressants. Tout d'abord, Axa a fait des progrès sur l'intégration et le recrutement, mais il n'y a pas suffisamment de modèles d'exemplarité (role-models) dans les échelons de direction. Ce constat est important. Il pose la question de la promotion au sein de l'entreprise et du ciblage.

Ensuite, nous constatons qu'aborder la diversité des origines ethniques de façon positive reste un tabou. Nos collaborateurs émettent le besoin de parler de ces sujets souvent au-delà des procédures de lutte contre les discriminations.

Enfin, les phénomènes de gestes ou de paroles déplacés existent dans notre organisation et il faut continuer à éduquer et à libérer la parole sur cette question.

En conséquence, nous avons mis en place ou envisageons de mettre en place des actions de trois ordres.

La première d'entre elles est de parler de la diversité des origines de façon positive. Nous avons récemment organisé pour la première fois une conférence mondiale pour l'ensemble de nos collaborateurs – 700 personnes y ont participé – et nous avons invité certains d'entre eux à témoigner de leur histoire, de leur vécu, de leur perception en matière de diversité des origines. Cette conférence a connu un succès considérable en interne. Cette piste de progrès est essentielle : ne pas parler de la diversité en affirmant que tous les salariés se situent, par nature, à égalité n'est pas une solution tenable sur le long terme. Il faut, au contraire, trouver une manière positive d'aborder ces sujets. Nous avons ainsi lancé en interne le programme « Quelle est votre histoire ? », qui participe de l'inclusion et de la lutte contre les discriminations.

Nous menons par ailleurs des actions de mentoring et de sponsorship pour répondre aux enjeux de la promotion au sein de l'entreprise. Nous mettons en place, actuellement sous forme de pilote, des programmes de mentoring qui abordent les sujets de la confiance en soi ou des codes en entreprise pour aider à la progression des personnes. Je crois, par mon histoire personnelle et par les conversations que j'ai tenues à ce sujet avec de nombreux collaborateurs, que cette piste est extrêmement prometteuse.

Enfin, nous explorons la mesure de la perception des discriminations. Nous menons ainsi des enquêtes d'engagement et des enquêtes d'inclusion pour mesurer auprès des collaborateurs leur ressenti en matière d'égalité d'accès et des chances dans leur parcours professionnel. En la matière, je pense que l'on ne peut changer que la réalité que l'on est capable de mesurer. Il convient de trouver un équilibre entre le ressenti des personnes et une démarche de changement positif.

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. Merci à tous. Nous demandons à des entreprises de réussir l'emploi inclusif. Cela peut créer des injonctions parfois concurrentielles en matière de handicap, d'emploi senior, de diversité des origines. Comment percevez-vous ces différentes thématiques, qui n'utilisent de plus pas toutes les mêmes outils ?

Madame Silvent, avez-vous pu évaluer le succès du recours au CV anonyme dans le recrutement, et pourquoi y avez-vous mis fin en 2016 ?

S'agissant des testings, je me demande dans quelle mesure il serait opportun de les assortir d'une action en justice pour faire du testing un outil de sanction.

Enfin, vous avez évoqué les tabous qui pèsent sur la question de la diversité des origines. Je m'interroge sur la dimension générationnelle de ce tabou ; je constate que les jeunes ont plus de facilité à aborder ces sujets.

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Yannick L'Horty, professeur d'économie à l'Université Gustave Eiffel, directeur de la fédération Théorie et évaluation des politiques publiques (n° 2042 du Centre national de la recherche scientifique - CNRS)

Nous nous efforçons de développer des opérations de mesure ayant un caractère multicritère. Nos testings, par exemple, regroupent l'envoi de cinq profils : l'un d'entre eux est la candidature de référence et les quatre autres se distinguent chacun par un critère de discrimination. Cela permet d'évaluer simultanément quatre critères de discrimination et de hiérarchiser leur intensité. Il ressort ainsi systématiquement de ces opérations que les deux critères les plus pénalisants sont les origines et le handicap. L'intensité, l'ampleur, la nature même de la discrimination sont différentes pour chaque critère de discrimination – chacun d'entre eux suit sa propre logique.

Il serait très intéressant d'aligner toutes les politiques publiques derrière une seule grande politique de lutte contre les discriminations. Mais quelle politique voulons-nous ? Par exemple, la politique publique française en matière de handicap n'atteint pas ses objectifs. Un cadre légal coercitif mais pas crédible (c'est-à-dire sans plaintes et sans jurisprudence) n'est pas suffisant. Il nous reste donc encore à inventer une politique publique qui démontre son efficacité.

Vous proposez d'assortir les campagnes de testings d'actions en justice. Les testings réalisés à des fins de connaissance scientifique ne sont pas du tout les mêmes que ceux que nous pourrions réaliser à des fins de poursuite pénale. Pour engager une poursuite pénale, il est nécessaire de disposer d'une victime physique. Cela n'est pas du tout le cas des testings scientifiques ayant recours à l'envoi de candidatures fictives.

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Karima Silvent, directrice des ressources humaines du Groupe Axa

Nous ne réintroduirions pas l'outil du CV anonyme aujourd'hui. Nous avons eu raison d'utiliser cet outil pendant dix ans ; il a permis de mettre en place des démarches systématiques au sein de l'entreprise. Nous l'avons arrêté pour des raisons techniques car nous avons changé de système d'information. Il en est resté une pratique de la gestion du recrutement, incluant la formation systématique de nos collaborateurs, l'analyse de l'ensemble des CV reçus et l'évaluation de nos pratiques de recrutement. Cette méthode est la bonne car elle permet la discussion avec les équipes de recrutement et d'encadrement.

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Kirsty Leivers, directrice en charge de la culture, de la diversité et de l'inclusion du Groupe Axa

. Je répondrai à votre question sur la dimension générationnelle – il est vrai que chaque génération veut changer la société. Néanmoins, la diversité des origines soulève des questions sociétales plus larges que la tranche d'âge. Les réseaux sociaux participent à ce titre d'une plus grande transparence et d'une plus grande ouverture sur ces sujets. Je constate que les jeunes sont demandeurs d'engager la discussion sur la diversité des origines, mais une fois le débat ouvert, toutes les générations sont prêtes à parler.

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. Je souhaiterais revenir sur l'enjeu de l'orientation des élèves dans la perspective de l'accès au premier emploi des personnes victimes de discriminations.

Ensuite, la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté de 2017 prévoit le déploiement de la formation à la langue française ainsi que l'obligation pour les salariés procédant au recrutement de recevoir une formation à la non-discrimination à l'embauche au moins une fois tous les cinq ans. De votre point de vue, ces dispositions sont-elles bien appliquées ? La législation existante en la matière est-elle suffisante ?

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. Je retiens que l'analyse des politiques publiques en matière de lutte contre le handicap conclut à des insuffisances. Mais en la matière, des politiques publiques existent et sont identifiées. Une politique publique en matière de lutte contre les discriminations sur la base de l'origine a-t-elle vraiment été menée ?

Ensuite, je rappelle la problématique au cœur de notre mission d'information. Les problèmes de discrimination ont-ils pris une forme nouvelle, s'expriment-ils différemment ? Nous constatons un empilement législatif sur tous les sujets de société. Les mesures prises en matière de lutte contre les discriminations sont-elles utiles et suffisantes ?

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Paul Bazin, directeur général adjoint de la stratégie et des affaires institutionnelles de Pôle emploi

Je rappelle qu'une étude de l'INSEE de 2017 identifie le diplôme comme premier facteur d'explication des écarts de taux de chômage entre les personnes issues de l'immigration et les autres personnes. Avant même l'entrée sur le marché du travail, le système scolaire et universitaire joue donc un rôle essentiel pour corriger les inégalités.

S'agissant de la formation à la maîtrise de la langue, beaucoup d'éléments sont en effet prévus par la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté. Dans le cadre des contrats d'intégration républicaine, Pôle emploi met en place des parcours de formation pour les primo-arrivants qui incluent l'apprentissage du français, fondamental pour la recherche d'un emploi. Nous travaillons également avec le plus grand nombre possible d'associations locales pour lever les barrières linguistiques à l'emploi.

La formation aux questions de discrimination est un élément fondamental de la formation de nos conseillers en agence. Je partage les positions de madame Silvent sur la question de la diversité. Nous avons mis en place un système de mentoring sur la question des inégalités de genre ; il me semble très intéressant de le mettre en place s'agissant des origines. Nous interrogeons également régulièrement nos salariés sur leur perception des efforts de Pôle emploi en matière d'égalité des chances.

S'agissant de mentoring, nous travaillons spécifiquement avec l'association Nos quartiers ont du talent ainsi qu'avec le cabinet de recrutement Mozaïk RH.

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Jean-Luc Primon, sociologue, maître de conférences à l'université Côte d'Azur, chercheur et directeur adjoint de l'unité mixte de recherches Migrations et société (URMIS), chercheur associé à l'Institut national d'études démographiques (INED)

Le diplôme est tout à fait déterminant dans l'accès à l'emploi. En revanche, il est loin d'effacer les différences liées aux origines qui s'expriment dans les modèles statistiques, par exemple en matière de chômage en début de vie active.

Je répondrai à la question sur les formes nouvelles de discriminations. Les enquêtes statistiques ne mesurent pas encore l'ampleur des discriminations sur la base de la religion. Ces discriminations sont-elles nouvelles ou apparaissent-elles car nous développons désormais des outils pour les mesurer ? Elles englobent la discrimination vestimentaire, comme le port du voile, aussi bien que des éléments informant sur l'appartenance religieuse qui transparaîtraient dans le CV. Ces éléments ont des effets sur l'accès à l'emploi.

S'agissant des politiques publiques anti-discriminatoires, je pense qu'il n'est pas possible de lutter contre les discriminations de façon multicritérielle. La loi française a fait le choix de traiter l'ensemble des discriminations dans un même cadre. Mais les critères sont de nature différente et appellent des mesures spécifiques.

En matière de discrimination sur la base des origines, je ne peux pas affirmer que nous disposons d'une politique antidiscriminatoire nationale coordonnée. Beaucoup d'initiatives existent, aussi bien dans le secteur privé qu'associatif. La puissance publique a mis en place de nombreuses mesures tout à fait intéressantes, mais elles ne constituent pas une politique antidiscriminatoire coordonnée.

Enfin, je suis surpris que l'on n'évoque pas le rôle des organismes publics dans la lutte contre les discriminations à travers les procédures de marchés publics. Je suis favorable à l'intégration de clauses sur la discrimination en raison des origines dans les marchés publics. Je sais que cette mesure est difficile à mettre en œuvre et que des lois européennes relatives à la concurrence peuvent l'empêcher ; mais il serait intéressant d'explorer cette piste.

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Yannick L'Horty, professeur d'économie à l'Université Gustave Eiffel, directeur de la fédération Théorie et évaluation des politiques publiques (n° 2042 du Centre national de la recherche scientifique - CNRS)

Je complète les réponses apportées à votre question sur l'orientation. Les discriminations existent à tous les niveaux de diplôme, et elles sont même plus importantes pour les emplois qualifiés et les embauches dites de qualité (en contrat à durée indéterminée, CDI).

La formation des recruteurs progresse. Des travaux d'évaluation sont en cours sur ces dispositifs, qui interrogent le contenu des formations, leur durée et leur fréquence.

Enfin, j'apporterai des éléments de réponse à la question de madame Rubin sur les aspects nouveaux. Les derniers tests que nous avons réalisés pendant le premier confinement, à la sortie du confinement puis au mois de septembre indiquent tous une montée très forte des discriminations selon l'origine et selon l'adresse en France. Les discriminations explosent dans un contexte récessif où le marché de l'emploi est déjà très déprimé. Ce phénomène est nouveau par son intensité, son ampleur et son caractère multicritériel.

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. En effet, les discriminations s'amplifient à l'aune des crises. Je trouve terrible de constater que les discriminations dans l'emploi augmentent avec le niveau de diplôme.

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. Merci à tous pour la richesse de ces échanges.

La séance est levée à 12 heures.