Intervention de Antoine Chauvel

Réunion du jeudi 10 décembre 2020 à 15h45
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Antoine Chauvel, secrétaire national du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et PEGC (SNUIPP-FSU) :

Un des racismes récurrents dont nous avons connaissance, parce que les écoles nous en informent ou parce que les médias ont pu s'en emparer, concerne notamment les populations roms ou supposées telles, ou encore les populations vivant en squat, en bidonville ou dans les hôtels du service d'aide médicale urgente (SAMU) social. Nous sommes fréquemment alertés lorsque des maires invoquent l'absence de domicile fixe pour ne pas inscrire ces enfants à l'école, ne respectant ainsi pas le droit à l'éducation – qui est un droit constitutionnel. Nous avons connaissance de parcours du combattant lorsque des maires jalonnent l'inscription d'obstacles, allant parfois jusqu'à des refus purs et simples. Or, les procédures judiciaires peuvent prendre du temps pour obliger les maires à inscrire ces enfants. Selon le Défenseur des droits, environ 100 000 enfants, tous âges confondus, auraient ainsi été laissés sur le bord de la route en 2019 pour cette raison.

Une autre forme de racisme à laquelle nous assistons de façon cyclique et que nous pourrions qualifier d'« islamophobe » concerne la volonté d'exclure les femmes voilées des sorties scolaires. Lors des sorties scolaires, ces femmes voilées sont des collaboratrices occasionnelles du service public. Un événement a marqué les esprits assez récemment : la prise à partie d'une mère d'élève lors d'une séance du conseil régional de Bourgogne par un élu du Rassemblement national. L'enseignante qui avait organisé une sortie dans ce lieu participait à la formation citoyenne de ses élèves, et ce, dans le respect de la législation en vigueur. Pourtant elle n'a pas reçu le soutien qu'elle était en droit d'attendre de l'institution. Nous n'avons pas reçu de mot de soutien de la part du ministre, que ce soit pour l'équipe enseignante, pour la mère d'élève ou pour son enfant.

Au SNUIPP, nous défendons la loi de 1905 dans ce qu'elle est, c'est-à-dire le résultat d'un consensus national qui garantit à chacune et chacun la liberté de conscience et son expression, permettant ainsi de vivre libre et pacifiquement en acceptant les différences des uns, des unes, des autres, dans une stricte neutralité de l'État. À notre sens, l'extension du principe de neutralité aux accompagnateurs et accompagnatrices romprait cet équilibre auquel nous sommes attachés. En effet, lorsqu'il y a prosélytisme – et cela peut se faire avec ou sans voile, ce n'est pas forcément du fait d'une femme portant le voile –, nos collègues interviennent généralement avant que la situation ne se pose de façon conflictuelle et plus large. Une forme de professionnalisme enseignant est reconnue. Les réflexions générales et le travail en équipe permettent aussi de gérer ces situations – qui sont extrêmement minoritaires. Le SNUIPP s'oppose donc à ce qu'on instrumentalise la laïcité à des fins politiciennes et que cela serve de prétexte pour discriminer sur des critères religieux ou ethniques.

En ce qui concerne les questions éducatives et le besoin de l'école, nous pouvons réaffirmer ce qu'il faut pour former des citoyens et des citoyennes libres et éclairés : la construction de l'esprit critique, seul à même de faire reculer durablement préjugés, stéréotypes et discriminations. Ce n'est pas simple et ça ne consiste pas en une leçon. Cela demande du temps, des connaissances solides de la part des enseignants.

Nous nous inquiétons du recentrage sur les fondamentaux imposé par le ministre de l'éducation nationale et aussi de sa vision verticale de l'enseignement moral et civique (EMC), qui ne répondent pas à cette nécessité de bâtir du commun. Nous pensons que c'est sur l'édification d'un socle commun, d'une culture partagée, qu'il nous faut agir à tous les niveaux de la scolarité. Il est important de souligner qu'il y a une grande responsabilité de nos politiques pour ne laisser aucun élève sur le bord du savoir, puisque l'ignorance et l'obscurantisme ont toujours eu partie liée avec la violence, ils en sont le premier terreau.

Notre système scolaire est actuellement à la peine. Nous avons des classes surchargées. Les professionnels sont en nombre insuffisant et sont sous-payés. La continuité du service public d'éducation n'est pas respectée, faute de remplaçants. Par exemple, en Seine-Saint-Denis, un enfant verra l'ensemble de sa scolarité amputé de plusieurs mois par rapport à un enfant d'un département plus généreusement doté en postes. Les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) sont censés répondre à la difficulté scolaire. En ne répondant pas à ces difficultés, on laisse des enfants sur le bord de la route. Pourtant, les RASED ont été décimés, et la formation est relativement indigente, voire inexistante pour ce qui est de la formation continue.

Nous avons une longue liste de raisons objectives pour lesquelles les élèves décrochent et quittent l'école sans diplôme. Nous croyons à l'éducabilité de l'élève. Nous pensons que nous apprenons tout au long de la vie et que toutes et tous nos élèves sont éducables. Il faut un minimum de moyens, puisque la question du racisme ou des racismes – et plus généralement des discriminations – ne peut pas se résoudre s'il n'y a pas l'ambition des moyens qui va avec.

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