Monsieur le président, madame la rapporteure, je commencerai par quelques éléments de définition sur les infractions à caractère raciste, que l'on peut classer en trois groupes : les discriminations, qui sont définies aux articles 225-1 et suivants du code pénal ; les infractions punies d'une peine d'emprisonnement, qui sont aggravées par la circonstance du motif raciste de leur commission, en vertu de l'article 132-76 du code pénal ; les infractions spécifiques au droit de la presse, enfin, sanctionnées par la loi du 29 juillet 1881, que sont l'incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination raciale et les infractions de diffamation et d'injure, lorsqu'elles sont aggravées par une circonstance raciste.
Vous avez raison, madame la rapporteure, il y a sans doute une marge de progression. Je pourrai vous communiquer des chiffres détaillés et précis si vous le souhaitez mais, pour m'en tenir à des données globales, sachez qu'en 2019 le nombre d'affaires orientées par le parquet a augmenté de 10 % par rapport à 2018 : le contentieux augmente donc, même s'il n'est pas à la hauteur de la réalité.
Vous avez souligné à juste titre que de nombreuses personnes ne portent pas plainte et ne font pas de démarches lorsqu'elles sont victimes d'actes à caractère raciste. En 2019, les parquets ont orienté 7 283 affaires à caractère raciste mettant en cause quelque 6 400 personnes – ce qui représente aussi une légère hausse par rapport à 2018. Les chiffres sont stables pour les discriminations, ils sont en hausse de 13 % pour les atteintes aux personnes, de 6 % pour les atteintes aux biens et de 3 % pour les injures. Ces infractions concernent essentiellement des majeurs mais aussi, pour 7 % d'entre elles, des mineurs. Notons que 178 mises en cause concernent des personnes morales : il s'agit pour l'essentiel de faits de discrimination au sein d'associations ou d'entreprises.
Les poursuites et les décisions de condamnation ont également augmenté en 2019. Les réponses pénales qui sont apportées par les parquets se divisent, assez classiquement, en deux moitiés presque égales : une petite moitié de poursuites devant la juridiction pénale et une grosse moitié d'orientation vers des alternatives aux poursuites. En 2019, 843 condamnations ont été prononcées par des juridictions pénales pour des infractions à caractère raciste : cela représente une hausse de 37,5 % par rapport à 2018, mais il faut dire que l'on partait d'un niveau relativement modeste. Ces chiffres, qui résultent à la fois du casier judiciaire et du logiciel des juridictions CASSIOPEE (Chaîne applicative supportant le système d'information orienté procédure pénale et enfants), ne sont pas tout à fait consolidés et peuvent encore évoluer, mais la tendance est indéniable.
Près des deux tiers des condamnations pour des infractions à caractère raciste relèvent de l'injure et de la diffamation. Le taux de relaxe, en la matière, est en baisse par rapport aux années précédentes, mais il reste supérieur au taux de relaxe moyen : cela tient au fait qu'il est souvent difficile de prouver le mobile racial de ces délits.
Il existe deux freins essentiels, que votre mission a sans doute identifiés. Le premier, et le plus important, c'est la réticence des victimes à déposer plainte et à signaler les faits. Le taux de signalement est bas, pour plusieurs raisons. La plus inquiétante, c'est la banalisation des faits, y compris par les victimes elles-mêmes. Et c'est ce sur quoi il faut vraiment agir, en rappelant sans cesse aux services de police et aux services judiciaires qu'une infraction à caractère racial doit être prise en compte dans toute sa gravité. Même si la victime a tendance à banaliser les faits en disant qu'elle a toujours vécu cela, qu'elle est souvent la cible d'injures ou de discriminations, il faut lui dire que ces faits ne sont pas acceptables. Cela passe par la sensibilisation des victimes, des enquêteurs et de l'autorité judiciaire. Il faut aussi faciliter le dépôt de plainte en développant la pré-plainte en ligne, dont le principe a été acté par la loi de programmation et de réforme pour la justice du 23 mars 2019. Ce dispositif se développe progressivement et nous espérons assister prochainement à l'ouverture d'un portail numérique d'accompagnement qui permettra aux victimes d'être orientées et informées par des policiers et des gendarmes vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept.
L'autre difficulté – je l'ai déjà évoquée à propos du taux de relaxe –, c'est l'administration de la preuve, la difficulté à établir l'infraction, mais aussi et surtout le mobile raciste de celle-ci. S'il apparaît souvent dans la plainte, il n'est jamais – ou très rarement – admis ou revendiqué par l'auteur des faits. C'est donc un travail de caractérisation du mobile qui est demandé aux services de police et de gendarmerie, pour que la juridiction puisse, sans aucun doute possible, établir que l'infraction avait bien un mobile raciste. Et ce travail de caractérisation n'est pas simple.
Les cas de classement sans suite de procédure, c'est-à-dire ceux où le parquet décide de ne pas ordonner d'alternative ou de ne pas saisir la juridiction, sont, dans 80 % des cas, motivés par le fait que l'infraction est insuffisamment caractérisée. Très souvent, il y a un défaut de preuve. Parce qu'il est impossible de caractériser l'infraction avec certitude, parce qu'il reste un doute, le procureur estime qu'il est vain de conduire le dossier au tribunal. Dans 7 % des cas, le classement sans suite s'explique par l'extinction de l'action publique, elle-même liée, dans la majorité des cas, à la prescription des faits. Toutefois, en matière d'injure ou de diffamation raciale, les règles de prescription et les règles procédurales sont beaucoup moins contraignantes pour le ministère public qu'elles ne le sont pour les autres infractions relevant de la loi du 29 juillet 1881, qui a été conçue pour assurer la liberté de la presse.
Voilà, en quelques mots, le constat juridique, statistique et pratique que je pouvais faire.