Nous constatons que vous avez beaucoup d'attentes et nous risquons peut-être de vous décevoir. En effet, il existe certains points sur lesquels nous considérons que les lois sont bien faites, à commencer par la loi du 29 juillet 1881, notamment pour ce qui est de la lutte contre les propos à caractère raciste.
Notre propos liminaire se concentrera sur les questions du traitement judiciaire des actes à caractère raciste, puis sur la lutte contre les discriminations indirectes qui peuvent être induites par certains textes de loi, y compris lorsqu'ils sont bien appliqués.
Nous pensons que la loi du 29 juillet 1881 est bien conçue. Selon nous, les modalités de poursuite, l'exclusion de la comparution immédiate, l'exigence de précision dans les qualifications, les règles de prescription constituent des équilibres fondamentaux entre la liberté d'expression et le fait de pouvoir réprimer certaines expressions qui portent atteinte aux personnes. En effet, ce sont toujours des personnes ou des groupes de personnes qui sont visés à travers ces infractions.
En 2015, le Syndicat de la magistrature s'est opposé au projet, abandonné depuis, consistant à faire sortir les injures racistes et antisémites de la loi sur la presse du 29 juillet 1881. Nous constatons – au travers des remontées que nous recueillons de nos collègues qui pratiquent ces sujets – que, pour la seule infraction du discours qui n'entre pas dans le périmètre de la loi de 1881, à savoir l'apologie du terrorisme, il survient régulièrement des problèmes de nullité de procédure, parce que celle-ci n'est pas aussi équilibrée qu'elle ne l'est pour les autres infractions du discours. Il pourrait donc être contreproductif de faire sortir les propos délictueux à caractère raciste du cadre prévu par la loi sur la liberté de la presse.
Les spécificités du régime de la loi du 29 juillet 1881 sont à notre avis protectrices et utiles. Elles constituent un tout cohérent qu'il convient de conserver en l'état. Cet équilibre très délicat qui a été trouvé permet de prendre le temps de traiter certaines affaires malgré leur caractère parfois très polémique (c'est ainsi que le journal Charlie Hebdo n'a pas été condamné pour ses caricatures). La loi sur la liberté de la presse est ancienne et précieuse ; elle a déjà été modifiée en ce qui concerne les infractions à caractère raciste pour prendre en compte la gravité de ces atteintes, mais il faut en rester là. Il ne faut pas non plus sortir de son champ certaines infractions pour qu'elles puissent donner lieu à une comparution immédiate.
Les difficultés ne se situent pas au niveau des poursuites, mais au moment du dépôt et du recueil de la plainte. La CNCDH l'a relevé aussi dans un de ses rapports. La formation des policiers est insuffisante, c'est sans doute là qu'il faut travailler. Il existe des refus de plainte et des phénomènes – que nous connaissons dans d'autres contentieux comme les violences conjugales – qui consistent à dire que l'on va plutôt prendre une main courante.
Le traitement de la haine en ligne constitue un point particulier, et celle-ci ne soit pas toujours une haine raciste. Le Syndicat de la magistrature avait effectivement dénoncé certaines dispositions de la loi du 24 juin 2020 et fourni au Conseil constitutionnel des éléments en vue d'une censure de celles-ci. L'élément principal qui posait problème était l'absence de contrôle du juge, alors que l'on se situe sur le terrain d'une liberté fondamentale, la liberté d'expression. La loi était déséquilibrée, avec le risque que la sanction soit plus forte pour n'avoir pas retiré un contenu que pour l'avoir retiré abusivement – au détriment de la liberté d'expression. Il nous apparaît que nous devons conserver le contrôle du juge au regard de cette liberté fondamentale qu'est la liberté d'expression. En outre, la plateforme PHAROS permet déjà de recueillir des signalements, notamment sur l'incitation à la haine raciale.
En tout état de cause, si l'on veut en faire une priorité, les magistrats sont nécessaires. Au vu de la masse potentielle des affaires que l'on peut deviner sur les réseaux sociaux, les deux seuls magistrats, qui sont annoncés dans un pôle spécialisé qui serait créé à Paris, paraissent insuffisants. Si l'on veut que la justice puisse agir et se montrer réactive face aux délits à caractère raciste, surtout face à la masse de contentieux potentielle liés à la haine en ligne, il faut plus de magistrats. Nous ne voyons pas comment créer un système à la fois plus efficace et suffisamment protecteur des libertés sans le contrôle de la justice.
Le racisme et l'antisémitisme constituent une circonstance aggravante de crimes ou de délits. Il est difficile d'avoir une vision de l'ampleur du phénomène et de son traitement judiciaire en raison de statistiques insuffisantes et il existe peu d'affaires en comparaison de ce que l'on perçoit de l'ampleur du phénomène. Comme pour les propos à caractère racistes, pour les actes aggravés par une circonstance aggravante à caractère raciste, il est difficile d'apporter la preuve de la circonstance aggravante de racisme puisque la loi pénale a une interprétation stricte. Il reste difficile de démontrer l'élément intentionnel, c'est-à-dire le mobile raciste de l'acte, raison pour laquelle il subsiste parfois des incompréhensions entre les décisions judiciaires et les commentaires qui en sont faits publiquement.
Ces aspects montrent bien les limites qu'il y aurait à vouloir réguler certaines infractions uniquement par la sanction pénale. Il faut apporter des améliorations, notamment sur la formation de certains professionnels. Pour chaque sujet essentiel, on crée des magistrats référents parquet. Si l'on veut se donner les moyens, ce référent ne doit pas être une coquille vide. Il est nécessaire de donner plus de moyens à la justice pour travailler sur ces sujets.