La mission d'information procède à l'audition M. Olivier Caracotch, directeur adjoint des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice.
La séance est ouverte à 9 heures.
Chers collègues, nous avons l'honneur d'auditionner ce matin M. Olivier Caracotch, directeur adjoint des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice.
Notre objectif est de rendre, au début de l'année 2021, un rapport qui dressera modestement, mais de la manière la plus exhaustive possible, l'état des lieux du racisme dans notre société et qui préconisera des mesures concrètes pour rendre la lutte contre le racisme plus effective.
Depuis quelques semaines, nos auditions portent sur la place de la justice dans la prévention et la répression des délits à caractère raciste et, plus spécifiquement, sur celle du juge. Nous avons entendu des magistrats, M. Nicolas Bonnal, conseiller à la Cour de cassation et Mme Anne-Marie Sauteraud, ancienne présidente de la chambre 2-7è de la cour d'appel de Paris, ainsi que des représentants de l'École nationale de la magistrature (ENM) et des syndicats de la magistrature.
Nous sommes heureux, pour clôturer cette séquence judiciaire, d'entendre le point de vue du ministère de la justice, qui joue un rôle essentiel dans la définition de la politique pénale. Si nous voulons formuler des propositions concrètes, nous ne pouvons faire l'économie d'une réflexion sur la chaîne pénale et sur la manière de mieux sanctionner les délits à caractère raciste et de rendre les peines plus effectives.
Monsieur Caracotch, je vous remercie pour votre présence devant notre mission d'information. Nous aimerions revenir avec vous sur les dispositions du code pénal et du code de procédure pénale liées à la répression des délits à caractère raciste. Nous avons notamment identifié des éléments qui peuvent freiner la reconnaissance des circonstances aggravantes Il est apparu qu'il existe une vraie marge de progression en matière de répression du racisme. Ce qui nous inquiète le plus, c'est que nos concitoyens portent très peu plainte lorsqu'ils sont victimes de propos ou de comportements racistes, susceptibles d'être punis au titre de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 ou du code pénal.
Monsieur le président, madame la rapporteure, je commencerai par quelques éléments de définition sur les infractions à caractère raciste, que l'on peut classer en trois groupes : les discriminations, qui sont définies aux articles 225-1 et suivants du code pénal ; les infractions punies d'une peine d'emprisonnement, qui sont aggravées par la circonstance du motif raciste de leur commission, en vertu de l'article 132-76 du code pénal ; les infractions spécifiques au droit de la presse, enfin, sanctionnées par la loi du 29 juillet 1881, que sont l'incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination raciale et les infractions de diffamation et d'injure, lorsqu'elles sont aggravées par une circonstance raciste.
Vous avez raison, madame la rapporteure, il y a sans doute une marge de progression. Je pourrai vous communiquer des chiffres détaillés et précis si vous le souhaitez mais, pour m'en tenir à des données globales, sachez qu'en 2019 le nombre d'affaires orientées par le parquet a augmenté de 10 % par rapport à 2018 : le contentieux augmente donc, même s'il n'est pas à la hauteur de la réalité.
Vous avez souligné à juste titre que de nombreuses personnes ne portent pas plainte et ne font pas de démarches lorsqu'elles sont victimes d'actes à caractère raciste. En 2019, les parquets ont orienté 7 283 affaires à caractère raciste mettant en cause quelque 6 400 personnes – ce qui représente aussi une légère hausse par rapport à 2018. Les chiffres sont stables pour les discriminations, ils sont en hausse de 13 % pour les atteintes aux personnes, de 6 % pour les atteintes aux biens et de 3 % pour les injures. Ces infractions concernent essentiellement des majeurs mais aussi, pour 7 % d'entre elles, des mineurs. Notons que 178 mises en cause concernent des personnes morales : il s'agit pour l'essentiel de faits de discrimination au sein d'associations ou d'entreprises.
Les poursuites et les décisions de condamnation ont également augmenté en 2019. Les réponses pénales qui sont apportées par les parquets se divisent, assez classiquement, en deux moitiés presque égales : une petite moitié de poursuites devant la juridiction pénale et une grosse moitié d'orientation vers des alternatives aux poursuites. En 2019, 843 condamnations ont été prononcées par des juridictions pénales pour des infractions à caractère raciste : cela représente une hausse de 37,5 % par rapport à 2018, mais il faut dire que l'on partait d'un niveau relativement modeste. Ces chiffres, qui résultent à la fois du casier judiciaire et du logiciel des juridictions CASSIOPEE (Chaîne applicative supportant le système d'information orienté procédure pénale et enfants), ne sont pas tout à fait consolidés et peuvent encore évoluer, mais la tendance est indéniable.
Près des deux tiers des condamnations pour des infractions à caractère raciste relèvent de l'injure et de la diffamation. Le taux de relaxe, en la matière, est en baisse par rapport aux années précédentes, mais il reste supérieur au taux de relaxe moyen : cela tient au fait qu'il est souvent difficile de prouver le mobile racial de ces délits.
Il existe deux freins essentiels, que votre mission a sans doute identifiés. Le premier, et le plus important, c'est la réticence des victimes à déposer plainte et à signaler les faits. Le taux de signalement est bas, pour plusieurs raisons. La plus inquiétante, c'est la banalisation des faits, y compris par les victimes elles-mêmes. Et c'est ce sur quoi il faut vraiment agir, en rappelant sans cesse aux services de police et aux services judiciaires qu'une infraction à caractère racial doit être prise en compte dans toute sa gravité. Même si la victime a tendance à banaliser les faits en disant qu'elle a toujours vécu cela, qu'elle est souvent la cible d'injures ou de discriminations, il faut lui dire que ces faits ne sont pas acceptables. Cela passe par la sensibilisation des victimes, des enquêteurs et de l'autorité judiciaire. Il faut aussi faciliter le dépôt de plainte en développant la pré-plainte en ligne, dont le principe a été acté par la loi de programmation et de réforme pour la justice du 23 mars 2019. Ce dispositif se développe progressivement et nous espérons assister prochainement à l'ouverture d'un portail numérique d'accompagnement qui permettra aux victimes d'être orientées et informées par des policiers et des gendarmes vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept.
L'autre difficulté – je l'ai déjà évoquée à propos du taux de relaxe –, c'est l'administration de la preuve, la difficulté à établir l'infraction, mais aussi et surtout le mobile raciste de celle-ci. S'il apparaît souvent dans la plainte, il n'est jamais – ou très rarement – admis ou revendiqué par l'auteur des faits. C'est donc un travail de caractérisation du mobile qui est demandé aux services de police et de gendarmerie, pour que la juridiction puisse, sans aucun doute possible, établir que l'infraction avait bien un mobile raciste. Et ce travail de caractérisation n'est pas simple.
Les cas de classement sans suite de procédure, c'est-à-dire ceux où le parquet décide de ne pas ordonner d'alternative ou de ne pas saisir la juridiction, sont, dans 80 % des cas, motivés par le fait que l'infraction est insuffisamment caractérisée. Très souvent, il y a un défaut de preuve. Parce qu'il est impossible de caractériser l'infraction avec certitude, parce qu'il reste un doute, le procureur estime qu'il est vain de conduire le dossier au tribunal. Dans 7 % des cas, le classement sans suite s'explique par l'extinction de l'action publique, elle-même liée, dans la majorité des cas, à la prescription des faits. Toutefois, en matière d'injure ou de diffamation raciale, les règles de prescription et les règles procédurales sont beaucoup moins contraignantes pour le ministère public qu'elles ne le sont pour les autres infractions relevant de la loi du 29 juillet 1881, qui a été conçue pour assurer la liberté de la presse.
Voilà, en quelques mots, le constat juridique, statistique et pratique que je pouvais faire.
En parallèle de nos échanges avec les autorités judiciaires, nous avons également auditionné des représentants de la police et de la gendarmerie, à la fois des hommes de terrain et des représentants de la hiérarchie et du ministère de l'intérieur. Cela m'amène à vous interroger sur les relations entre la police et la justice dans cette chaîne pénale dont vous avez mis en lumière les faiblesses – même si l'on ne peut que se réjouir de l'augmentation du taux de sanctions effectives pour les délits ou infractions à caractère raciste.
Comment évaluez-vous le niveau de formation des différents acteurs chargés de caractériser les faits, depuis les fonctionnaires de police et de gendarmerie jusqu'aux parquets et aux juges ? Quelle est leur sensibilité à ces questions ? Est-elle en train de progresser, du fait d'une formation accrue ou de l'actualité ? Sur un plan plus technique, pensez-vous, comme la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), que les codes relatifs à la nature de l'affaire (NATAFF) et à la nature de l'infraction (NATINF) sont trop imprécis et devraient être révisés ?
Sur ce thème des relations entre la justice, la population et la police, pouvez-vous dire un mot des contrôles d'identité, plus précisément de la manière dont ils sont encadrés par le code pénal et des éventuelles dérives qui caractériseraient leur usage ? Cette question concerne moins l'accueil de la victime que l'exemplarité de la relation des forces de l'ordre avec la population. Comment utiliser la procédure du contrôle d'identité de façon proportionnée, sans donner le sentiment à nos concitoyens que certains territoires sont davantage ciblés comme étant des territoires de délinquance ?
Plusieurs de nos auditions nous ont amenés à nous pencher sur l'article 78-2 du code de procédure pénale, notamment sur son alinéa 8, qui dispose que l'identité de toute personne peut être contrôlée « quel que soit son comportement ». Nous ne remettons nullement en cause la probité des policiers mais certaines populations sont plus contrôlées que d'autres du fait qu'elles se trouvent à certains endroits, ce qui peut leur donner le sentiment d'être discriminées ou stigmatisées. Ne faudrait-il pas modifier la rédaction de l'alinéa 8 de l'article 78-2 ? Cela suppose un vrai travail de concertation avec les forces de l'ordre, qui ont aussi besoin d'outils pour travailler. Si vous avez déjà réfléchi à cette question, votre éclairage nous serait utile.
Le législateur a voulu compléter, dans la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté du 27 janvier 2017, le champ de la circonstance aggravante. En cas de délit ou de crime, tout élément – un propos, un tag, un dessin, un objet – faisant référence à la race, à l'origine ou à la religion de la victime est considéré comme une circonstance aggravante, que le mobile du délit soit, ou non, raciste. Je crois que le législateur a voulu dire par là qu'il n'était pas nécessaire de prouver l'intention de l'auteur : la circonstance mérite, en tant que telle, d'être punie. De la même manière, dans la loi du 29 juillet 1881, on ne cherche pas l'intention de l'auteur : on punit un propos objectivement qualifié de raciste. Pensez-vous qu'il faille réécrire l'article 132-76 pour qu'il soit encore plus clair sur la place de l'intention de l'auteur dans la caractérisation d'une circonstance aggravante ? Faut-il expliciter ces notions de « mobile » et de « circonstance » ?
La loi du 27 janvier 2017 a également modifié la loi de 1881 pour permettre au juge de requalifier une infraction à caractère raciste, mais certaines de nos auditions nous ont appris que ce changement n'était pas encore vraiment entré dans les habitudes des magistrats. Faut-il peut-être davantage de temps pour qu'une nouvelle pratique juridictionnelle s'impose ?
Je suis très heureuse que le parquet numérique voie si vite le jour après l'adoption de la loi contre les contenus haineux sur internet du 24 juin 2020. Pouvez-vous nous dire ce qui est prévu en termes de moyens ? Je connais une habitante de l'Isère qui a reçu 50 000 messages haineux, et même des menaces de mort, sur les réseaux sociaux. Comment le parquet numérique va-t-il travailler face au risque d'un contentieux de masse ?
Enfin, on avait entendu parler du projet Preventing Racism and Intolerance (PRINT), mené en partenariat avec l'Allemagne et j'aimerais savoir où en est la réflexion, au niveau européen, sur la prévention des actes racistes.
Madame la rapporteure, vous m'interrogez sur la réforme de la loi du 29 juillet 1881, qui ne serait pas encore entrée dans les habitudes des magistrats ; cette question renvoie à la première question du président, relative à la formation et à l'information des acteurs de la chaîne pénale. Je pense, pour ma part, que cette réforme est entrée dans les habitudes des magistrats, en tout cas de ceux qui sont régulièrement confrontés à ce type de contentieux et aux spécificités de la loi du 29 juillet 1881.
Le ministère de la justice et la DACG, en particulier, font tout pour faciliter la tâche des magistrats. Un guide sur le droit de la presse a été mis en ligne, auquel ils peuvent se reporter lorsqu'ils sont confrontés à ce type d'infraction, pour éviter les éventuels écueils de la procédure. L'année dernière, nous avons par ailleurs réuni, en présence de l'ancienne garde des Sceaux, tous les magistrats référents chargés de la lutte contre les discriminations. Il y a désormais, dans chaque parquet, un magistrat désigné comme référent pour l'animation de la politique pénale et le traitement des affaires de racisme et de discrimination : il est l'interlocuteur régulier et naturel des services de police.
Je ne peux pas m'exprimer sur la formation initiale des policiers et des gendarmes, qui ne relève pas de la compétence du ministère de la justice, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'ils ont désormais, en la personne de ce magistrat référent, un interlocuteur dans les parquets. Ils le connaissent et savent qu'il faut se tourner vers lui dès qu'ils ont une procédure de ce type. Localement, les acteurs concernés sont réunis au sein du comité opérationnel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme (CORA), l'instance partenariale destinée aux échanges et au traitement des infractions de ce type. Il existe donc un maillage territorial, mais aussi des bonnes pratiques : je pense à certains stages de citoyenneté qui ont un volet relatif à la prévention des discriminations, mais aussi à des stages plus ciblés, comme la visite de sites historiques ou de mémoriaux. L'École nationale de la magistrature offre également, sur ces questions, une formation initiale et continue.
L'action du ministère de la justice dans le domaine de l'information est extrêmement forte. Ces six dernières années, huit circulaires et dépêches ont été adressées aux parquets et aux parquets généraux pour application, et aux collègues du siège pour information. Elles portaient tant sur la politique pénale, pour affirmer le caractère prioritaire de ce contentieux, que sur des éléments plus techniques et juridiques, pour apporter aux juridictions les outils permettant de sanctionner ce type d'infraction.
Monsieur le président, vous m'avez interrogé sur la précision des codes NATINF. La création de codes NATINF spécifiques ne serait pas conforme à notre doctrine d'emploi car l'infraction ou la circonstance visée ne majore pas ou ne modifie pas les peines encourues pour les infractions en question. L'assassinat étant déjà réprimé par la peine maximale, à savoir la réclusion criminelle à perpétuité, le fait qu'il soit commis avec telle ou telle circonstance n'est pas de nature à entraîner une majoration de la peine. Dès lors, faut-il créer une NATINF spécifique pour l'assassinat raciste ? Cela n'aurait d'intérêt qu'en matière statistique, intérêt d'ailleurs assez limité parce que nous ne sommes pas sûrs de l'appréhension qu'en auraient les juridictions. Le choix a été fait de ne créer de NATINF que lorsqu'il y a des conséquences juridiques, c'est-à-dire soit l'aggravation de la peine, soit la possibilité de prononcer des peines complémentaires.
Autre difficulté concernant les actes de violences : lorsque deux circonstances aggravantes existent, un seul et même code NATINF s'applique. Des violences commises en réunion avec un caractère raciste deviennent des violences aggravées par deux circonstances, et l'infraction y perd en visibilité. Il n'est pas question de modifier cette doctrine d'emploi puisque le changement n'aurait qu'une visée statistique, et non opérationnelle. Peut-être, d'un point de vue politique, que la statistique peut aussi avoir une vocation opérationnelle, en fournissant des outils adéquats à l'évaluation des politiques publiques.
S'agissant du contrôle d'identité, la formule « quel que soit son comportement » a été ajoutée en 1993 à la rédaction de 1986 dans le but de répondre à une difficulté : sans cette mention, il était difficile de justifier un contrôle d'identité effectué dans une zone déterminée et dans un contexte particulier, sans que la personne contrôlée ait une attitude justifiant ce contrôle. Or il faut permettre aux services de police de relever l'identité des personnes présentes dans une zone où des faits graves sont régulièrement commis, quand bien même elles n'auraient pas été vues en train de participer à la commission des faits. La formule « quel que soit leur comportement » a été inscrite dans le code de procédure pénale pour donner une base légale aux contrôles d'identité effectuée dans des zones particulières, elle n'a évidemment pas pour but de légitimer les « contrôles au faciès ».
Nous nous sommes en effet demandé s'il était utile de préciser que le contrôle ne devait pas être motivé par des considérations d'apparence physique, raciales, etc. Il s'agit d'une évidence, rappelée par les principes constitutionnels, la jurisprudence de la Cour de cassation et le code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale. Inscrire cela dans le code de procédure pénale serait superfétatoire et peut-être même contre-productif.
La Cour de cassation exige un regard particulièrement vif dans ce domaine de la part de l'autorité judiciaire, en particulier du procureur de la République : celui-ci, lorsqu'il autorise des contrôles d'identité, doit se faire remettre un rapport sur la façon dont ceux-ci ont été opérés. Le ministère de la justice préconise également de demander ce type de rapport lorsque les contrôles ont été réalisés hors réquisitions du procureur de la République.
La circonstance aggravante de l'article 132-76 du code pénal a été étendue par la loi du 27 janvier 2017. Elle s'applique désormais dès lors que le crime ou le délit est « est précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature qui soit portent atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime ou d'un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une prétendue race, une ethnie, une nation ou une religion déterminée […] ».
Nous sommes tout à fait d'accord sur l'interprétation de ce texte, qui ne réprime pas directement un mobile raciste, mais une atmosphère raciste entourant la commission des faits. Selon moi, le texte de l'article 132-76 n'a pas besoin d'être modifié. Toutefois, il est parfois difficile d'objectiver cette atmosphère raciste, surtout en l'absence d'écrits. Les injures raciales peuvent être contestées par leur auteur supposé. D'expérience, je peux vous dire qu'un auteur de violences reconnaîtra plus facilement les violences que les injures, alors même que les violences sont davantage réprimées.
Enfin, le pôle national de lutte contre la haine en ligne a été créé à droit constant au parquet de Paris par une circulaire du 24 novembre 2020 et commencera à fonctionner le 4 janvier 2021. Je peux vous indiquer, même si cela ne relève pas de la compétence de la direction des affaires criminelles et des grâces, que des effectifs ont été attribués à ce pôle pour le renforcer : des magistrats du siège, des magistrats du parquet, ainsi qu'une équipe dédiée composée d'un assistant spécialisé et de deux juristes assistants. Ce pôle aura vocation à traiter des affaires les plus complexes et les plus significatives du fait de la pluralité d'auteurs, de la pluralité de victimes ou du caractère national, voire international, des infractions qui sont commises.
Si l'on veut lutter contre la discrimination ou le sentiment de discrimination, les enquêtes doivent aboutir rapidement. Je m'interroge de ce fait sur les moyens du ministère de la justice. Certes, le pôle national de lutte contre la haine en ligne bénéficiera d'effectifs supplémentaires mais ne faudrait-il pas également augmenter les moyens du ministère de la justice, dans un contexte de nette augmentation du volume des plaintes ?
Par ailleurs, la remise d'un récépissé lors d'un contrôle d'identité ne vous paraît-elle pas de nature à éviter le contrôle « au faciès » ?
Le Syndicat de la magistrature a indiqué que, pour retenir la circonstance aggravante de racisme, le crime ou le délit devait avoir été commis « à raison » de la race. C'est pour cela que je vous ai posé une question sur le rôle de l'intention dans l'article 132-76 du code pénal.
L'article 132-76 du code pénal, dans sa nouvelle rédaction de 2017, est particulièrement clair : une infraction précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits ou images, cela vise bien, me semble-t-il, à réprimer un contexte de commission.
S'agissant de la question des moyens et de la durée des procédures, il existe dans la plupart des parquets, pour ne pas dire la totalité, un circuit dédié aux infractions réprimées par la loi du 29 juillet 1881. Ce circuit est justifié par le fait que ces infractions sont régies par un régime strict de prescription (sauf, désormais, celles à caractère raciste) qui impose de les traiter en priorité. Cette réponse, à elle seule, n'est pas suffisante, j'en conviens parfaitement.
La création du pôle national de lutte contre la haine en ligne et la désignation de référents constituent une autre partie de la réponse. La centralisation autour d'un pôle vise à mieux cibler les auteurs et à accélérer les procédures. Des spécialistes sont en effet à même de travailler plus rapidement car ils savent quels enquêteurs saisir, quelles procédures appliquer. Ils ont les bons réflexes dans le choix des actions à mener, comme demander le retrait des contenus (procédure civile qui n'est pas accessible à tous les parquets).
D'importants moyens ont été attribués au ministère dans le cadre de la justice de proximité, dont 900 postes de contractuels pour venir en aide aux magistrats, greffiers et délégués du procureur dans le traitement des infractions du quotidien. Il peut s'agir d'infractions à caractère racial, par exemple des injures raciales entre voisins, ou des dégradations qui seraient commises dans un contexte racial. C'est véritablement le cœur de métier de la justice de proximité. Le garde des Sceaux et le Premier ministre en ont fait une priorité : des réponses doivent être apportées rapidement à ces faits, ce qui n'était pas forcément le cas auparavant. Outre cette impulsion politique, des effectifs importants ont été attribués au ministère de la justice. Cela ne vise pas spécifiquement à lutter contre les infractions à caractère raciste, mais les infractions commises en proximité et ayant cette qualification pourront en bénéficier.
La question de la remise de récépissés lors des contrôles d'identité est débattue depuis plusieurs années. Je laisserai le ministère de l'intérieur répondre sur la lourdeur d'un tel dispositif et sur la charge que cela ferait peser sur les équipes de terrain. J'ajouterai que pour lutter contre les contrôles « au faciès », il faudrait bénéficier de statistiques sur le sujet afin de déterminer qui s'est vu remettre un récépissé. Ces statistiques, par définition, auraient un caractère racial ou ethnique, ce qui n'est pas acceptable dans notre pays. Cette solution permettrait sans doute de résoudre le problème, mais elle créerait d'autres difficultés très importantes, tant du point de vue éthique que du point de vue opérationnel.
Dans certaines affaires ayant entraîné le décès d'une personne, les auteurs appréhendés ont déclaré dans leur déposition qu'ils avaient ciblé leur victime en raison de son origine, supposant qu'elle devait avoir de l'argent. Ne s'agit-il pas automatiquement d'une infraction raciste puisque des considérations de race ont entraîné la commission des faits ? Ce qui me pose problème, c'est que, dans certaines de ces affaires, la justice a refusé de retenir la circonstance aggravante du racisme au motif que le mobile était le vol de l'argent de la victime, et non sa race. Comment analysez-vous cela et surtout quel raisonnement conduit à cette prise de décision ? Quand le parquet prend la décision de poursuivre dans telle ou telle voie, y a-t-il un échange avec le policier qui a reçu le dépôt de plainte ou avec les avocats ?
Nous n'examinons pas en détail les dossiers au ministère de la justice. Toutefois, il existe des décisions de justice retenant le préjugé racial comme circonstance aggravante, quand bien même le mobile ne portait que sur l'appropriation de fonds.
D'un point de vue pratique, dans toutes les affaires, c'est l'autorité judiciaire qui dirige l'enquête. Il y a donc un échange entre l'enquêteur et le procureur de la République, ou entre l'enquêteur et le juge d'instruction. C'est souvent l'enquêteur qui, le premier, qualifie l'infraction au moment de l'interpellation et du placement en garde à vue. Il en rend compte ensuite au procureur de la République, et un échange s'engage entre eux sur les circonstances aggravantes de l'infraction.
Un procureur de la République qui considérerait que des faits de vol avec violence ont été commis à raison de l'ethnie de la victime, ou sont fondés sur un préjugé, par exemple sa richesse ou sa détention d'espèces, ne manquera pas de demander à l'enquêteur que cette circonstance aggravante lui soit supplétivement notifiée si ce dernier ne l'avait pas visée au moment du placement en garde à vue. À l'inverse, si le procureur est convaincu que cette circonstance n'existe pas, ou s'il estime que la juridiction pourrait l'écarter en raison d'un doute, il peut disqualifier les faits en ne retenant pas la circonstance aggravante initialement visée par l'enquêteur. C'est la pratique quotidienne et habituelle des échanges entre officiers de police judiciaire et directeur d'enquête.
La séance est levée à 10 heures 05.