Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du jeudi 10 décembre 2020 à 15h45

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • collège
  • lycée
  • racisme

La réunion

Source

La mission d'information organise une table ronde réunissant M. Antoine Chauvel, secrétaire national du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et PEGC (SNUipp-FSU) et Mme Catherine Le Duff, secrétaire départementale ; M. Gwenael Le Guevel, conseiller fédéral du Syndicat général de l'éducation nationale-Confédération française démocratique du travail (SGEN-CFDT) ; M. Rémy-Charles Sirvent, secrétaire national du Syndicat des enseignants de l'Union nationale des syndicats autonomes (SE‑UNSA) ; M. Sébastien Vieille, secrétaire national à la pédagogie du Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (SNALC).

La séance est ouverte à 15 heures 45.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons le plaisir de recevoir des représentants d'organisations syndicales d'enseignants. Cette mission d'information a été créée il y a un an par l'Assemblée nationale. Avec Mme la rapporteure Caroline Abadie et les collègues qui font partie de cette mission d'information, nous nous fixons pour objectif de dresser un état des lieux – que nous essaierons de rendre le plus exhaustif possible – des différentes formes de racisme qui perdurent ou qui apparaissent dans notre société, et de proposer des pistes d'action pour rendre plus effective la lutte contre le racisme.

L'éducation est un pilier incontournable. Elle est au cœur des problématiques sur lesquelles nous travaillons. Nous avons reçu de nombreux universitaires, professeurs, notamment d'histoire-géographie. Le ministre de l'éducation nationale lui-même est venu devant la mission d'information pour engager cette réflexion sur l'éducation et souligner que l'école de la République est la colonne vertébrale porteuse des valeurs de la République. Nous avons aussi reçu différents directeurs de l'Éducation nationale, de l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation (Inspé), de la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco), et nous venons de recevoir des représentantes des grandes écoles françaises.

Nous recevons maintenant M. Antoine Chauvel, secrétaire national du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et professeurs d'enseignement général de collège (PEGC)-Fédération syndicale unitaire (SNUIPP-FSU), et Mme Catherine Le Duff, secrétaire départementale de ce syndicat ; M. Gwenael Le Guevel, conseiller fédéral du Syndicat général de l'Éducation nationale-Confédération française démocratique du travail (SGEN-CFDT) ; M. Rémy-Charles Sirvent, secrétaire national du Syndicat des enseignants de l'Union nationale des syndicats autonomes (SE-UNSA) ; et M. Sébastien Vieille, secrétaire national à la pédagogie du Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (SNALC).

Je laisse la parole à Mme la rapporteure Caroline Abadie. Puis nous vous entendrons traiter du rôle de l'éducation dans la lutte contre le racisme, et de la façon dont le sujet est vécu sur le terrain au quotidien, c'est-à-dire la manière dont vous êtes accompagnés et les moyens dont vous disposez ou non pour exercer cette mission.

Vous nous donnerez les éventuels points d'amélioration que vous voudriez faire remonter. En vue d'un rapport qui se donne comme objectif de trouver des solutions, nous avons en effet besoin des retours concrets des acteurs de terrain.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cette mission a intensifié ses travaux à l'issue du premier confinement, en juin dernier. Elle est assez indépendante des mouvements que nous avons pu connaître cette année et de l'actualité, que ce soient les manifestations du printemps ou le triste assassinat de Samuel Paty, mais elle en tient bien sûr compte. Je souhaite rendre à nouveau hommage à ce professeur d'histoire-géographie assassiné. Nous en avions largement parlé lors d'une table ronde où étaient présentes des associations de professeurs spécialisés dans cette matière. Nous attendons quelques pistes concrètes de cette table ronde et espérons que vous aurez des idées ou des remarques à nous soumettre. Nous avons plusieurs pistes : l'orientation, le contenu des cours et la représentation dans le corps enseignant de la diversité des origines de notre pays, si toutefois vous avez un regard sur la « politique des ressources humaines de votre institution.

Permalien
Catherine Le Duff, secrétaire départementale du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et PEGC (SNUIPP-FSU)

Notre propos se fondera sur notre expertise du terrain et notre expérience dans les écoles. Le SNUIPP-FSU est la première organisation syndicale du premier degré et est installé sur l'ensemble du territoire, au plus près des collègues. Nous sommes nous-mêmes en classe, ce qui nous permet de porter une parole en prise avec le réel.

Le premier point que je vais aborder est celui de l'école ouverte. Pour le SNUIPP-FSU, l'école est au centre de la société, et l'idée d'une école hors-sol, d'un sanctuaire imperméable au monde, est déconnectée de la réalité. L'actualité ainsi que tous les débats de société la pénètrent et la font questionner par les élèves. Les élèves concernés par notre champ de syndicalisation ont entre 3 et 6 ans à l'école maternelle et entre 6 et 11 ans à l'école élémentaire. Ce sont des enfants qui ont des questions d'enfant, des réflexions et des commentaires d'enfant, et aussi des interprétations d'enfant. Il s'agit de paroles en construction, qui sont parfois le reflet de paroles parentales, mais ce sont des paroles d'enfant qu'il faut appréhender comme telles.

Cette école du premier degré, ce sont les enseignants, et surtout les enseignantes, qui la font vivre, avec les autres adultes des équipes éducatives, pour transmettre des savoirs communs, émancipateurs, et construire le vivre-ensemble en éduquant au respect de chacun et chacune. Cette école est ouverte sur le monde extérieur, et c'est dans la confrontation au monde réel que les enfants se construisent, entourés d'adultes pour les y aider. C'est la raison pour laquelle nous, enseignants et enseignantes, accueillons sans aucune discrimination tous les parents de nos élèves. Nous considérons qu'ils sont tous respectables de la même manière, et nous sommes convaincus que c'est dans le dialogue et par la coéducation que nous aiderons nos élèves à se construire et à trouver leur place dans la société. Nous acceptons donc aussi l'aide que peuvent nous apporter les parents dans le cadre des activités scolaires et périscolaires.

Le point suivant concerne ce que nous vivons au quotidien avec le comportement de nos élèves. Il faut souligner un élément essentiel : ce que nous constatons au quotidien, c'est que les jeunes enfants ne sont pas racistes. Il n'est pas rare qu'à la maternelle les plus jeunes ne remarquent même pas les différences de couleur de peau. C'est lorsqu'ils grandissent ou lors d'interactions sociales avec des adultes qu'ils en prennent tout à coup conscience. En grandissant, ils prêtent davantage attention à la diversité des personnes, de leurs opinions, et pas seulement aux différences perceptibles qui concernent l'aspect physique. C'est à ce moment que surgissent des remarques, des commentaires, des interrogations, des discussions.

Au-delà de l'étonnement et de la curiosité, on peut voir surgir des sentiments de crainte ou de rejet dans nos classes et nos écoles. Les enseignants sont extrêmement sensibles à ces comportements et ils interviennent immédiatement pour y remédier. Il faut toutefois noter qu'on a le plus souvent affaire à des remarques, voire des insultes, à connotation sexiste, ou à des remarques que l'on pourrait qualifier d'« homophobes », les propos racistes étant plus rares. Il existe parfois des conflits de loyauté entre l'éducation familiale et le milieu scolaire, qui peuvent interférer dans la résolution des situations problématiques que nous rencontrons. Mais, dans l'immense majorité des cas, le dialogue des équipes éducatives avec les enfants, et si besoin les familles, permet de dénouer les situations conflictuelles.

Permalien
Antoine Chauvel, secrétaire national du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et PEGC (SNUIPP-FSU)

Un des racismes récurrents dont nous avons connaissance, parce que les écoles nous en informent ou parce que les médias ont pu s'en emparer, concerne notamment les populations roms ou supposées telles, ou encore les populations vivant en squat, en bidonville ou dans les hôtels du service d'aide médicale urgente (SAMU) social. Nous sommes fréquemment alertés lorsque des maires invoquent l'absence de domicile fixe pour ne pas inscrire ces enfants à l'école, ne respectant ainsi pas le droit à l'éducation – qui est un droit constitutionnel. Nous avons connaissance de parcours du combattant lorsque des maires jalonnent l'inscription d'obstacles, allant parfois jusqu'à des refus purs et simples. Or, les procédures judiciaires peuvent prendre du temps pour obliger les maires à inscrire ces enfants. Selon le Défenseur des droits, environ 100 000 enfants, tous âges confondus, auraient ainsi été laissés sur le bord de la route en 2019 pour cette raison.

Une autre forme de racisme à laquelle nous assistons de façon cyclique et que nous pourrions qualifier d'« islamophobe » concerne la volonté d'exclure les femmes voilées des sorties scolaires. Lors des sorties scolaires, ces femmes voilées sont des collaboratrices occasionnelles du service public. Un événement a marqué les esprits assez récemment : la prise à partie d'une mère d'élève lors d'une séance du conseil régional de Bourgogne par un élu du Rassemblement national. L'enseignante qui avait organisé une sortie dans ce lieu participait à la formation citoyenne de ses élèves, et ce, dans le respect de la législation en vigueur. Pourtant elle n'a pas reçu le soutien qu'elle était en droit d'attendre de l'institution. Nous n'avons pas reçu de mot de soutien de la part du ministre, que ce soit pour l'équipe enseignante, pour la mère d'élève ou pour son enfant.

Au SNUIPP, nous défendons la loi de 1905 dans ce qu'elle est, c'est-à-dire le résultat d'un consensus national qui garantit à chacune et chacun la liberté de conscience et son expression, permettant ainsi de vivre libre et pacifiquement en acceptant les différences des uns, des unes, des autres, dans une stricte neutralité de l'État. À notre sens, l'extension du principe de neutralité aux accompagnateurs et accompagnatrices romprait cet équilibre auquel nous sommes attachés. En effet, lorsqu'il y a prosélytisme – et cela peut se faire avec ou sans voile, ce n'est pas forcément du fait d'une femme portant le voile –, nos collègues interviennent généralement avant que la situation ne se pose de façon conflictuelle et plus large. Une forme de professionnalisme enseignant est reconnue. Les réflexions générales et le travail en équipe permettent aussi de gérer ces situations – qui sont extrêmement minoritaires. Le SNUIPP s'oppose donc à ce qu'on instrumentalise la laïcité à des fins politiciennes et que cela serve de prétexte pour discriminer sur des critères religieux ou ethniques.

En ce qui concerne les questions éducatives et le besoin de l'école, nous pouvons réaffirmer ce qu'il faut pour former des citoyens et des citoyennes libres et éclairés : la construction de l'esprit critique, seul à même de faire reculer durablement préjugés, stéréotypes et discriminations. Ce n'est pas simple et ça ne consiste pas en une leçon. Cela demande du temps, des connaissances solides de la part des enseignants.

Nous nous inquiétons du recentrage sur les fondamentaux imposé par le ministre de l'éducation nationale et aussi de sa vision verticale de l'enseignement moral et civique (EMC), qui ne répondent pas à cette nécessité de bâtir du commun. Nous pensons que c'est sur l'édification d'un socle commun, d'une culture partagée, qu'il nous faut agir à tous les niveaux de la scolarité. Il est important de souligner qu'il y a une grande responsabilité de nos politiques pour ne laisser aucun élève sur le bord du savoir, puisque l'ignorance et l'obscurantisme ont toujours eu partie liée avec la violence, ils en sont le premier terreau.

Notre système scolaire est actuellement à la peine. Nous avons des classes surchargées. Les professionnels sont en nombre insuffisant et sont sous-payés. La continuité du service public d'éducation n'est pas respectée, faute de remplaçants. Par exemple, en Seine-Saint-Denis, un enfant verra l'ensemble de sa scolarité amputé de plusieurs mois par rapport à un enfant d'un département plus généreusement doté en postes. Les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) sont censés répondre à la difficulté scolaire. En ne répondant pas à ces difficultés, on laisse des enfants sur le bord de la route. Pourtant, les RASED ont été décimés, et la formation est relativement indigente, voire inexistante pour ce qui est de la formation continue.

Nous avons une longue liste de raisons objectives pour lesquelles les élèves décrochent et quittent l'école sans diplôme. Nous croyons à l'éducabilité de l'élève. Nous pensons que nous apprenons tout au long de la vie et que toutes et tous nos élèves sont éducables. Il faut un minimum de moyens, puisque la question du racisme ou des racismes – et plus généralement des discriminations – ne peut pas se résoudre s'il n'y a pas l'ambition des moyens qui va avec.

Permalien
Catherine Le Duff, secrétaire départementale du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et PEGC (SNUIPP-FSU)

Nous proposons quelques pistes en guise de solutions. Elles ne sont pas valables seulement pour l'école. Dans notre métier, face aux évolutions de la société, nous avons fréquemment besoin de mises à jour. Par rapport à la question de la formation des enseignants, l'outillage intellectuel apporté par la recherche dans toute sa diversité pourrait ainsi irriguer nos réflexions et nos pratiques. De même, la formation à la relation aux familles et à la façon de l'aborder devrait être envisagée. Malheureusement, sur tous ces sujets, la formation est quasi inexistante. Quelques heures y sont consacrées en formation initiale, qui sont de plus réparties de façon diverse selon les académies. En ce qui concerne la formation continue, on peut faire une carrière de quarante-deux ans dans l'éducation nationale sans bénéficier de formation continue digne de ce nom dans les sujets évoqués précédemment.

Nous avons dit que l'école était au centre de la société : le ministre parle de « colonne vertébrale ». C'est vrai, mais l'école ne peut pas tout toute seule. L'accroissement de la pauvreté, la relégation sociale et territoriale, l'absence de politique sociale ambitieuse sont les premiers séparatismes dans notre société, et ce sont les terreaux de toutes les divisions. Nos élèves sont sensibles, intelligents et ils perçoivent très bien la tension entre ce que l'on transmet à l'école, les valeurs que nous travaillons et que nous construisons au quotidien avec eux – l'égalité, la liberté, la fraternité –, et la réalité de ce qu'ils vivent. Pour s'attaquer au racisme et aux discriminations qui gangrènent notre société, il faut faire vivre les valeurs de la République sur l'ensemble de ses territoires.

Permalien
Gwenael Le Guevel, conseiller fédéral du Syndicat général de l'éducation nationale-Confédération française démocratique du travail (SGEN-CFDT)

Je vais dire quelques mots au sujet de l'orientation. Notre système éducatif contient encore des filières ségrégatives, comme les sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA). Quand le système éducatif produit lui-même de la ségrégation sociale, voire ethnique, il n'est pas crédible. Pour approfondir cette question, vous pouvez vous intéresser à l'expérimentation « Choisir l'inclusion pour éviter la ségrégation » (CIPES). Cette expérimentation a lieu sur un temps long. Il s'agit d'écoles qui essaient de trouver de nouveaux modes d'orientation, puisque l'on observe que des familles, des fratries entières sont orientées vers des filières sans qu'il y ait véritablement de raison objective.

J'ai été mandaté par le SGEN parce que je suis conseiller fédéral et il se trouve que j'ai suivi un dispositif qui se développe depuis maintenant dix ans et sur lequel nous avons donc un peu de recul. Je l'ai découvert dans mon collège nantais et l'ai pratiqué pendant quatre ans, puis j'ai quitté l'établissement, mais le dispositif a perduré malgré le départ de ses initiateurs. C'est assez rare dans un établissement. Souvent le projet s'arrête quand le porteur de projet s'en va. Ce dispositif, très concret, s'appelle « Sentinelles et référents ». Il est développé dans un certain nombre de lycées professionnels, dans des collèges et dans une moindre mesure dans des écoles.

« Sentinelles et référents » est un dispositif qui a pour but de lutter contre les phénomènes de boucs émissaires, dans lequel nous incluons le racisme, et de façon générale l'essentialisme, qui consiste à réduire une personne à une seule de ses dimensions. Nous l'expliquons ainsi aux élèves. Ce dispositif a quelques particularités.

La première, c'est qu'élèves et adultes sont formés ensemble, durant deux jours, par groupes. Il s'agit des adultes de l'équipe éducative – conseiller principal d'éducation, principal adjoint, professeurs –, nous avions aussi les infirmières, assistants d'éducation, ainsi qu'une douzaine d'élèves. Durant cette formation de deux jours, une forme d'horizontalité s'installe sur ce sujet.

La seconde, c'est que nous sommes amenés à partager une grille de lecture relative aux phénomènes de boucs émissaires et de racisme. Elle apporte un traitement assez spécial du phénomène du bouc émissaire et du harcèlement.

Nous apprenons aux élèves et aux adultes à reconnaître une situation de harcèlement. Cette grille présente ainsi des postures qui reviennent systématiquement. Une même personne peut adopter plusieurs postures. À partir d'une victime, le Noir par exemple, une vidéo est diffusée montrant la victime qui se fait harceler. Très souvent dans ces situations et dans les collèges et lycées, on oublie les spectateurs. Les formateurs nous ont apporté cette notion de spectateurs, que nous nommons « normopathes », quand la notion est acquise. Il s'agit des malades de la norme : ils sont présents, un peu en sécurité, ne disent rien, voire donnent un petit coup de pied et retournent vite se mettre en sécurité dans le troupeau.

Il existe la posture de harceleur et celle de spectateur, et nous apprenons aux élèves à avoir une posture de sentinelle. Ensuite, nous formons une communauté de sentinelles élèves et de référents adultes qui seront vigilants par rapport à ce phénomène, qui le repéreront. Nous avions pour notre part des réunions deux fois par semaine lors desquelles nous revenions sur des cas avec les élèves. Nous les analysions pour voir s'il s'agissait bien d'une situation de harcèlement. Ce qui la caractérise, c'est que « les postures se figent dans le temps et se répètent ».

Autrement dit, si un élève est victime une fois dans une classe, ce n'est pas très grave, la classe rigole, on se moque, ça n'a pas de grosses conséquences. Si en revanche cela commence à s'installer et que l'on retrouve toujours les mêmes personnes dans les postures de harceleur et de bouc émissaire, alors une situation de harcèlement s'objective. La définition qui en est donnée est « microviolences quotidiennes répétées ». Nous leur apprenons à repérer cela et nous en discutons.

Le racisme intervient dans cette grille, puisqu'il correspond à un des cas : je repère une des dimensions de votre personne et j'appuie dessus (« le gros », « le Noir », etc. ). Cette grille de lecture devient donc commune. Nous apprenons ensuite aux élèves et aux adultes à intervenir correctement dans ces situations. La difficulté principale que nous rencontrons dans un collège pour lutter contre le racisme et les phénomènes de boucs émissaires est l'omerta entretenue sur le sujet, et l'autocensure qui va avec. Un élève qui est extrêmement raciste ne va pas le dire ou l'afficher. Il a appris, il a bien repéré que l'école est un endroit où cela ne se fait pas d'être raciste et qu'il faut agir discrètement.

Par ailleurs, le fait d'être une « balance » si on dénonce est très mal perçu quand on est au collège. Ce dispositif va permettre d'éviter cet écueil en se concentrant sur deux points.

Les élèves sentinelles ont interdiction d'intervenir en direction des harceleurs. Ce sera aux adultes de s'occuper d'eux. Les élèves interviennent toujours de manière collective, jamais seuls. Ils interviennent de deux façons : en direction de la victime, pour lui dire : « Ce qui t'arrive n'est pas normal et il n'est pas normal qu'on te réduise à une seule de tes dimensions » et en direction des spectateurs, pour leur dire : « Et si c'était vous ? » Il s'agit de s'appuyer sur les valeurs et de dire : « Aimerais-tu être traité pareillement ? » Nous secouons donc les normopathes dans leur aspect moutonnier.

Ce dispositif a pour particularité d'envisager le racisme ou toute forme d'essentialisme comme un phénomène de groupe, une dynamique de groupe : on peut se permettre ceci parce qu'une norme l'autorise. C'est toujours ainsi. C'est la même chose pour la violence exercée envers les femmes. La personne qui nous a formés utilise à ce sujet une belle formule : « Ce qui a été abîmé par le groupe doit être réparé par le groupe. » C'est pour cela que si vous ne travaillez pas avec les normopathes, les spectateurs, vous allez passer à côté du sujet, parce qu'il n'y a plus de spectacle quand il n'y a plus de spectateurs. C'est un travail qui est souvent oublié, puisque l'on va simplement vers le harceleur en disant « c'est mal ».

Permalien
Rémy-Charles Sirvent, secrétaire national du Syndicat des enseignants de l'Union nationale des syndicats autonomes (SE-UNSA)

Je suis secrétaire national du SE-UNSA au secteur laïcité, école et société, secrétaire général du Comité national d'action laïque (CNAL). Je vais vous faire part d'une enquête que le CNAL avait menée avec l'Institut français d'opinion publique (IFOP) en avril 2018. Elle s'appelait « La laïcité et l'école : les enseignants ont la parole ». C'est la première fois que les enseignants du public, de la maternelle au lycée, étaient interrogés sur le principe de laïcité. Quelques questions concernaient le racisme, ce qui va nous permettre de disposer d'éléments chiffrés sur ce que nous livrent les enseignants qui ont été interrogés par l'institut de sondages. Nous avions demandé aux enseignants : « Constatez-vous dans votre école ou votre établissement scolaire des paroles ou des actes à tendance discriminatoire ? » Ont été principalement relevés : l'intolérance entre élèves, un racisme, des pressions à l'égard des filles, des revendications identitaires, du communautarisme et de l'antisémitisme.

Les trois premières réponses sont particulièrement inquiétantes. Les enseignants nous disent avoir observé dans leurs classes de l'intolérance, au sens large. Celle-ci est très présente. Une sonnette d'alarme est tirée : il se passe quelque chose dans les écoles. Le racisme aussi fait partie de la vie des élèves, de même que les pressions à l'égard des filles. Pour compléter cette enquête qui avait été produite par l'IFOP, les militants des organisations du Comité national d'action laïque sont partis à la rencontre d'agents publics – enseignants, chefs d'établissement, inspecteurs du premier degré – pour leur dire quels étaient ces actes d'intolérance, de racisme, ces pressions à l'égard des filles, etc. On peut citer les remarques physiques, les remarques sur le handicap, la « grossophobie » et l'homophobie.

Une nouvelle forme de racisme a aussi été relevée : un racisme économique. Une insulte revient souvent : « cas soc' ». Cela s'entend dans la société et donc dans les écoles. Sont aussi visés des élèves de SEGPA, des élèves placés ou encore des élèves qui sont dans des situations très précaires. Ce racisme économique peut être mis en lien avec la précarisation de la société. L'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) vient de révéler qu'en 2018, année où a eu lieu le sondage, 400 000 personnes en France sont passées en dessous du seuil de pauvreté. Ce seuil de pauvreté concerne un élève sur cinq, et un élève sur dix vit en dessous du seuil de pauvreté.

L'école n'est pas protégée des paroles et actes racistes. Pour ce qui est des solutions que nous préconiserions, je souligne que, pour ma part, je ne parle plus de vivre-ensemble. En effet, le maître et l'esclave vivaient ensemble, et ce n'est pas un idéal de vie en société. Le vivre-ensemble a une réalité très abstraite pour un certain nombre d'élèves qui subissent l'entre-soi des uns et qui se retrouvent en situation de ségrégation. Dans notre pays, l'entre-soi des uns conduit à la ségrégation des autres. J'avance plutôt deux pistes centrales. La première est la formation. Dans notre sondage qui portait sur la laïcité, 74 % des enseignants du public nous ont dit ne pas avoir bénéficié de formation initiale au principe de laïcité, et 94 % pas de formation continue. Les questions relatives au racisme et à la pauvreté font partie du bloc des maquettes de formation qui représentent en tout une moyenne de trois heures par an. Le manque de formation est donc considérable. Je précise que nous avons besoin d'une harmonisation des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé), de façon que les sites de formation ne se contredisent pas sur ces questions. La seconde est la mixité sociale à l'école. De timides expérimentations ont eu lieu de 2015 à 2018. Elles ont cessé mais elles avaient donné des résultats intéressants. Une réflexion doit être menée sur la sectorisation scolaire. Lorsqu'on est possédant du capital culturel dans notre pays, il arrive qu'on ne veuille pas mélanger ses enfants avec les enfants des autres, autrement dit avec des « pauvres ». Nous l'observons dans toutes nos villes et même dans des villes toutes petites. Dès lors qu'il y a deux écoles, on risque de trouver l'école des Blancs et l'école des autres. C'est une tendance qui parcourt la société. On pense que la mixité sociale pourra être un risque pour ses propres enfants.

On ne peut pas demander aux parents de sacrifier leurs enfants sur l'autel de la mixité sociale, mais c'est le rôle des pouvoirs publics d'impulser des politiques dans cette direction. Des moyens sont consacrés à l'éducation prioritaire, mais ils ne doivent pas représenter un solde de tout compte en matière de mixité sociale. Il ne s'agit pas d'avoir de hauts principes et de basses pratiques. Sur le plan local, on observe par exemple des situations de sectorisation aléatoire et des dérogations scolaires complaisantes pour le primaire ou le collège. Il faut amener l'enseignement privé à participer à l'effort de mixité sociale dans notre pays. Il doit absolument contribuer à cela.

Des défis considérables se présentent donc à nous, puisque cette République sociale tend à s'effacer devant d'autres impératifs. Jaurès le disait : « La France est laïque et sociale. Elle restera laïque si elle sait rester sociale. » Nous avons de gros efforts à fournir pour faire en sorte que les enfants de notre pays se rassemblent dans la joie d'apprendre dans la différence, par-delà le rang réel ou supposé de leurs parents dans la société.

Permalien
Sébastien Vieille, secrétaire national à la pédagogie du Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (SNALC)

Je vais d'abord vous dresser un état des lieux de ce que constate le SNALC. Le SNALC est une organisation indépendante, apolitique et laïque et ne parle que d'éducation. Dans l'éducation nationale, il existe déjà beaucoup de choses. En géographie, en EMC, nous avons des programmes et, les débats existent. Dans le cadre du Conseil supérieur de l'éducation, nous avions d'ailleurs fait ajouter dans les programmes du lycée la question de l'homophobie. Le français et les langues vivantes participent à la même dynamique.

Je suis professeur d'anglais et, à travers les documents, dans les axes que je choisis de traiter, je travaille la question du racisme, du harcèlement, du sexisme et de l'homophobie – quitte parfois à choquer, à aller chercher l'élève dans les certitudes qu'il a construites dans ses préconçus, pour tenter de faire évoluer. Toutes les disciplines concourent donc à la lutte contre le racisme et les discriminations. Les études de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) montrent que, plus on élève le niveau d'éducation d'une population, plus on lutte contre les discriminations. Pour nous, c'est peut-être le travail central que doit faire l'école.

Par ailleurs, des modifications de la carte scolaire permettent d'assurer une mixité sociale. Je viens d'un bassin ouvrier relativement défavorisé. Il a connu des évolutions de la carte scolaire et celles-ci sont salutaires, parce qu'elles permettent plus de mixité sociale.

Le travail sur l'orientation est un autre point important. On voit une ébauche de signal : des places sont réservées pour les professions ou catégories « socio-professionnelles moins (CSP−) » dans certaines filières sélectives.

Pour ce qui est des points de résistance, ils ne sont pas toujours où on les attend. On peut les retrouver à l'intérieur d'une même classe et ils peuvent s'exprimer de façon très différente selon l'âge des élèves. On a par exemple pu voir des courses organisées dans une école où les Français étaient contre « le reste du monde », et c'était « le reste du monde » qui organisait ces courses. Les professeurs des écoles font alors un travail admirable pour expliquer que nous faisons tous partie d'une même société, d'une même entité, et c'est une des réponses essentielles. Dans ces situations, l'adulte se doit de se poser en pédagogue, sans surréagir mais en expliquant.

À l'intérieur d'une même classe, on voit aussi des résistances si l'on observe la façon dont se placent les élèves. D'eux-mêmes ils recréent une forme de ségrégation au sein de la salle de classe. L'enseignant se doit alors d'imposer la mixité.

Nous observons encore des points de résistance sociaux. Les conflits de la société sont en effet importés dans l'école, et se manifestent différemment selon l'âge. Les autres discriminations sociales importées dans la classe concernent l'intolérance envers les « cas soc' ».

Par rapport à toutes ces résistances, l'éducation nationale agit déjà, à travers ses programmes. L'inclusion peut permettre de lutter contre les discriminations si elle est bien menée. Telle qu'elle est mise en œuvre à l'heure actuelle, elle va nous mener vers un échec, parce que l'on fait de l'inclusion sans y mettre les moyens. Ainsi, l'on crée des crispations chez les enseignants, mais aussi entre les élèves, et même entre les familles. Des familles en viennent en effet à se plaindre car le cours ne va pas assez vite parce que dans la classe il y a tels ou tels élèves. Nous sommes en train d'en rajouter et de créer un ressentiment avec une inclusion qui est mal menée.

Parallèlement à cela, nous ne sommes pas favorables à une augmentation des dispositifs ou des expérimentations sur le plan national. En revanche, des choses sont très bien faites localement par des équipes motivées qui travaillent sur des situations sur le terrain. Nous disons donc qu'il faut donner à ces équipes les moyens de continuer à faire ce qu'elles font, mais il ne faut pas généraliser des pratiques au prétexte qu'elles marchent sur le plan local. Ce serait une erreur, parce qu'il faut des personnes pour s'en emparer et les faire vivre.

Il reste donc des choses à faire, mais il en existe déjà un certain nombre. L'école mène un travail, mais, en lycée, on constate un enfermement croissant des élèves dans une forme d'entre-soi qui évolue en microcommunautés. Ces microcommunautés se mettent à fonctionner en vase clos et à se fermer de plus en plus aux autres. En tant que pédagogues, nous travaillons sur ces aspects mais, face aux réseaux sociaux qui se multiplient et enferment encore davantage les jeunes entre eux, nous avons du mal à faire le poids.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour vos différentes interventions et les pistes de réflexion et d'action que vous nous avez proposées. Madame la rapporteure, je vous laisse réagir.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je pense que l'on pointe quelque chose d'important quand on parle de racisme économique. Cela montre ce qu'est le nouveau racisme. Par rapport à la carte scolaire, nous avons notamment entendu parler de Toulouse, où un travail considérable est aujourd'hui mené, qui va permettre de redessiner la carte scolaire, d'ériger un nouvel établissement et d'y mettre beaucoup d'options, de choses intéressantes, pour qu'il n'y ait plus le bon collège et le mauvais collège, et les bons élèves et les mauvais…

Lors d'une autre table ronde, nous avons entendu des professionnels de grandes écoles nous dire que, lorsque les professeurs suivent des formations sur l'orientation, ils se rendent compte qu'eux aussi sont légitimes pour parler d'orientation avec leurs élèves. Je ne parle pas de la compétence, au vu de la variété des métiers qui existent, mais les professeurs se sentent-ils selon vous légitimes pour orienter ? Les enfants des milieux favorisés ont leur milieu familial qui va être le guide en matière d'orientation, mais, pour les enfants défavorisés, c'est ce qu'ils vont entendre à l'école qui constituera le guide. Comment prendre ou mieux prendre en compte ce point, en collaboration avec les conseillers d'orientation ? Nous pourrions aussi parler du fonctionnement du portail « valeurs de la République ».

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous sommes tous convaincus que nous ne pouvons rien faire sans des équipes enseignantes volontaires. Pour qu'elles le soient, il faut qu'elles ressentent la confiance de leur institution. Ce n'est pas toujours le cas. Les expériences qui ont lieu à un endroit ne sont effectivement pas forcément des succès ailleurs, les choses ne s'importent pas de façon systématique. J'ai longtemps été enseignante et je m'interroge sur l'orientation. Je pense aux lycées professionnels, où la discrimination existe, où la ségrégation et l'entre-soi sont bien présents. L'on se retrouve finalement face à des élèves qui ont peur d'eux-mêmes, qu'on a tendance à mettre dans des cases et qui se retrouvent sur des chemins dont ils ne peuvent pas sortir.

Avec la réforme des lycées professionnels, à partir de la deuxième année, on fera en sorte que les élèves se dirigent plutôt vers un cursus de poursuite d'études ou vers un cursus pour entrer dans la vie professionnelle. Cela peut éventuellement s'entendre si on pense en termes d'efficacité, de pragmatisme et de moyens de faire correspondre le marché du travail et la formation de nos élèves. Mais, si l'on parle d'autonomie et de lutte contre les discriminations, n'est-ce pas une façon de mettre trop tôt et trop vite des élèves dans des voies dont ils auront plus de mal à se sortir ? J'ai côtoyé ces jeunes pendant trente ans, et il me semble qu'il faut les aider à dépasser leurs propres peurs et à nourrir cette confiance qui pourrait les aider à aller plus haut.

Permalien
Rémy-Charles Sirvent, secrétaire national du Syndicat des enseignants de l'Union nationale des syndicats autonomes (SE-UNSA)

En évoquant le lycée professionnel par rapport à la question de l'orientation, vous avez cerné une question essentielle, mais l'orientation commence bien avant. Le Centre national d'étude des systèmes scolaires (CNESCO) avait déjà révélé que des filières sélectives existent dans 45 % des collèges français. Nous avons parlé de filières sélectives en SEGPA. Nous pouvons aussi évoquer les options. Certaines options sont connues des enfants qui sont placés dans des familles où la réussite scolaire est reçue en héritage, et beaucoup moins des autres. Même avant le lycée, les élèves se retrouvent dans des canalisations qui ne sont pas forcément des canalisations scolaires mais qui sont des canalisations sociales. Et les choses sont imprimées assez rapidement. La question de l'orientation démarre donc bien avant les processus d'orientation, par des propositions de filières qui catégorisent les élèves en dehors de ce que pourraient être leurs possibilités.

Permalien
Catherine Le Duff, secrétaire départementale du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et PEGC (SNUIPP-FSU)

Pour nous dans le premier degré, l'orientation se prépare très en amont dans les familles qui sont en connivence avec l'école. Je suis dans un département, le Bas-Rhin, où l'enseignement de l'allemand se développe, et organise dès la maternelle la ségrégation sociale et culturelle.

Toujours sur la question de l'orientation, ATD Quart Monde a réalisé un travail très intéressant dont les conclusions nous interpellent en tant qu'enseignants et nous devons nous en emparer. L'orientation par défaut des enfants des classes populaires est liée à la difficulté scolaire qu'ils peuvent rencontrer durant leur parcours. Nous ne pouvons plus, ou très difficilement, prendre en charge cette difficulté scolaire, faute de personnel en nombre suffisant.

En outre, le corps des conseillers d'orientation et psychologues scolaires dans l'enseignement public est en voie de disparition. Si l'on délègue à des associations privées le rôle de l'orientation des élèves, on va droit dans le mur.

Pour terminer, je répondrai à Mme Victory, qui disait que les équipes enseignantes sont volontaires seulement si elles ont la confiance de leur institution. Je dirais que les équipes sont toujours volontaires, et elles se désespèrent de ne pas avoir la confiance de leur institution…

Permalien
Gwenael Le Guevel, conseiller fédéral du Syndicat général de l'éducation nationale-Confédération française démocratique du travail (SGEN-CFDT)

En citant l'expérimentation que je connais, je précise que mon intention n'était pas qu'elle soit répliquée partout. Il s'agit de se demander si l'élève raciste dispose d'un lieu où il peut dire qu'il l'est. Je crois au postulat d'éducabilité mais je crois aussi au postulat de cohérence, c'est-à-dire : chacun a de bonnes raisons de penser ce qu'il pense. Je fais référence aux travaux du chercheur Daniel Favre. Il faut mettre en œuvre ce postulat de cohérence face aux élèves. Quand faisons-nous l'expérience de l'égalité humaine ? Quand adultes et enfants se posent-ils ces questions sans qu'il y ait ces rapports de domination-soumission ?

En ce qui concerne l'orientation, j'insiste également sur le fait qu'elle commence bien avant le lycée professionnel. La revalorisation du lycée professionnel est de « l'esbroufe », on en parle depuis vingt ou trente ans. Tant que les ateliers seront réservés aux SEGPA et tant que tout le monde n'expérimentera pas l'atelier en collège, le lycée professionnel restera de l'esbroufe. Le signal donné est que, de toute façon, les autres n'y vont pas, et ce sont ceux qui ratent le « vrai lycée » qui vont à l'autre. L'orientation commence bien avant, puisque l'orientation en SEGPA démarre en cours moyen 1re année (CM1), soit vers l'âge de 8-9 ans. Je note aussi que l'étude d'ATD Quart Monde est partie de l'observation du fait que de nombreux élèves en difficulté sociale se trouvaient en unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) alors qu'ils ne relevaient pas du tout du handicap.

Permalien
Sébastien Vieille, secrétaire national à la pédagogie du Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (SNALC)

Je ne visais pas du tout mon collègue du SGEN quand je signalais cette tendance dans l'éducation nationale qui consiste, quand quelque chose fonctionne dans un endroit, à vouloir le transposer ad hoc et totalement hors-sol. Ce qui est fait par mon collègue me semble excellent et peut fonctionner, mais n'est pas nécessairement transposable partout.

Pour ce qui est de la ségrégation dans l'orientation, vers la voie professionnelle, elle existe, mais en l'occurrence il s'agit d'une ségrégation sociale, et non raciale ou sexiste. C'est l'échec scolaire qui mène vers la voie professionnelle. Celle-ci doit être revalorisée, et ce n'est pas le cas pour l'instant, comme l'a bien dit mon collègue. Certains élèves s'autocensurent. Mais il s'agit aussi d'une mise en adéquation avec leur milieu social, parce que dans certains quartiers il existe encore la volonté de sortir très vite de l'école pour faire autre chose. On ne se voit pas faire des études longues et on se voit gagner de l'argent le plus rapidement possible pour quitter très vite ses parents. Tant que nous n'aurons pas élevé le niveau global d'éducation, nous aurons ce schéma qui nous vient des années 1950…

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie d'avoir pris le temps de répondre à nos interrogations et d'avoir éclairé la mission d'information sur ces travaux. Je vous souhaite une bonne continuation dans vos missions au service de notre éducation nationale et de vos établissements scolaires, et surtout de vos élèves.

La séance est levée à 16 heures 50.