Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du mardi 15 décembre 2020 à 18h00

Résumé de la réunion

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  • IGGN
  • gendarme
  • gendarmerie
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  • racisme

La réunion

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La mission d'information procède à l'audition du général de corps d'armée Alain Pidoux, chef de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN).

La séance est ouverte à 18 heures 20.

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Mes chers collègues, nous avons à présent l'honneur de recevoir le général Alain Pidoux, chef de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). Notre mission d'information, créée par la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale, en décembre 2019, a pour objectif ambitieux de dresser un état des lieux des différentes formes de racisme qui perdurent ou qui émergent dans la société française.

Notre mission n'est pas spécifiquement centrée sur le rapport entre les forces de police ou de gendarmerie et le racisme. Toutefois, l'actualité et les questions de société qui traversent le débat national nous incitent à entendre des représentants des différentes forces de l'ordre. Elles sont en effet chargées d'accueillir les victimes, de repérer et de réprimer les comportements et les délits racistes. De plus, étant composées d'agents de la fonction publique d'État et représentant la force légitime, elles doivent se montrer irréprochables.

Ces dernières semaines, nous avons entendu le directeur de l' Independent Office for Police Conduct (IOPC), la « police des polices » britannique, ainsi que son homologue français, la directrice de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN). Nous avons également auditionné des syndicats de policiers et le Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie (CFMG).

Nous tenterons de comprendre les différences d'approche entre l'IGGN et l'IGPN, ainsi que les garanties d'indépendance qu'apporte votre institution. Nous nous interrogerons également, à l'heure où l'on parle de sécurité globale et de continuum entre les différentes forces de l'ordre, sur la nécessité d'un organe de contrôle indépendant et commun à celles-ci, à même d'enquêter sur les comportements déviants et de les sanctionner.

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Comme vous voyez, nos questions sont indépendantes de l'actualité ; nous ne cherchons pas à répondre à une polémique mais à apporter une véritable réflexion de fond sur ces sujets.

Je tiens à souligner l'importance de la chaîne pénale dans la répression du racisme. La gendarmerie et le commissariat en sont les premières portes d'entrée. Pourtant, les statistiques de dépôts de plaintes ne sont pas très bonnes. Je ne remets absolument pas en cause le rôle des gendarmes, mais le fait est que les victimes n'osent pas forcément porter plainte à la gendarmerie. Il arrive aussi que la circonstance aggravante du racisme ne soit pas retenue par la justice. Quelle est votre opinion sur ce point ? Quel angle d'attaque nous permettrait de faire progresser la chaîne pénale dans la répression du racisme ?

Par ailleurs, nous aimerions votre avis sur la pratique des contrôles d'identité, dont nous avons beaucoup entendu parlé, et sur la question de savoir si une partie de la population ne peut pas avoir l'impression, cela nous a été rapporté par de nombreuses personnes, d'être plus souvent « ciblée » par ces contrôles et le ressentir comme du racisme. Cette question de l'impact ne doit pas être négligée.

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Alain Pidoux, chef de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale

Je vous remercie de me permettre d'être auditionné en tant que chef de l'IGGN dans le cadre de votre mission d'information. Il est vraiment important d'étudier toutes les formes de racisme et de proposer des solutions pour nous améliorer. L'IGGN est moins présente dans les médias que l'IGPN. Avec un peu moins de 100 personnes, dont 20 enquêteurs dans le domaine judiciaire, l'IGGN est une petite structure qui conduit des enquêtes internes, qu'elles soient judiciaires ou administratives, ainsi que des audits ministériels ou directionnels pour prévenir les risques et les maîtriser.

L'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 nous rappelle qu'un ensemble de devoirs s'impose aux gendarmes, dont le comportement doit être exemplaire en toutes circonstances. Pour assurer le respect des principes de ce texte fondamental, la gendarmerie s'appuie sur l'Inspection générale de la gendarmerie nationale. Supprimer cette dernière priverait le directeur général de la gendarmerie nationale de la garantie qu'il maîtrise ces risques, alors que cela est essentiel dans le domaine déontologique.

Le contrôle interne est indispensable compte tenu des prérogatives exorbitantes du droit commun qui sont confiées aux gendarmes. Nous sommes armés en permanence, nous agissons sur la voie publique en permanence : nous avons donc besoin d'un contrôle extrêmement fort. La fonction de contrôle, pour être parfaitement indépendante, doit être attribuée à l'IGGN, laquelle n'est pas rattachée directement à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Contrairement à l'IGPN, l'IGGN n'est pas une direction. Si je travaille en permanence avec le directeur général, qui me demande de produire des enquêtes et de faire des études et des audits, l'IGGN n'est pas située dans la même chaîne hiérarchique. De plus, je n'ai aucun pouvoir en matière de sanctions : je rends des préconisations, puis la hiérarchie agit.

En tant que chef de l'IGGN, je suis également le référent déontologue de la gendarmerie nationale. Rappelons qu'il s'agit d'une maison de 100 000 personnels d'active et de 30 000 réservistes. J'ai donc un rôle un peu singulier, qui touche également à la prévention – on oublie toujours ce point alors qu'il s'agit d'une part importante de mon travail. Le code de la déontologie prévoit que tout militaire a le droit de consulter un référent déontologue, lequel est chargé de lui apporter tout conseil utile au respect des obligations et des principes déontologiques.

Je dispose ainsi d'une division chargée de la déontologie et des signalements : c'est à travers elle que je capte les problématiques internes, ainsi que les signalements qui viennent de l'extérieur, c'est-à-dire les réclamations de nos concitoyens. Environ 200 à 230 signalements internes nous remontent chaque année via le dispositif stop-discri, et nous enregistrerons environ 1 800 réclamations de nos concitoyens cette année.

Comme l'ensemble de mes prédécesseurs, je jouis d'une grande indépendance. J'occupe ici mon dernier poste : quoi qu'il arrive, dans deux ans et demi, ma carrière sera terminée car j'aurai atteint la limite d'âge. Même si je connais très bien le directeur général, qui est de ma promotion de Saint‑Cyr, je dispose d'une grande liberté de ton et de propositions.

Le code de déontologie, que nous partageons avec la police, fixe les règles suivantes : probité, discernement, impartialité, dignité, neutralité, laïcité. N'oublions pas toutefois ce qui fait la spécificité de la gendarmerie : son statut militaire. À moins que la représentation nationale n'envisage de la fusionner avec la police, je souhaite qu'elle conserve une place à part en raison de ce statut. Les gendarmes sont en effet soumis à des obligations déontologiques particulières : l'esprit de sacrifice, la discipline militaire, la disponibilité. La neutralité et le devoir de réserve sont également structurants pour nous. Tout manquement se traduit par une sanction disciplinaire, souvent très lourde, notamment quand il s'agit de racisme ou de propos discriminants.

Pour en venir au cœur du sujet, peu de cas de racisme nous remontent. Toutefois, je n'ai pas une vue complète de l'ensemble de l'activité disciplinaire. Un commandant de groupement dans un département qui constaterait un comportement répréhensible le sanctionne de lui-même ; dans de cas cela ne remonte pas à l'IGGN. Je ne connais donc pas tous les faits, mais je veille à ce que les manquements les plus importants soient punis strictement.

La cellule stop-discri existe depuis 2014 ; la gendarmerie a été la première institution du ministère de l'intérieur à créer un tel dispositif. En 2018, nous avons reçu environ 200 signalements de discrimination et de racisme et enquêté sur 12 d'entre eux : 5 concernaient des faits avérés, et les coupables ont été sévèrement sanctionnés. En 2019, nous avons recensé 7 cas de racisme avérés sur les quelque 200 signalements reçus ; leurs auteurs ont également été sanctionnés. Pour 2020, nous avons reçu à ce jour 230 signalements et nous avons enquêté sur 9 d'entre eux : 3 de ces enquêtes ont permis de confirmer les faits, les 6 autres étant en cours.

Permettez-moi de signaler une chose qui me paraît essentielle : l'intégration dans une même structure des dimensions administrative et judiciaire. Quand un commandant de groupement ouvre une enquête administrative, il informe le procureur de la République du déclenchement de cette enquête et lui indique, si cela concerne des faits de racisme, qu'un dysfonctionnement existe dans telle unité et que l'enquête administrative est confiée à l'IGGN, à une antenne de l'IGGN ou au commandement local.

Lorsqu'une enquête administrative prend fin, le procureur de la République en est informé. Ensuite, il peut classer l'affaire sans suite ou décider de poursuites. Je peux également, pour des cas manifestement graves, interrompre l'enquête administrative et saisir directement le procureur de la République sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale : c'est alors lui qui décide si l'enquête peut se poursuivre en interne, ou si elle doit être conduite par la justice. En cas de doute sur la saisine immédiate ou différée du procureur, je demande conseil aux magistrats présents dans le cabinet du DGGN.

Un autre mode de saisine de l'IGGN réside dans les réclamations de nos concitoyens. En 2018, 3 saisines sur les 1 330 enregistrées concernaient des faits supposés ou réels de racisme ou de discrimination. En 2019, nous en avons recensé 3 sur 1 444. Cette année, cela concerne 11 doléances sur 1 571 cas signalés. Les échelons locaux mènent les investigations, dont nous assurons le suivi.

Le troisième mode de saisine de l'IGGN est la saisine par le Défenseur des droits (DDD). Sur les vingt-deux saisines qu'il a effectuées en 2018, deux dossiers portaient sur des faits de racisme ou de discrimination. En 2019, cela concernait un dossier sur dix-neuf et, cette année, deux sur treize. C'est donc peu mais nous suivons cela avec une grande attention compte tenu de la sensibilité de cette question. Lorsque nous sommes saisis, nous demandons officiellement au commandant de groupement d'enquêter et de nous faire remonter les informations. Celles-ci sont analysées et envoyées au DDD, qui a ensuite la liberté de nous ressaisir ou, comme cela s'est produit à chaque fois, de clore le dossier s'il estime disposer d'informations suffisantes, notamment lorsque la gendarmerie a répondu à ses attentes et sanctionné sévèrement les auteurs des faits. Mme Claire Hédon, actuelle Défenseure des droits, a rappelé que nous répondions à 99 % de ses demandes ; c'est très bien ainsi.

Mon rôle, en tant que chef de l'IGGN, est de piloter tout ce qui touche à la déontologie de la gendarmerie, de conduire des investigations administratives et judiciaires, d'établir les responsabilités et de demander des sanctions.

Avant de conclure, je souhaite évoquer plusieurs points saillants. Le premier point réside dans le rôle du chef et de la hiérarchie. J'ai commandé pendant sept ans des régions de gendarmerie – Midi-‑Pyrénées pendant trois ans, Bretagne pendant quatre ans. Un chef doit « cheffer » : c'est essentiel pour assurer la responsabilité et garantir le respect du droit. Cela doit se faire sans excès et avec beaucoup de discernement ; il est indispensable d'agir et de ne surtout pas laisser les fautes prospérer. Il faut donc sanctionner au bon niveau les comportements fautifs. Dans ce domaine, l'IGGN joue le rôle de conseiller des commandants de région. Cette semaine, deux d'entre eux m'ont appelé pour échanger avec moi. Ils prendront eux-mêmes leurs décisions mais j'ai pu mettre à profit à la fois mon point de vue de chef de l'Inspection, confronté à de nombreux cas concrets, et mon expérience de commandant de région.

Le deuxième point est la place de la déontologie : tout propos discriminant doit être combattu et sanctionné. Quand on est militaire, il faut savoir agir et faire vivre les valeurs que nous partageons.

Le troisième point concerne la formation. La formation initiale est un socle solide, du moins en temps normal – sa durée a été réduite du fait de la crise sanitaire. Il est aujourd'hui urgent de revenir à la durée normale de formation, surtout en école. La formation continue est correcte, mais il faut la renforcer. Le ministre a dit qu'elle faisait partie des « sept péchés capitaux ». Je ne sais pas si cela incluait la gendarmerie mais c'est un point d'attention pour moi. L'IGGN participe d'ores et déjà, avec la Défenseure des droits, à la validation des modules de formation de l'école de gendarmerie. Nous travaillons également à l'élaboration d'un kit pédagogique de déontologie que nous enverrons dans les départements jusqu'au niveau de l'arrondissement, c'est-à-dire des compagnies et des escadrons de gendarmerie, pour la formation collective.

Le réseau de référents « égalité diversité », très dynamique, est également important. Je l'ai constaté lorsque j'animais la journée du partage du commandement à Pontivy : quand un général parle de lutter contre le racisme, de déontologie, de respect, d'exemplarité, etc., c'est bien, mais le discours porte davantage quand il est tenu par un pair.

Plusieurs voies de progrès existent. Première voie : il faut élever notre niveau de vigilance dans le domaine des réseaux sociaux. Certains gendarmes manquent de discernement, notamment sur WhatsApp où ils tiennent des propos inadmissibles. Deux enquêtes sont en cours et des sanctions seront demandées dont l'une, en région Centre, se déroule sur un plan judiciaire.

Deuxième voie : nous devons aller plus loin dans la formation continue – je passe rapidement sur ce point car je l'ai déjà évoqué.

Troisième voie : l'image. En matière de contrôle d'identité dans le cadre du maintien de l'ordre, l'image permet au magistrat de voir si le gendarme s'est bien ou mal comporté, si la personne contrôlée était agressive ou non. Cela permet de trancher rapidement et d'éviter de se retrouver dans une situation où l'on n'a que le témoignage de l'un contre le témoignage de l'autre. Il va falloir aller beaucoup plus loin, en permettant à nos concitoyens de transférer les images qu'ils auront prises sur une plateforme gérée soit par les inspections, soit par le Défenseur des droits.

Je conclurai sur quatre points. Premièrement, la gendarmerie doit cultiver ses valeurs militaires, qui sont fondamentales.

Deuxièmement, nous devons maintenir un haut niveau d'exigences déontologiques. Pas de passe-droit, pas de compromis s'agissant des défaillances des gendarmes. Le respect envers les personnes est obligatoire, le vouvoiement est indispensable.

Troisièmement, s'agissant de l'indépendance, préservons une IGGN dynamique, exigeante mais ouverte. Je suis favorable à l'arrivée d'un magistrat à l'IGGN et à l'arrivée d'un chargé de mission du Défenseur des droits à mes côtés. Ils verront comment nous travaillons au quotidien.

Quatrièmement, comme il n'est jamais facile de venir déposer plainte, je souhaite que les dépôts de pré-plainte et de plainte en ligne se développent, même si le dépôt d'une plainte en gendarmerie ou au commissariat restera toujours nécessaire en matière pénale.

Dans notre stratégie de lutte contre les violences faites aux femmes et contre le racisme, les brigades de prévention de la délinquance juvénile se transforment de plus en plus en maisons de confiance et de protection des familles, outil efficace qui doit être lui aussi valorisé et développé. Nous en comptons huit de plus, présentes désormais dans cinquante-trois départements.

Enfin, une note est à mes yeux très positive : le maintien d'une dynamique de gendarmerie forte, responsable, respectueuse des institutions et des personnes. Ainsi, au cours des trois dernières années, aucun contrôle « au faciès » n'a été signalé.

J'ajoute que nul ne parle des difficultés auxquelles la gendarmerie est confrontée dans les outre-mer. Or, la semaine dernière, nous avons été obligés d'ouvrir le feu en Nouvelle-Calédonie et nous avons fait preuve d'une très bonne maîtrise. Nous apportons une attention particulière au recrutement et à l'accompagnement de nos personnels autochtones, qui représentent pas moins d'un sixième des effectifs servant en outre-mer. Il est essentiel, parfois, de savoir parler créole et de pouvoir être proche de la population. Une telle diversité nous renforce.

Je terminerai par les classes préparatoires intégrées, qui sont, à mes yeux, un dispositif remarquable. Continuons à le développer !

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Je vous remercie. Vous avez insisté sur le statut militaire des gendarmes, sur la hiérarchie, sur la formation, autant de points dont le Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale a également souligné l'importance.

Élu d'une « zone de police », et si caricatural cela soit-il, je ne peux m'empêcher de penser que la gendarmerie est peut-être moins confrontée que la police, par exemple, à des violences urbaines ou à des comportements provocateurs. Comment analysez-vous cette question de la répartition territoriale des compétences ?

Par ailleurs, on a le sentiment que le recrutement est moins divers dans la gendarmerie que dans la police : certains gardiens de la paix recrutés en zones urbaines, ont peut-être une formation plus fragile, une moindre culture de l'accompagnement, de la distance et du sang-froid que les gendarmes. J'essaie de m'exprimer dans des termes mesurés, mais vous comprenez certainement le sens de ma question.

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Je vous remercie pour n'avoir éludé aucune de nos questions. Vous avez même abordé un sujet sur lequel nous ne vous avons pas interrogé : celui des comportements des gendarmes sur les réseaux sociaux. Nous attendons une grande exemplarité de la part des forces de l'ordre. La question est actuellement posée de « circonstances aggravantes » si, parmi les forces de l'ordre, des fonctionnaires ou des militaires se rendaient coupables d'actes racistes.

Les brigades de gendarmerie font passer un « Permis internet pour les enfants » aux élèves de CM2. J'imagine donc que la gendarmerie dispose de tous les outils nécessaires pour former ses militaires au bon usage des réseaux sociaux ?

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Alain Pidoux, chef de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale

Les réseaux sociaux sont un point d'achoppement. Il y a huit ans, la DGGN a publié un Guide du bon usage des médias sociaux, diffusé et commenté lors des formations. Lors de chaque connexion à notre réseau intranet, il y est fait référence.

Les chefs présents sur les réseaux sociaux doivent veiller et intervenir en cas de commentaires déplacés ou de réactions excessives, comme ce fut le cas récemment par exemple à la suite d'un viol commis par un étranger en situation irrégulière. L'IGGN a également une activité de veille et est en mesure de réagir.

Comme vous le rappelez, la gendarmerie a développé un « Permis internet ». Si l'on veut être efficace, ce n'est pas vers les jeunes adolescents qu'il faut aller – c'est trop tard – mais vers les enfants qui ont entre huit et douze ans et qui sont encore doués d'une capacité d'écoute. Ces jeunes sont fiers de dire à leurs parents qu'ils ont obtenu leur permis. Certes, cela ne résoudra pas tous les problèmes durablement mais ce dispositif offre aussi une clé aux parents afin qu'ils prennent le relais et sensibilisent à leur tour leurs enfants.

Nous avons été récemment contrôlés par l'Association française de normalisation (AFNOR) afin d'évaluer l'action que nous engageons depuis deux ans en matière de diversité et d'égalité professionnelle. Elle s'est rendue à l'École de Gendarmerie, à Montluçon, où le code de l'apprenant lui a été présenté, qui parle de la discrétion et du respect dont il faut faire preuve sur les réseaux sociaux. Chaque compagnie d'environ 120 élèves-gendarmes comporte un référent, responsable de la gestion du fil WhatsApp et des réseaux sociaux. Les gendarmes apprennent ainsi à se maîtriser, ce qui est le premier pas vers le respect.

Les valeurs militaires des gendarmes sont incarnées et mises à l'épreuve, par l'apprentissage et des moments précis de la formation, du partage, du respect, des difficultés, en affrontant par exemple très concrètement le froid. Lorsqu'ils seront confrontés à quelqu'un qui vit dans la rue, ils se montreront sans doute plus réceptifs à sa souffrance.

Il est vrai que certaines zones de police sont particulièrement difficiles. De 2014 à 2015, j'ai commandé le groupement de gendarmerie départementale de Haute-Garonne et la région de gendarmerie de Midi-Pyrénées. J'ai travaillé avec le maire de Cugnaux, j'ai été dans les tours qui jouxtent la zone de police, dans le quartier du Mirail, j'ai travaillé main dans la main avec les Brigades anti-criminalité (BAC). La situation n'était pas moins difficile pour nous, même s'il est vrai que, globalement, les endroits « difficiles » sont moins en zone de gendarmerie qu'en zone police.

Dans le domaine des ressources humaines, je me suis toujours appliqué à trouver de subtils équilibres entre les anciens et les nouveaux, les personnels expérimentés et ceux qui débutent. À la brigade de Moissac, dans le Tarn-et-Garonne, la présence féminine était très importante et, compte tenu de la population, les contacts étaient parfois difficiles, certaines personnes refusant de parler à des femmes (cet exemple me semble frappant…). J'ai donc là encore veillé à trouver un équilibre de manière à ne pas être confronté à ce genre de difficulté.

Le recrutement est sans doute plus diversifié que vous ne le laissez entendre : il intègre des personnes des outre-mer ou dont les parents sont originaires d'Afrique. Certains parlent couramment arabe. Cela vaut plus largement pour l'armée, dans laquelle certains jeunes s'engagent parce qu'ils ont besoin de repères.

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Est-il possible que des faits de racisme, dans les brigades territoriales, ne remontent pas jusqu'à vous parce qu'ils seraient tus ? Par ailleurs, le climat entre les forces de gendarmerie et les citoyens est-il plus tendu ?

Enfin, si le terme cheffing est utilisé depuis longtemps en Angleterre, je me suis toujours demandé pourquoi nous ne l'utilisions pas en France. Je vous rejoins lorsque vous dites que le cheffing n'interdit en rien une relation de confiance assez forte.

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Alain Pidoux, chef de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale

Oui, il peut arriver que faits de racisme ne remontent pas à l'IGGN et ne sortent pas des unités, surtout si le chef ne réagit pas. J'ai été confronté à cette situation en Bretagne, pour un fait de discrimination. L'officier qui n'a pas traité ce problème a été puni de vingt jours d'arrêt et a été muté dans l'intérêt du service. Il n'est plus possible, aujourd'hui, de cacher ce genre d'affaires tant les dispositifs dédiés sont nombreux (stop-discri, référents diversité et égalité professionnelle, réseaux des conseillers concertation…). Le chef qui n'a pas « cheffé » devra assumer les conséquences de ses actes.

Je n'ai pas le sentiment que les relations entre la gendarmerie et la population soient tendues. Selon un récent sondage, 81 % des personnes interrogées ont confiance dans cette institution. Sans doute cela s'explique-t-il aussi par la compréhension dont nous faisons montre pendant cette crise sanitaire. Faire preuve de discernement, c'est aussi ne pas sanctionner lorsque cela serait stupide. Faire preuve d'ouverture, c'est faire autrement, répondre présent par le cœur, par des actions concrètes auprès des maires et de nos concitoyens. Nous avons d'ailleurs reçu, cette année encore, le premier prix du podium de la relation client. Tout cela contribue à faire comprendre l'humanité de la gendarmerie : « Une force humaine », telle est notre devise.

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Je vous remercie, mon général. Longue vie à l'institution qui est la vôtre et bon courage pour la suite de votre mission à l'IGGN.

La séance est levée à 19 heures 15.