Intervention de Rémy-Charles Sirvent

Réunion du jeudi 10 décembre 2020 à 15h45
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Rémy-Charles Sirvent, secrétaire national du Syndicat des enseignants de l'Union nationale des syndicats autonomes (SE-UNSA) :

Je suis secrétaire national du SE-UNSA au secteur laïcité, école et société, secrétaire général du Comité national d'action laïque (CNAL). Je vais vous faire part d'une enquête que le CNAL avait menée avec l'Institut français d'opinion publique (IFOP) en avril 2018. Elle s'appelait « La laïcité et l'école : les enseignants ont la parole ». C'est la première fois que les enseignants du public, de la maternelle au lycée, étaient interrogés sur le principe de laïcité. Quelques questions concernaient le racisme, ce qui va nous permettre de disposer d'éléments chiffrés sur ce que nous livrent les enseignants qui ont été interrogés par l'institut de sondages. Nous avions demandé aux enseignants : « Constatez-vous dans votre école ou votre établissement scolaire des paroles ou des actes à tendance discriminatoire ? » Ont été principalement relevés : l'intolérance entre élèves, un racisme, des pressions à l'égard des filles, des revendications identitaires, du communautarisme et de l'antisémitisme.

Les trois premières réponses sont particulièrement inquiétantes. Les enseignants nous disent avoir observé dans leurs classes de l'intolérance, au sens large. Celle-ci est très présente. Une sonnette d'alarme est tirée : il se passe quelque chose dans les écoles. Le racisme aussi fait partie de la vie des élèves, de même que les pressions à l'égard des filles. Pour compléter cette enquête qui avait été produite par l'IFOP, les militants des organisations du Comité national d'action laïque sont partis à la rencontre d'agents publics – enseignants, chefs d'établissement, inspecteurs du premier degré – pour leur dire quels étaient ces actes d'intolérance, de racisme, ces pressions à l'égard des filles, etc. On peut citer les remarques physiques, les remarques sur le handicap, la « grossophobie » et l'homophobie.

Une nouvelle forme de racisme a aussi été relevée : un racisme économique. Une insulte revient souvent : « cas soc' ». Cela s'entend dans la société et donc dans les écoles. Sont aussi visés des élèves de SEGPA, des élèves placés ou encore des élèves qui sont dans des situations très précaires. Ce racisme économique peut être mis en lien avec la précarisation de la société. L'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) vient de révéler qu'en 2018, année où a eu lieu le sondage, 400 000 personnes en France sont passées en dessous du seuil de pauvreté. Ce seuil de pauvreté concerne un élève sur cinq, et un élève sur dix vit en dessous du seuil de pauvreté.

L'école n'est pas protégée des paroles et actes racistes. Pour ce qui est des solutions que nous préconiserions, je souligne que, pour ma part, je ne parle plus de vivre-ensemble. En effet, le maître et l'esclave vivaient ensemble, et ce n'est pas un idéal de vie en société. Le vivre-ensemble a une réalité très abstraite pour un certain nombre d'élèves qui subissent l'entre-soi des uns et qui se retrouvent en situation de ségrégation. Dans notre pays, l'entre-soi des uns conduit à la ségrégation des autres. J'avance plutôt deux pistes centrales. La première est la formation. Dans notre sondage qui portait sur la laïcité, 74 % des enseignants du public nous ont dit ne pas avoir bénéficié de formation initiale au principe de laïcité, et 94 % pas de formation continue. Les questions relatives au racisme et à la pauvreté font partie du bloc des maquettes de formation qui représentent en tout une moyenne de trois heures par an. Le manque de formation est donc considérable. Je précise que nous avons besoin d'une harmonisation des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé), de façon que les sites de formation ne se contredisent pas sur ces questions. La seconde est la mixité sociale à l'école. De timides expérimentations ont eu lieu de 2015 à 2018. Elles ont cessé mais elles avaient donné des résultats intéressants. Une réflexion doit être menée sur la sectorisation scolaire. Lorsqu'on est possédant du capital culturel dans notre pays, il arrive qu'on ne veuille pas mélanger ses enfants avec les enfants des autres, autrement dit avec des « pauvres ». Nous l'observons dans toutes nos villes et même dans des villes toutes petites. Dès lors qu'il y a deux écoles, on risque de trouver l'école des Blancs et l'école des autres. C'est une tendance qui parcourt la société. On pense que la mixité sociale pourra être un risque pour ses propres enfants.

On ne peut pas demander aux parents de sacrifier leurs enfants sur l'autel de la mixité sociale, mais c'est le rôle des pouvoirs publics d'impulser des politiques dans cette direction. Des moyens sont consacrés à l'éducation prioritaire, mais ils ne doivent pas représenter un solde de tout compte en matière de mixité sociale. Il ne s'agit pas d'avoir de hauts principes et de basses pratiques. Sur le plan local, on observe par exemple des situations de sectorisation aléatoire et des dérogations scolaires complaisantes pour le primaire ou le collège. Il faut amener l'enseignement privé à participer à l'effort de mixité sociale dans notre pays. Il doit absolument contribuer à cela.

Des défis considérables se présentent donc à nous, puisque cette République sociale tend à s'effacer devant d'autres impératifs. Jaurès le disait : « La France est laïque et sociale. Elle restera laïque si elle sait rester sociale. » Nous avons de gros efforts à fournir pour faire en sorte que les enfants de notre pays se rassemblent dans la joie d'apprendre dans la différence, par-delà le rang réel ou supposé de leurs parents dans la société.

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