En ce qui concerne le cursus en islamologie, la France avait en effet perdu une tradition ancienne de grands islamologues qui ont marqué l'histoire. Ils ont pu léguer aux Français un héritage, mais cet héritage commence à s'effriter au moment où l'islam est regardé par le prisme des attentats et des violences, et rarement par le prisme de la civilisation et de la culture musulmanes. Un travail doit être réalisé sur ce plan. Lors de sa dernière intervention aux Mureaux, le Président de la République avait annoncé la volonté des pouvoirs publics de mettre en place des cursus d'islamologie, un institut des études islamiques. Il faudrait mettre en place ces moyens universitaires qui permettraient de retrouver cette tradition et de montrer une autre facette de la vie musulmane, à travers la production intellectuelle mais aussi à travers la découverte de l'apport de l'islam dans le cadre civilisationnel.
Quelques masters d'islamologie sont proposés à Strasbourg, mais les études islamologiques sont effectivement peu nombreuses dans notre pays, par rapport aux pays anglo-saxons par exemple. Nous recevons parfois tout de la sphère anglo-saxonne et en sommes presque dépendants dans notre connaissance du monde musulman, alors même que la France a peut-être plus de proximité, y compris géographique, avec le monde musulman que ne peut en avoir le monde anglo-saxon. Le Conseil français du culte musulman peine à mettre en place la formation des cadres religieux, ne serait-ce que pour la pratique religieuse. Ce sont des choses élémentaires que les autres cultes ont réglées depuis des décennies. Je pense que c'est par manque de moyens que le Conseil français du culte musulman n'est pas aujourd'hui en mesure de mettre en place des formations sur le sol français, à tel point que nous sommes obligés de faire appel à des pays étrangers pour former nos cadres religieux ou pour avoir des cadres religieux déjà formés par ces pays.
Nous avons formulé des propositions aux pouvoirs publics pour que les musulmans puissent disposer de moyens de financement. Nous ne demandons pas que soit changée la loi de 1905, mais il doit y avoir des moyens de permettre au culte musulman d'avoir des sources de financement. J'avais émis une proposition simple : celle de permettre à toutes les associations musulmanes gestionnaires d'un lieu de culte de disposer des immeubles de rapport, de pouvoir les exploiter, et par ce biais d'avoir des locaux, des logements et des commerces et de les louer. Le fruit de la location permettrait de payer le salaire de l'imam, de participer à la formation de jeunes, de donner des bourses à des fidèles de la mosquée pour former les cadres religieux de demain, d'aider éventuellement des institutions musulmanes nationales et centrales à développer des formations de haut niveau. Tout cela nécessite un « enrichissement » des bases musulmanes qui permettrait par ricochet de participer au financement du culte musulman.
J'espère que cette demande aboutira dans le cadre du projet de loi en cours, même si la formulation qui en est faite aujourd'hui ne répond pas à la demande du culte musulman. En effet, ce sont les immeubles de rapport obtenus par donation qui sont concernés par le nouveau projet de loi. Or, ce serait vraiment difficile d'obtenir un immeuble par donation d'une première génération musulmane, qui a des revenus modestes. Il s'agit donc de permettre à des fidèles musulmans d'acquérir des immeubles, plutôt que de les obtenir par donation d'une personne.
Une part du cursus d'islamologie pourrait être mise en place par les pouvoirs publics, puisqu'il s'agit d'études universitaires. Je pense qu'un grand pays comme la France doit avoir une meilleure connaissance du monde musulman et doit développer ces cursus dans ses universités et dans son enseignement supérieur. Ils pourraient servir la population, la stabilité et la cohésion dans notre pays, une meilleure connaissance de la culture de nos concitoyens, mais aussi une meilleure connaissance du monde musulman avec lequel nous entretenons des relations importantes.
Sur la question de l'antisémitisme, j'avais rédigé une petite brochure intitulée « L'antisémitisme : un interdit de l'islam ». Je peux vous la communiquer. Dans cette brochure, je suis revenu sur les textes scripturaires, pour dire que l'antisémitisme est incompatible avec la foi musulmane. On ne peut pas être musulman et antisémite en même temps, ou l'on va à l'encontre des textes fondateurs de la religion musulmane. J'ai cité plusieurs textes, issus de versets coraniques et de la tradition prophétique. On peut se reporter à la charte de Médine, la première charte qui a été mise en place par le prophète de l'islam pour gérer la pluralité religieuse dans le premier État qu'avait gouverné le prophète de l'islam, qui était en même temps prophète et chef civil de la population.
Cette charte dit clairement que les juifs et les musulmans forment une même communauté. Elle dit « aux juifs leur religion, aux musulmans leur religion, mais ils forment une même communauté ». Ce prophète a eu des paroles très connues, que les imams citent souvent à une jeunesse qui se perd quelquefois dans des considérations qui n'ont rien à voir avec la religion musulmane. Il disait que celui qui porte atteinte à un juif ou à un chrétien, c'est comme s'il portait atteinte au prophète lui-même. Et celui qui porte atteinte au prophète, c'est comme s'il portait atteinte à Dieu. Dans la brochure, j'explique que le voisin du prophète de l'islam était juif : il lui rendait visite lorsqu'il était malade, l'invitait pour partager des repas, avait une relation de fraternité avec lui. Les traditionnistes ne peuvent pas passer à côté de ces textes. La religion n'avait aucune valeur dans les relations entre les habitants de Médine. Cette charte stipule clairement que la citoyenneté englobait toutes les appartenances religieuses, et il n'était pas question de faire de distinction sur ce critère.
Aujourd'hui, certains extrémistes ont réussi à créer l'amalgame entre les juifs et les conflits qui se déroulent dans certaines parties du monde, notamment le conflit israélo-palestinien. Certains ont instrumentalisé ce conflit pour créer une réelle division entre musulmans et juifs de France. Du point de vue institutionnel, nous entretenons une grande fraternité avec les responsables de la communauté juive de France. Les rencontres et les appels téléphoniques sont réguliers, nous nous passons des messages d'amitié, que ce soit avec Joël Mergui, président du Consistoire, ou Haïm Korsia, grand rabbin de France, et tous les grands responsables de la communauté juive de France. Nous n'avons que des relations de bonté et de fraternité. Je souhaiterais que ces relations descendent vers la base et les fidèles. C'est le défi que nous devons relever. Des réflexions sont menées autour de cette question : comment faire se rencontrer les jeunes de confession musulmane et les jeunes de confession juive sur des projets communs qui permettraient de créer le climat de communauté de destin, où la religion des uns et des autres ne devrait pas être un facteur de division mais plutôt être un facteur d'enrichissement ?
Il est important que la concurrence des mémoires ne s'installe pas dans notre pays. Toutes les souffrances doivent être regardées et reconnues, mais cette course vers la reconnaissance des mémoires ne me paraît pas être une bonne chose. Il me semble en revanche important que chacune des communautés reconnaisse ce qu'a subi l'autre. Il est important que cette reconnaissance soit exprimée par les uns et par les autres à différentes occasions, notamment lorsqu'il s'agit de commémorations. Il est important que, lors des commémorations – que ce soit de la Shoah ou d'autres événements tragiques de l'histoire de la communauté juive de France –, les musulmans de France soient présents, aux côtés de leurs concitoyens et de leurs frères juifs de France. L'inverse doit être vrai aussi, lorsque des commémorations ont lieu autour d'anciens combattants musulmans ou lorsque des actes antimusulmans sont perpétrés par exemple. Nous avons toujours eu le soutien de la communauté juive. Lors des incendies qui ont eu lieu cet été contre les mosquées, chaque fois le grand-rabbin de la région, voire le grand-rabbin Haïm Korsia lui-même, était présent pour soutenir et exprimer sa solidarité. Cette solidarité n'a jamais failli.
En ce qui concerne la pratique religieuse dans les prisons, il est vrai que l'aumônerie musulmane est un maillon faible de l'aumônerie d'une façon générale. Il faut noter un manque de moyens. Nous avons rencontré récemment le garde des Sceaux, M. Dupond-Moretti, à ce sujet. La représentation du culte musulman n'est pas à la hauteur de cette aumônerie qui a pris beaucoup de retard. Il faudrait qu'il soit résorbé. Il est aussi nécessaire de créer des postes. L'engagement du ministre de la justice est total à ce propos et il dresse la même analyse que Mme la rapporteure quant au fait que, en l'absence de véritables ministres du culte qui peuvent guider et accompagner spirituellement les détenus, ces détenus vont se jeter dans les bras de radicaux qui ne leur délivreront pas le meilleur enseignement.
Il faut donc déjà bien former les aumôniers qui interviennent aujourd'hui, mais il faut aussi y ajouter des moyens. Nous disposons d'environ 230 aumôniers musulmans aujourd'hui, mais ils interviennent de façon très ponctuelle, il s'agit de vacations. En guise d'indemnités, certains perçoivent 150 euros, ce qui défraie à peine leur déplacement. Pour la plupart des aumôniers, les défraiements s'élèvent à 200-250 euros. Je pense qu'un effort doit être consenti. Il s'agit d'un défi. De nombreux extrémistes qui ont commis des actes de terrorisme sont passés par la case prison. Des radicalisations ont lieu à l'intérieur des prisons. Au-delà de la question de la radicalisation, je pense qu'un détenu, qui est par définition privé de sa liberté, a besoin d'un accompagnement spirituel.
J'ai aussi demandé qu'il y ait des structures d'accompagnement des familles. Il s'agit que les familles dont un membre est en prison puissent bénéficier d'une écoute. De même, si elles observent des changements chez ce membre, sur le plan de la psychologie ou de l'orientation religieuse, elles pourront trouver un appui, et sauver ceux qui peuvent l'être. Souvent, lorsque la famille n'est pas en mesure d'accompagner un enfant, parce qu'elle n'en a pas les moyens ou parce qu'elle n'a pas de structure pour l'aider, cela peut mal se passer.