Je suis venu tardivement à ces sujets, puisque je suis avant tout journaliste et je travaillais jusqu'à tout récemment pour un hebdomadaire. Mais il est intéressant de voir comment le regard porté sur ces questions a évolué. Quand La chance est née en 2007, il nous arrivait encore de rencontrer des confrères et des consœurs qui s'étonnaient de notre existence. L'on me disait : « Les écoles de journalisme sont accessibles par concours. Le concours est le principe républicain : on entre ou on échoue. » Il a fallu qu'un certain temps s'écoule pour que chacun comprenne que ces concours eux-mêmes sont fondés sur des critères qui ne sont pas toujours neutres, que la notion de culture générale relève souvent plus de généralités que de questions proprement culturelles, que c'est une notion terriblement française et qui peut être discriminante.
Il me semble qu'aujourd'hui beaucoup de gens comprennent l'utilité qu'il y aurait à avoir une meilleure incarnation des diversités dans l'audiovisuel français notamment. Ce qui me frappe néanmoins, c'est que j'entends depuis quelques années des patrons de médias, même s'ils n'osent pas toujours poser la question explicitement, nous demander, à La chance, comment ils pourraient s'y prendre pour recruter plus de Noirs et d'Arabes. Or, ce n'est qu'une partie du problème. Ce n'est qu'une partie de ce qu'il faut qualifier de « diversité ». Au-delà des questions de couleur de peau et d'origines, il existe un défaut de représentation, notamment dans l'audiovisuel français – je m'en tiens aux journalistes –, qui est très frappant pour un Britannique.
Quand j'ai quitté le Royaume-Uni dans les années 1970, le présentateur du grand journal du soir sur la chaîne commerciale ITV (Independent Television) était noir. Je regarde les chaînes anglaises : le spécialiste de la défense à la BBC (British Broadcasting Corporation) est dans un fauteuil roulant, un des correspondants de la BBC à Washington est aveugle, une des journalistes jokers qui présentent le grand journal du soir de Channel 4 – un peu l'équivalent du journal d'Arte chez nous – est voilée, elle est d'origine pakistanaise.
Je regarde ces chaînes en tant que téléspectateur et j'ai d'emblée une représentation mentale de la société à laquelle j'appartiens, qui inclut la diversité dans toutes ses formes. L'on entend également des accents que nous appellerions en France « des cités » ou des accents régionaux. Dans certaines écoles de journalisme du sud de la France, on met de côté quelque temps des candidats à des prix ou à des bourses, le temps qu'ils perdent l'accent méridional. Je trouve cela insensé mais ce sont des faits d'une grande banalité. Je crois aussi qu'il y a une diversité à la française, peut-être plus « plurielle », qui reste à inventer.