Pour que cela change, je pense qu'il manque en effet une politique publique affirmée. Je suis également frappé par une rhétorique qui existe autour de la diversité dans les rédactions elles-mêmes, mais souvent par l'absence de projet véritable. C'est exaspérant pour moi dans le sens où il s'agit de favoriser l'égalité des chances, d'encourager la cohésion sociale, mais il s'agit aussi de la qualité et de la diversité de l'information. Je veux dire par là qu'il est dans l'intérêt des médias d'avoir ces rédactions diversifiées. Je rends parfois visite à des patrons de quotidiens régionaux, qui me voient arriver comme une sorte de représentant du 9-3 qui va exiger des quotas…
Dès lors que je leur explique que La chance accompagne des enfants d'agriculteurs, par exemple, dans leur préparation aux concours de journaliste, soudain mes interlocuteurs me disent : « Mais cela m'intéresse beaucoup, parce que je n'en peux plus des écoles de journalisme qui forment des armées d'étudiants qui sortent de Sciences-Po, qui ont souvent grandi à Paris intra-muros , qui m'expliquent en arrivant qu'ils sont passionnés par les problématiques rurales, mais qui en réalité, dès qu'ils ont décroché un contrat à durée indéterminée (CDI), ne souhaitent qu'une chose : être rapatriés au siège. » À partir du moment où nous expliquons, où nous incarnons la diversité, du moins dans ce milieu un peu particulier qu'est le journalisme, non seulement un intérêt, mais un appétit se manifeste pour la diversité. Il me semble ainsi qu'il faut donner une visibilité plus grande à tout l'atout que représente la diversité pour une rédaction.
Nous nous éloignons un peu de la problématique du racisme et de la couleur de peau, mais, souvent, un enfant d'agriculteurs, lors de la conférence de rédaction du matin, n'a pas les mêmes idées de sujets que celui qui a grandi à Paris. C'est cette richesse qui ensuite se traduit dans une diversité dans les angles de traitement et c'est cette richesse qu'il faut encourager. Concrètement, pour l'encourager, selon moi :il faut développer l'éducation aux médias et à l'information dans les lycées et les collèges et il faut développer beaucoup plus les contrats de professionnalisation et l'apprentissage.
Il s'agit de deux formes d'appels d'air formidables pour des publics qui n'ont pas toujours les moyens de s'offrir des écoles de journalisme. Celles-ci peuvent être gratuites pour les boursiers ; cependant il faut bien vivre pendant qu'on est à l'école de journalisme. De plus, les débuts de carrière sont difficiles. Il s'agit là de deux moyens assez pragmatiques de favoriser les diversités en France.
Je m'occupe d'une association qui est devenue le premier dispositif d'égalité des chances dans le secteur des médias. Si l'on regarde l'ensemble de nos ressources, 30 % sont d'origine publique. Heureusement que le privé nous suit. Parmi les médias qui nous soutiennent, l'audiovisuel public est d'ailleurs assez loin derrière… C'est donc là une observation plus égoïste de ma part, mais des aides et subventions publiques nous feraient du bien.