Intervention de Maya Hagege

Réunion du jeudi 3 décembre 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Maya Hagege, déléguée générale de l'Association française des managers de la diversité (AFMD) :

. Notre association est née de la volonté de neuf managers de grandes organisations de créer un lieu d'échanges sur les questions de diversité, y compris la diversité ethno-raciale et la diversité sociale. Nous rassemblons aujourd'hui 140 organisations (entreprises, collectivités, grandes écoles, universités, ministères). Nous menons des travaux de fond sur toutes les questions de diversité, et nous nous efforçons pour cela de créer un pont entre le monde académique et le monde du travail sur ces questions.

J'illustrerai mon propos en vous présentant un outil que nous avons créé et qui a joué ce rôle de pont entre la recherche et le terrain. Notre méthodologie de travail consiste d'abord à comprendre les enjeux et à dresser un état des lieux. Nous avons pour cela rassemblé 16 organisations. Elles ont identifié les domaines dans lesquels il était possible et important d'agir s'agissant des discriminations sur le marché du travail. Nous avons alors lancé une enquête qualitative, dont je vous livrerai les principaux enseignements.

Le premier constat est la pluralité des manifestations de racisme dans le monde du travail. Celui-ci peut apparaître aussi bien dans le recrutement, la relation avec la clientèle, le travail en équipe au quotidien que l'évolution de carrière.

Nous avons également constaté que de plus en plus d'organisations mettent en place des cellules de traitement des réclamations ayant pour motif la discrimination, mais que celles-ci recueillent encore peu de remontées ayant trait au racisme et à la discrimination raciale.

Ensuite, les recours identifiés par les personnes victimes de racisme et de discrimination raciale prennent différentes formes – ils peuvent notamment être internes ou externes. S'agissant des retours internes, nous remarquons que l'existence d'une cellule d'écoute ou de traitement est essentielle pour rendre visible les situations de discrimination mais n'est pas suffisante pour lutter réellement contre le racisme. Ainsi, mettre en place des dispositifs de remontée de l'information n'est pas suffisant.

C'est pourquoi notre enquête formule, en conclusion, cinq recommandations qui prennent la forme suivante : oser, mesurer, former, réagir et sanctionner. Je vous présenterai des pratiques d'organisation qui répondent à ces cinq recommandations.

Avant cela, je souhaitais vous faire passer certains messages qui sont à la base de l'action de notre association. À nos yeux, les politiques publiques entretiennent un amalgame selon lequel agir dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) est agir contre le racisme. Les politiques publiques entretiennent l'idée selon laquelle des actions telles que mettre en place des tutorats, organiser des actions de recrutement dans les quartiers, permettent d'intégrer ces personnes et de lutter contre le racisme. Elles orientent donc les entreprises à agir dans cette direction. Or, tout cela n'est pas lutter contre le racisme. Nous constatons, à travers nos échanges avec elles, que les entreprises commencent à comprendre que la politique de la ville, tout comme les dispositifs de mobilité internationale, permettent de diversifier le sourçage (sourcing) mais pas de lutter directement contre le racisme et la discrimination raciale. Un travail de complémentarité est essentiel afin de ne pas concentrer toutes les actions dans les QPV.

Le second message important est que contrairement aux idées reçues, et malgré le peu de remontées qu'enregistrent les cellules d'écoute, certaines organisations se sont réellement emparées du sujet du racisme et de la discrimination raciale. Elles peuvent être engagées sur ces questions de longue date aussi bien que très récemment – à cet égard, le mouvement Black lives matter a connu un réel écho dans les entreprises en France. Nous assistons donc à une prise de conscience des entreprises des difficultés auxquelles elles font face pour traiter ce sujet. Ces difficultés relèvent d'abord d'un manque d'information : très peu d'entreprises savent ce qu'elles ont le droit de faire en matière de mesure, ou ce qu'elles ont le droit de communiquer au sujet de la diversité. Par conséquent, les entreprises qui s'engagent en menant des actions dédiées communiquent peu voire ne communiquent pas, car elles ont peur d'être pointées du doigt pour diverses raisons. Nous regrettons donc une très faible communication des employeurs sur la thématique de la lutte contre le racisme et les discriminations raciales. L'AFMD occupe également le rôle d'orienter les entreprises dans leur constat, de les guider dans les réponses à y apporter et de co-construire des outils internes. Ces premiers résultats sont très encourageants.

Enfin, il est très difficile d'évaluer l'impact des initiatives, même celles mises en place de longue date, sur une baisse réelle du racisme. Ces initiatives ont permis d'affiner l'état des lieux des entreprises, d'améliorer et de renforcer leurs procédures internes – elles doivent encore être traduites à l'externe.

Je reviendrai donc sur les pratiques pertinentes (dont certaines d'entre elles sont encore expérimentales) au regard des cinq recommandations que nous avons formulées. La première recommandation consiste à oser dédier un axe à la lutte contre le racisme au sein de la politique diversité de l'entreprise. Plusieurs entreprises ont pu décider de, par exemple, créer un groupe interne de discussion entre salariés sur le sujet ou de mettre en place un plan d'actions à « 360 degrés » incluant des formations sur le racisme et les biais inconscients, un travail sur le recrutement, un soutien à des role models – et ces entreprises communiquent sur le sujet en tant que tel. Il est également possible de mettre en place une communication interne plus inclusive et plus représentative de ses salariés.

Notre deuxième recommandation porte sur la mesure du phénomène de racisme et de discrimination raciale. Beaucoup d'entreprises déploient des testings sollicités mais ne communiquent pas à ce sujet. Elles peuvent également développer des autodiagnostics, c'est-à-dire des outils de mesure qualitatifs comme des baromètres de climat social ou des baromètres spécifiquement dédiés à la question de la diversité.

S'agissant de la formation, des pratiques de formation extrêmement différentes coexistent. Certaines organisations choisissent de mener des actions de sensibilisation (par exemple par des tests d'association implicite), ou de former seulement les métiers les plus exposés à comment réagir au racisme, ou de mettre en place des cycles de conférences, ou encore de créer des réseaux internes sur le sujet des origines.

Il convient également de savoir réagir. De plus en plus de guides sont développés et mis à disposition pour savoir comment réagir aux blagues et aux comportements à caractère raciste.

Enfin, nous recommandons de sanctionner. L'invisibilisation du sujet du racisme et des discriminations raciales amène beaucoup de tensions et constitue un frein à davantage de progrès. Une initiative de plus en plus répandue consiste à publier un rapport éthique d'entreprise : celui-ci recense tous les signalements et permet donc de rendre visibles les situations de racisme.

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