Madame la rapporteure, vous m'interrogez sur la réforme de la loi du 29 juillet 1881, qui ne serait pas encore entrée dans les habitudes des magistrats ; cette question renvoie à la première question du président, relative à la formation et à l'information des acteurs de la chaîne pénale. Je pense, pour ma part, que cette réforme est entrée dans les habitudes des magistrats, en tout cas de ceux qui sont régulièrement confrontés à ce type de contentieux et aux spécificités de la loi du 29 juillet 1881.
Le ministère de la justice et la DACG, en particulier, font tout pour faciliter la tâche des magistrats. Un guide sur le droit de la presse a été mis en ligne, auquel ils peuvent se reporter lorsqu'ils sont confrontés à ce type d'infraction, pour éviter les éventuels écueils de la procédure. L'année dernière, nous avons par ailleurs réuni, en présence de l'ancienne garde des Sceaux, tous les magistrats référents chargés de la lutte contre les discriminations. Il y a désormais, dans chaque parquet, un magistrat désigné comme référent pour l'animation de la politique pénale et le traitement des affaires de racisme et de discrimination : il est l'interlocuteur régulier et naturel des services de police.
Je ne peux pas m'exprimer sur la formation initiale des policiers et des gendarmes, qui ne relève pas de la compétence du ministère de la justice, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'ils ont désormais, en la personne de ce magistrat référent, un interlocuteur dans les parquets. Ils le connaissent et savent qu'il faut se tourner vers lui dès qu'ils ont une procédure de ce type. Localement, les acteurs concernés sont réunis au sein du comité opérationnel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme (CORA), l'instance partenariale destinée aux échanges et au traitement des infractions de ce type. Il existe donc un maillage territorial, mais aussi des bonnes pratiques : je pense à certains stages de citoyenneté qui ont un volet relatif à la prévention des discriminations, mais aussi à des stages plus ciblés, comme la visite de sites historiques ou de mémoriaux. L'École nationale de la magistrature offre également, sur ces questions, une formation initiale et continue.
L'action du ministère de la justice dans le domaine de l'information est extrêmement forte. Ces six dernières années, huit circulaires et dépêches ont été adressées aux parquets et aux parquets généraux pour application, et aux collègues du siège pour information. Elles portaient tant sur la politique pénale, pour affirmer le caractère prioritaire de ce contentieux, que sur des éléments plus techniques et juridiques, pour apporter aux juridictions les outils permettant de sanctionner ce type d'infraction.
Monsieur le président, vous m'avez interrogé sur la précision des codes NATINF. La création de codes NATINF spécifiques ne serait pas conforme à notre doctrine d'emploi car l'infraction ou la circonstance visée ne majore pas ou ne modifie pas les peines encourues pour les infractions en question. L'assassinat étant déjà réprimé par la peine maximale, à savoir la réclusion criminelle à perpétuité, le fait qu'il soit commis avec telle ou telle circonstance n'est pas de nature à entraîner une majoration de la peine. Dès lors, faut-il créer une NATINF spécifique pour l'assassinat raciste ? Cela n'aurait d'intérêt qu'en matière statistique, intérêt d'ailleurs assez limité parce que nous ne sommes pas sûrs de l'appréhension qu'en auraient les juridictions. Le choix a été fait de ne créer de NATINF que lorsqu'il y a des conséquences juridiques, c'est-à-dire soit l'aggravation de la peine, soit la possibilité de prononcer des peines complémentaires.
Autre difficulté concernant les actes de violences : lorsque deux circonstances aggravantes existent, un seul et même code NATINF s'applique. Des violences commises en réunion avec un caractère raciste deviennent des violences aggravées par deux circonstances, et l'infraction y perd en visibilité. Il n'est pas question de modifier cette doctrine d'emploi puisque le changement n'aurait qu'une visée statistique, et non opérationnelle. Peut-être, d'un point de vue politique, que la statistique peut aussi avoir une vocation opérationnelle, en fournissant des outils adéquats à l'évaluation des politiques publiques.
S'agissant du contrôle d'identité, la formule « quel que soit son comportement » a été ajoutée en 1993 à la rédaction de 1986 dans le but de répondre à une difficulté : sans cette mention, il était difficile de justifier un contrôle d'identité effectué dans une zone déterminée et dans un contexte particulier, sans que la personne contrôlée ait une attitude justifiant ce contrôle. Or il faut permettre aux services de police de relever l'identité des personnes présentes dans une zone où des faits graves sont régulièrement commis, quand bien même elles n'auraient pas été vues en train de participer à la commission des faits. La formule « quel que soit leur comportement » a été inscrite dans le code de procédure pénale pour donner une base légale aux contrôles d'identité effectuée dans des zones particulières, elle n'a évidemment pas pour but de légitimer les « contrôles au faciès ».
Nous nous sommes en effet demandé s'il était utile de préciser que le contrôle ne devait pas être motivé par des considérations d'apparence physique, raciales, etc. Il s'agit d'une évidence, rappelée par les principes constitutionnels, la jurisprudence de la Cour de cassation et le code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale. Inscrire cela dans le code de procédure pénale serait superfétatoire et peut-être même contre-productif.
La Cour de cassation exige un regard particulièrement vif dans ce domaine de la part de l'autorité judiciaire, en particulier du procureur de la République : celui-ci, lorsqu'il autorise des contrôles d'identité, doit se faire remettre un rapport sur la façon dont ceux-ci ont été opérés. Le ministère de la justice préconise également de demander ce type de rapport lorsque les contrôles ont été réalisés hors réquisitions du procureur de la République.
La circonstance aggravante de l'article 132-76 du code pénal a été étendue par la loi du 27 janvier 2017. Elle s'applique désormais dès lors que le crime ou le délit est « est précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature qui soit portent atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime ou d'un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une prétendue race, une ethnie, une nation ou une religion déterminée […] ».
Nous sommes tout à fait d'accord sur l'interprétation de ce texte, qui ne réprime pas directement un mobile raciste, mais une atmosphère raciste entourant la commission des faits. Selon moi, le texte de l'article 132-76 n'a pas besoin d'être modifié. Toutefois, il est parfois difficile d'objectiver cette atmosphère raciste, surtout en l'absence d'écrits. Les injures raciales peuvent être contestées par leur auteur supposé. D'expérience, je peux vous dire qu'un auteur de violences reconnaîtra plus facilement les violences que les injures, alors même que les violences sont davantage réprimées.
Enfin, le pôle national de lutte contre la haine en ligne a été créé à droit constant au parquet de Paris par une circulaire du 24 novembre 2020 et commencera à fonctionner le 4 janvier 2021. Je peux vous indiquer, même si cela ne relève pas de la compétence de la direction des affaires criminelles et des grâces, que des effectifs ont été attribués à ce pôle pour le renforcer : des magistrats du siège, des magistrats du parquet, ainsi qu'une équipe dédiée composée d'un assistant spécialisé et de deux juristes assistants. Ce pôle aura vocation à traiter des affaires les plus complexes et les plus significatives du fait de la pluralité d'auteurs, de la pluralité de victimes ou du caractère national, voire international, des infractions qui sont commises.