Je vous remercie de me permettre d'être auditionné en tant que chef de l'IGGN dans le cadre de votre mission d'information. Il est vraiment important d'étudier toutes les formes de racisme et de proposer des solutions pour nous améliorer. L'IGGN est moins présente dans les médias que l'IGPN. Avec un peu moins de 100 personnes, dont 20 enquêteurs dans le domaine judiciaire, l'IGGN est une petite structure qui conduit des enquêtes internes, qu'elles soient judiciaires ou administratives, ainsi que des audits ministériels ou directionnels pour prévenir les risques et les maîtriser.
L'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 nous rappelle qu'un ensemble de devoirs s'impose aux gendarmes, dont le comportement doit être exemplaire en toutes circonstances. Pour assurer le respect des principes de ce texte fondamental, la gendarmerie s'appuie sur l'Inspection générale de la gendarmerie nationale. Supprimer cette dernière priverait le directeur général de la gendarmerie nationale de la garantie qu'il maîtrise ces risques, alors que cela est essentiel dans le domaine déontologique.
Le contrôle interne est indispensable compte tenu des prérogatives exorbitantes du droit commun qui sont confiées aux gendarmes. Nous sommes armés en permanence, nous agissons sur la voie publique en permanence : nous avons donc besoin d'un contrôle extrêmement fort. La fonction de contrôle, pour être parfaitement indépendante, doit être attribuée à l'IGGN, laquelle n'est pas rattachée directement à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Contrairement à l'IGPN, l'IGGN n'est pas une direction. Si je travaille en permanence avec le directeur général, qui me demande de produire des enquêtes et de faire des études et des audits, l'IGGN n'est pas située dans la même chaîne hiérarchique. De plus, je n'ai aucun pouvoir en matière de sanctions : je rends des préconisations, puis la hiérarchie agit.
En tant que chef de l'IGGN, je suis également le référent déontologue de la gendarmerie nationale. Rappelons qu'il s'agit d'une maison de 100 000 personnels d'active et de 30 000 réservistes. J'ai donc un rôle un peu singulier, qui touche également à la prévention – on oublie toujours ce point alors qu'il s'agit d'une part importante de mon travail. Le code de la déontologie prévoit que tout militaire a le droit de consulter un référent déontologue, lequel est chargé de lui apporter tout conseil utile au respect des obligations et des principes déontologiques.
Je dispose ainsi d'une division chargée de la déontologie et des signalements : c'est à travers elle que je capte les problématiques internes, ainsi que les signalements qui viennent de l'extérieur, c'est-à-dire les réclamations de nos concitoyens. Environ 200 à 230 signalements internes nous remontent chaque année via le dispositif stop-discri, et nous enregistrerons environ 1 800 réclamations de nos concitoyens cette année.
Comme l'ensemble de mes prédécesseurs, je jouis d'une grande indépendance. J'occupe ici mon dernier poste : quoi qu'il arrive, dans deux ans et demi, ma carrière sera terminée car j'aurai atteint la limite d'âge. Même si je connais très bien le directeur général, qui est de ma promotion de Saint‑Cyr, je dispose d'une grande liberté de ton et de propositions.
Le code de déontologie, que nous partageons avec la police, fixe les règles suivantes : probité, discernement, impartialité, dignité, neutralité, laïcité. N'oublions pas toutefois ce qui fait la spécificité de la gendarmerie : son statut militaire. À moins que la représentation nationale n'envisage de la fusionner avec la police, je souhaite qu'elle conserve une place à part en raison de ce statut. Les gendarmes sont en effet soumis à des obligations déontologiques particulières : l'esprit de sacrifice, la discipline militaire, la disponibilité. La neutralité et le devoir de réserve sont également structurants pour nous. Tout manquement se traduit par une sanction disciplinaire, souvent très lourde, notamment quand il s'agit de racisme ou de propos discriminants.
Pour en venir au cœur du sujet, peu de cas de racisme nous remontent. Toutefois, je n'ai pas une vue complète de l'ensemble de l'activité disciplinaire. Un commandant de groupement dans un département qui constaterait un comportement répréhensible le sanctionne de lui-même ; dans de cas cela ne remonte pas à l'IGGN. Je ne connais donc pas tous les faits, mais je veille à ce que les manquements les plus importants soient punis strictement.
La cellule stop-discri existe depuis 2014 ; la gendarmerie a été la première institution du ministère de l'intérieur à créer un tel dispositif. En 2018, nous avons reçu environ 200 signalements de discrimination et de racisme et enquêté sur 12 d'entre eux : 5 concernaient des faits avérés, et les coupables ont été sévèrement sanctionnés. En 2019, nous avons recensé 7 cas de racisme avérés sur les quelque 200 signalements reçus ; leurs auteurs ont également été sanctionnés. Pour 2020, nous avons reçu à ce jour 230 signalements et nous avons enquêté sur 9 d'entre eux : 3 de ces enquêtes ont permis de confirmer les faits, les 6 autres étant en cours.
Permettez-moi de signaler une chose qui me paraît essentielle : l'intégration dans une même structure des dimensions administrative et judiciaire. Quand un commandant de groupement ouvre une enquête administrative, il informe le procureur de la République du déclenchement de cette enquête et lui indique, si cela concerne des faits de racisme, qu'un dysfonctionnement existe dans telle unité et que l'enquête administrative est confiée à l'IGGN, à une antenne de l'IGGN ou au commandement local.
Lorsqu'une enquête administrative prend fin, le procureur de la République en est informé. Ensuite, il peut classer l'affaire sans suite ou décider de poursuites. Je peux également, pour des cas manifestement graves, interrompre l'enquête administrative et saisir directement le procureur de la République sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale : c'est alors lui qui décide si l'enquête peut se poursuivre en interne, ou si elle doit être conduite par la justice. En cas de doute sur la saisine immédiate ou différée du procureur, je demande conseil aux magistrats présents dans le cabinet du DGGN.
Un autre mode de saisine de l'IGGN réside dans les réclamations de nos concitoyens. En 2018, 3 saisines sur les 1 330 enregistrées concernaient des faits supposés ou réels de racisme ou de discrimination. En 2019, nous en avons recensé 3 sur 1 444. Cette année, cela concerne 11 doléances sur 1 571 cas signalés. Les échelons locaux mènent les investigations, dont nous assurons le suivi.
Le troisième mode de saisine de l'IGGN est la saisine par le Défenseur des droits (DDD). Sur les vingt-deux saisines qu'il a effectuées en 2018, deux dossiers portaient sur des faits de racisme ou de discrimination. En 2019, cela concernait un dossier sur dix-neuf et, cette année, deux sur treize. C'est donc peu mais nous suivons cela avec une grande attention compte tenu de la sensibilité de cette question. Lorsque nous sommes saisis, nous demandons officiellement au commandant de groupement d'enquêter et de nous faire remonter les informations. Celles-ci sont analysées et envoyées au DDD, qui a ensuite la liberté de nous ressaisir ou, comme cela s'est produit à chaque fois, de clore le dossier s'il estime disposer d'informations suffisantes, notamment lorsque la gendarmerie a répondu à ses attentes et sanctionné sévèrement les auteurs des faits. Mme Claire Hédon, actuelle Défenseure des droits, a rappelé que nous répondions à 99 % de ses demandes ; c'est très bien ainsi.
Mon rôle, en tant que chef de l'IGGN, est de piloter tout ce qui touche à la déontologie de la gendarmerie, de conduire des investigations administratives et judiciaires, d'établir les responsabilités et de demander des sanctions.
Avant de conclure, je souhaite évoquer plusieurs points saillants. Le premier point réside dans le rôle du chef et de la hiérarchie. J'ai commandé pendant sept ans des régions de gendarmerie – Midi-‑Pyrénées pendant trois ans, Bretagne pendant quatre ans. Un chef doit « cheffer » : c'est essentiel pour assurer la responsabilité et garantir le respect du droit. Cela doit se faire sans excès et avec beaucoup de discernement ; il est indispensable d'agir et de ne surtout pas laisser les fautes prospérer. Il faut donc sanctionner au bon niveau les comportements fautifs. Dans ce domaine, l'IGGN joue le rôle de conseiller des commandants de région. Cette semaine, deux d'entre eux m'ont appelé pour échanger avec moi. Ils prendront eux-mêmes leurs décisions mais j'ai pu mettre à profit à la fois mon point de vue de chef de l'Inspection, confronté à de nombreux cas concrets, et mon expérience de commandant de région.
Le deuxième point est la place de la déontologie : tout propos discriminant doit être combattu et sanctionné. Quand on est militaire, il faut savoir agir et faire vivre les valeurs que nous partageons.
Le troisième point concerne la formation. La formation initiale est un socle solide, du moins en temps normal – sa durée a été réduite du fait de la crise sanitaire. Il est aujourd'hui urgent de revenir à la durée normale de formation, surtout en école. La formation continue est correcte, mais il faut la renforcer. Le ministre a dit qu'elle faisait partie des « sept péchés capitaux ». Je ne sais pas si cela incluait la gendarmerie mais c'est un point d'attention pour moi. L'IGGN participe d'ores et déjà, avec la Défenseure des droits, à la validation des modules de formation de l'école de gendarmerie. Nous travaillons également à l'élaboration d'un kit pédagogique de déontologie que nous enverrons dans les départements jusqu'au niveau de l'arrondissement, c'est-à-dire des compagnies et des escadrons de gendarmerie, pour la formation collective.
Le réseau de référents « égalité diversité », très dynamique, est également important. Je l'ai constaté lorsque j'animais la journée du partage du commandement à Pontivy : quand un général parle de lutter contre le racisme, de déontologie, de respect, d'exemplarité, etc., c'est bien, mais le discours porte davantage quand il est tenu par un pair.
Plusieurs voies de progrès existent. Première voie : il faut élever notre niveau de vigilance dans le domaine des réseaux sociaux. Certains gendarmes manquent de discernement, notamment sur WhatsApp où ils tiennent des propos inadmissibles. Deux enquêtes sont en cours et des sanctions seront demandées dont l'une, en région Centre, se déroule sur un plan judiciaire.
Deuxième voie : nous devons aller plus loin dans la formation continue – je passe rapidement sur ce point car je l'ai déjà évoqué.
Troisième voie : l'image. En matière de contrôle d'identité dans le cadre du maintien de l'ordre, l'image permet au magistrat de voir si le gendarme s'est bien ou mal comporté, si la personne contrôlée était agressive ou non. Cela permet de trancher rapidement et d'éviter de se retrouver dans une situation où l'on n'a que le témoignage de l'un contre le témoignage de l'autre. Il va falloir aller beaucoup plus loin, en permettant à nos concitoyens de transférer les images qu'ils auront prises sur une plateforme gérée soit par les inspections, soit par le Défenseur des droits.
Je conclurai sur quatre points. Premièrement, la gendarmerie doit cultiver ses valeurs militaires, qui sont fondamentales.
Deuxièmement, nous devons maintenir un haut niveau d'exigences déontologiques. Pas de passe-droit, pas de compromis s'agissant des défaillances des gendarmes. Le respect envers les personnes est obligatoire, le vouvoiement est indispensable.
Troisièmement, s'agissant de l'indépendance, préservons une IGGN dynamique, exigeante mais ouverte. Je suis favorable à l'arrivée d'un magistrat à l'IGGN et à l'arrivée d'un chargé de mission du Défenseur des droits à mes côtés. Ils verront comment nous travaillons au quotidien.
Quatrièmement, comme il n'est jamais facile de venir déposer plainte, je souhaite que les dépôts de pré-plainte et de plainte en ligne se développent, même si le dépôt d'une plainte en gendarmerie ou au commissariat restera toujours nécessaire en matière pénale.
Dans notre stratégie de lutte contre les violences faites aux femmes et contre le racisme, les brigades de prévention de la délinquance juvénile se transforment de plus en plus en maisons de confiance et de protection des familles, outil efficace qui doit être lui aussi valorisé et développé. Nous en comptons huit de plus, présentes désormais dans cinquante-trois départements.
Enfin, une note est à mes yeux très positive : le maintien d'une dynamique de gendarmerie forte, responsable, respectueuse des institutions et des personnes. Ainsi, au cours des trois dernières années, aucun contrôle « au faciès » n'a été signalé.
J'ajoute que nul ne parle des difficultés auxquelles la gendarmerie est confrontée dans les outre-mer. Or, la semaine dernière, nous avons été obligés d'ouvrir le feu en Nouvelle-Calédonie et nous avons fait preuve d'une très bonne maîtrise. Nous apportons une attention particulière au recrutement et à l'accompagnement de nos personnels autochtones, qui représentent pas moins d'un sixième des effectifs servant en outre-mer. Il est essentiel, parfois, de savoir parler créole et de pouvoir être proche de la population. Une telle diversité nous renforce.
Je terminerai par les classes préparatoires intégrées, qui sont, à mes yeux, un dispositif remarquable. Continuons à le développer !