Intervention de Vincent Le Beguec

Réunion du jeudi 17 décembre 2020 à 10h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Vincent Le Beguec, conseiller judiciaire du directeur général de la police nationale :

Nous disposons de plusieurs sources pour établir les statistiques concernant les actes de racisme et de discrimination. Le service central du renseignement territorial (SCRT) recense les actes à caractère raciste et antireligieux, sur la base d'une méthodologie mise au point avec le service de protection de la communauté juive, notamment les atteintes aux lieux de culte et aux cimetières, en distinguant les actions des menaces. En 2019, ces actes ont augmenté de 130 % par rapport à 2018, avec 1 142 faits recensés. Sur les dix premiers mois de 2020 – il faut sans doute y voir l'un des effets du confinement –, ils ont baissé de 31 %, avec 701 faits recensés.

La plateforme de signalement des contenus illicites sur internet (plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements – PHAROS) constitue une deuxième source d'informations statistiques. En 2020, plus de 260 000 contenus ont été signalés par les internautes, dont 8 % avaient une dimension raciste. Cette part évolue peu d'une année sur l'autre – elle était d'environ 7 % en 2019, de 8 % en 2018 et de 9 % en 2017. Ces signalements sont ensuite transmis pour exploitation aux services de police et aux unités de gendarmerie. PHAROS a une compétence en matière de blocage : elle a transmis cette année 730 contenus aux hébergeurs afin qu'ils procèdent à leur retrait.

La troisième source est institutionnelle : en 2019, le service statistique ministériel a établi que les services de police et de gendarmerie ont enregistré 5 730 infractions de nature criminelle ou délictuelle – en hausse de 10 % – et 5 100 infractions de nature contraventionnelle – en hausse de 30 % – commises à raison de l'origine, de l'ethnie, de la nation, d'une prétendue race ou de la religion. Il convient de rapporter ces chiffres aux 2,5 millions d'infractions enregistrées chaque année, et de souligner que 70 % de ces crimes et délits sont des injures, des provocations et de la diffamation publiques.

Néanmoins, l'enquête « Cadre de vie et sécurité » (CVS) montre clairement que l'activité d'enregistrement des plaintes ne reflète pas la réalité : seuls 20 % des actes racistes feraient l'objet d'une déclaration dans les services de police et de gendarmerie. Le phénomène est donc sous-estimé dans nos bases statistiques.

La plateforme de signalement de l'IGPN est une quatrième source d'information. Ce sont les citoyens victimes qui y signalent les comportements des policiers susceptibles de revêtir une qualification pénale. Sur les huit premiers mois de 2020, près de 3 000 signalements ont été recueillis, dont 133 alléguaient des propos discriminatoires et 47 des pratiques discriminatoires, notamment dans le cadre de contrôles d'identité.

S'agissant de la formation initiale et continue des policiers, les contenus en matière de lutte contre les discriminations sont très riches. À l'École nationale supérieure de la police (ENSP), qui forme les commissaires de police, la problématique est abordée sous l'angle de la déontologie et de l'éthique, notamment en ce qui concerne les formations spécifiques au dispositif d'accueil du public ou les cadres légaux en matière de contrôle d'identité. Le Défenseur des droits, la LICRA ou l'association Flag ! interviennent dans le cadre de conférences ; une journée spécifique de formation à la lutte contre les discriminations, comportant un déplacement à la Maison d'Izieu, est organisée en partenariat avec la LICRA.

Les officiers de police, qui participent eux aussi à cette journée, reçoivent une formation spécifique à la lutte contre les discriminations sous l'angle des relations de la police avec le public ainsi que sous celui des droits et des obligations des fonctionnaires de police. Un module de trois heures, co-animé par un psychologue de l'ENSP, aborde la problématique sous la forme d'études de cas et de questions sur la déontologie et l'éthique. Le Défenseur des droits intervient durant la scolarité des officiers. Les formations à la police judiciaire et aux libertés publiques abordent les questions liées aux discriminations et au racisme, tout comme le module consacré à la police administrative – plus particulièrement à la réglementation de la circulation des étrangers en France – ainsi que celui traitant de la gestion de l'accueil des victimes. La LICRA et l'association Flag ! proposent également une conférence de six heures sur la lutte contre les discriminations.

Dans la formation initiale des gardiens de la paix, qui dure désormais deux ans – huit mois en école, seize mois in situ, le thème des discriminations est transversal. Des psychologues interviennent dès le début de la scolarité pour mobiliser les élèves sur le savoir éthique et relationnel attendu des policiers. La question est également abordée dans les modules sur la relation police-population et le contrôle d'identité. Les critiques étant récurrentes, ce sont des points sur lesquels la police a fait des efforts en matière de formation. Le Défenseur des droits intervient également et des cours relatifs à la laïcité et aux religions sont dispensés durant la formation.

Pour ce qui est de la formation continue, les officiers et les commissaires de police bénéficient d'ateliers pluridisciplinaires ; avec les magistrats, notamment, ils peuvent aborder les problématiques d'éthique, de service public et de déontologie. Dans le cadre de l'avancement au grade de commandant, les capitaines de police suivent des formations spécifiques, dont un cours de trois heures sur la diversité, un stage d'enquête administrative et un stage d'enquête de procédure disciplinaire. L'IGPN, qui a une prérogative en matière d'enseignement des règles déontologiques, intervient dans ce cadre.

Les gardiens de la paix et les gradés bénéficient d'une formation de quatre jours à l'accueil du public, tout comme les référents accueil, dont le rôle est de conseiller le directeur départemental de la sécurité publique sur les problématiques d'accueil des personnes vulnérables, d'évaluer le dispositif mis en place dans les commissariats et de proposer, le cas échéant, des mesures correctives.

La lutte contre les discriminations est aussi abordée dans le cadre des formations dispensées à la police de sécurité du quotidien et dans toutes les formations qualifiantes aux fonctions d'OPJ et de brigadier de police.

Je souhaite appeler votre attention sur l'extension du champ de la plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes. Une expérimentation a été lancée il y a quelques années pour prendre en compte les actes de discrimination dans le dispositif de pré-plainte en ligne, mais l'évaluation conjointe des inspections générales de la police et de la gendarmerie a montré que le dispositif n'était pas adapté et l'outil difficilement utilisable par les citoyens victimes de discrimination. Il a donc été préconisé d'étendre le champ de la plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes. Celle-ci accueillera, dès 2021, les signalements d'actes de discrimination et de cyber-harcèlement. Trente policiers spécialement formés intégreront le dispositif, traiteront, par le biais de chats, les signalements des internautes et orienteront ces derniers, le cas échéant, vers un dépôt de plainte.

Je tiens aussi à souligner l'existence de plus de 600 référents racisme-antisémitisme-discriminations, répartis sur l'ensemble du territoire : leur rôle est de conseiller, dans les commissariats, les chefs de service ainsi que les agents chargés de l'accueil.

La direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale, en lien avec la LICRA, a publié le guide pratique de la lutte contre les discriminations, disponible sur les sites intranet de la police nationale ; un guide plus technique, de gestion des infractions liées au racisme, à l'antisémitisme et à la haine anti-LGBT est actuellement en cours de rédaction et sera prochainement disponible sur l'intranet.

Je conclurai mon intervention en rappelant que l'IGPN dispose, depuis 2017, d'une plateforme nommée « signal-discri », un dispositif d'alerte et d'écoute destiné à l'ensemble des agents de la police nationale témoins ou victimes d'actes de discrimination et de harcèlement. Sur les huit premiers mois de 2020, dix signalements ont été portés à la connaissance de l'inspection ; six ont été transmis aux directions d'emplois, qui doivent évaluer la suite à y donner. Les chiffres demeurent bas : l'IGPN n'est pas saisie de façon massive et c'est un bon signe.

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