Intervention de Sarah Massoud

Réunion du mardi 8 décembre 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Sarah Massoud, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature :

Le regard du Syndicat de la magistrature peut également vous intéresser sur l'éventuelle présence de racisme dans la manière de juger. Nous ne saurions dire si l'activité juridictionnelle elle-même participe à des processus et à un système qui aboutit à des discriminations. Nous n'avons pas de doctrine sur la question du « racisme institutionnel ».

L'activité juridictionnelle et l'appréhension de la procédure pénale constituent-elles un processus, des phénomènes, un système discriminant ou raciste qui créerait une production institutionnelle de racisme ? Au Syndicat de la magistrature, nous n'avons pas une philosophie générale sur le sujet. Sommes-nous véritablement dans une conception naturaliste du racisme ? Sommes-nous opposés à cette conception naturaliste ? Dénonçons-nous un racisme d'État, un racisme institutionnel, un racisme qui promeut les discriminations ? Nous n'avons pas véritablement une ligne doctrinale sur ces questions.

En revanche, nous avons un point de vue sur certains aspects racistes de l'exercice de la procédure pénale, concernant par exemple la procédure de comparution immédiate, le traitement en temps réel, les contrôles d'identité, les priorités de politique pénale ou les populations visées par les brigades de la délinquance itinérantes. Vous comprendrez ainsi qu'au Syndicat de la magistrature, nous considérons que le racisme désigne un ensemble de pratiques et de représentations qui vont créer de la discrimination, de la stigmatisation ainsi que des formes de relégation pour certaines catégories de personnes. Selon nous, le racisme s'adosse à une oppression ou – pour l'entendre de manière moins violente – à des rapports de domination. Le racisme se matérialise davantage par des inégalités de traitement que par une hostilité directe envers l'autre.

Là où l'autorité judiciaire est en proie à une inégalité de traitement criante qui fait que le travail des parquetiers, des juges correctionnels et des juges d'instruction s'en trouve biaisé, c'est la problématique des contrôles d'identité. Votre commission doit s'y intéresser car les contrôles d'identité sont aujourd'hui un vecteur du racisme. Nous ne disons pas qu'il y ait un « racisme policier », le racisme produit par la police n'est pas le tribut des policiers, mais la procédure des contrôles d'identité, qu'elle s'insère dans le cadre de la police administrative ou de la police judiciaire, conduit de fait à un traitement discriminatoire au détriment des personnes « racialisées » et à une forme de « justice racialisée ».

Je peux vous faire part de mon expérience personnelle de juge des libertés et de la détention et de juge correctionnel au tribunal de Bobigny. Nous recueillons de nombreuses remontées des avocats de parties civiles ou de la défense, de certains prévenus ou encore de policiers sur le fait que les contrôles d'identité produisent des tensions et peuvent provoquer, à leur tour, une escalade des violences et des infractions parce qu'ils constituent un moment où la personne contrôlée se sent dominée en raison de sa couleur de peau et de son quartier d'habitation. Vous avez entendu Sebastian Roché et Fabien Jobard qui vous ont longuement expliqué les travers et les dangers de ces contrôles d'identité discriminatoires, mais cela vaut aussi pour les procédures de comparutions immédiates qui donnent lieu à énormément de tensions, dont les juges sont le réceptacle.

Nombre de propositions ont été faites comme la suppression des contrôles d'identité ou pour réformer de l'article 78-2 du code de procédure pénale. Vous savez qu'il n'existe aucune corrélation entre un contrôle d'identité et la découverte d'une infraction. De nombreux pays européens ont d'ailleurs totalement abandonné la course aux contrôles d'identité. C'est faire travailler nos policiers pour rien. Nous souhaitions donc vous apporter cette illustration spécifique de ce que le racisme peut produire à travers une procédure pénale particulière dans le cadre de nos pratiques juridictionnelles.

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