Intervention de Magali Lafourcade

Réunion du jeudi 3 décembre 2020 à 16h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Magali Lafourcade, secrétaire générale de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), directrice de la session de formation sur les enjeux contemporains du racisme et de l'antisémitisme à l'ENM :

Le parquet spécialisé est une excellente idée. Certains endroits connaissent moins de contentieux racistes que d'autres ; il n'est pas toujours opportun de créer des pôles anti-discriminations suivant un maillage complet du territoire. Le parquet spécialisé peut donc présenter un avantage. La question du parquet pose en réalité la question du nombre d'affaires qu'il est possible de poursuivre. Si 6 000 affaires sont portées devant le parquet, il est possible d'en poursuivre 1 000, ce qui aboutit à 300 condamnations dans l'année. Les pays européens comparables traitent les infractions racistes de façon très différente de la nôtre. Le traitement des infractions racistes en France pourrait être amélioré en augmentant le nombre de magistrats et d'enquêteurs, ce qui suppose des moyens et donc une volonté politique forte.

Une personne qui a subi une insulte raciste se sent humiliée ; en se rendant au commissariat, elle aura du mal à expliquer qu'elle a été invectivée en raison de son origine. En Angleterre, le procédurier qui reçoit la plainte a pour obligation de demander si l'infraction est éventuellement liée à l'état de minorité du plaignant, qu'il soit ou non issu d'une minorité. Il n'assigne rien : il revient à la personne de creuser ou non cette piste. Si la question n'est pas posée au plus près de l'infraction, il est plus difficile encore d'identifier l'auteur. Le résultat des enquêtes de victimation montre que la moitié des personnes qui se déplacent au commissariat repartent sans avoir porté plainte ; l'autre moitié a déposé soit une plainte, soit une main courante dont la justice ne prend pas connaissance. Les policiers et les gendarmes ont l'obligation de recueillir les plaintes et ne doivent pas décourager les plaignants de le faire. Ce levier de progrès n'est pas un levier législatif ; il passe par des circulaires pour adapter le logiciel de la police afin de renseigner l'élément de la circonstance aggravante dans la procédure. Nous devons également mener davantage d'enquêtes de victimation. Elles permettent de faire apparaître le « chiffre noir, c'est-à-dire les sous-déclarations.

S'agissant de la haine en ligne, nous devons absolument informer les citoyens du rôle amplificateur de certains messages sur les réseaux sociaux et, à l'inverse, du phénomène de sourdine. Les réseaux sociaux possèdent un pouvoir exorbitant sur le débat démocratique : ils ont la capacité de démultiplier les auditoires tout comme de mettre en sourdine certains contenus. Cela représente un risque d'atteinte à la liberté d'expression.

La liberté d'expression n'équivaut pas à la liberté de propagation. Vous avez la possibilité de travailler sur la liberté de propagation sans toucher à la liberté d'expression. Il n'est pas normal de laisser des contenus dangereux se propager. C'est pourquoi l'on devrait imaginer une catégorie juridique intermédiaire entre un contenu licite et un contenu illicite : ce contenu pourrait être accepté comme licite donc diffusé, mais ne pourrait pas être relayé par d'autres ou encore commentés.

Il faut également simplifier l'accès au juge en la matière. Je suis favorable à la mise en œuvre d'une procédure simplifiée, à la manière d'un référé numérique. Il permettrait de demander au juge de trancher tout de suite sur l'interdiction d'un contenu.

S'agissant de l'interdiction des sites miroirs, il faudrait imaginer que la décision du juge s'applique au-delà des parties au procès – cette approche est innovante mais existe dans d'autres types de contentieux. Cela fonde une forme de décision-cadre qui s'appliquerait à tous les sites miroirs.

Enfin, il faut assécher les canaux de financement des sites de haine en ligne. De très grandes marquent se rémunèrent sur ces sites grâce à la publicité à hauteur de plusieurs milliards d'euros de chiffres d'affaires. Le consommateur devrait en être informé : une proposition de loi pourrait demander la transparence, due au consommateur, des régies publicitaires. Il en va également de la politique de responsabilité sociétale des entreprises, car la France a adopté un plan national d'action sur la responsabilité des entreprises et les droits de l'homme.

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