Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du jeudi 17 décembre 2020 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • gendarmerie
  • infraction
  • racisme
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La réunion

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La mission d'information organise une table ronde réunissant M. le général de division Jean-Marc Cesari, adjoint au directeur des opérations et de l'emploi de la direction générale de gendarmerie nationale (DGGN) ; M. le contrôleur général Vincent Le Beguec, conseiller judiciaire du directeur général de la police nationale (DGPN) ; M. Christophe Peyrel, directeur des ressources humaines de la préfecture de police de Paris.

La séance est ouverte à 10 heures 50.

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Nous sommes très honorés de recevoir des représentants des forces de l'ordre en les personnes du général de division Jean-Marc Cesari, adjoint au directeur des opérations et de l'emploi de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), de M. le contrôleur général Vincent Le Beguec, conseiller judiciaire du directeur général de la police nationale (DGPN) et de M. Christophe Peyrel, directeur des ressources humaines de la préfecture de police de Paris.

Cette mission d'information a été créée en décembre 2019 mais nos auditions se sont intensifiées depuis quelques mois, concomitamment à une actualité qui ne précédait pas sa création – je pense aux différentes polémiques relatives à la police. Notre mission ne porte pas exclusivement sur la question des liens entre la police et la population, ni sur une forme d'exacerbation du racisme ou de racisme systémique que certains orateurs – que nous avons poliment écoutés – ont pu avoir la tentation de faire reposer sur les forces de l'ordre. Mais la police a un rôle structurant pour notre sujet car elle est chargée de l'accueil des victimes d'actes de racisme et de la répression de ce type d'infraction. Leur mission étant de faire appliquer la loi, elles ont de ce fait un devoir d'accompagnement et d'exemplarité.

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Comme l'a rappelé le président Reda, nous ne travaillons pas sur les faits divers récents. Dès le mois de juillet nous avions évoqué avec des universitaires, MM. Jobard et Roché, la façon dont la police pratique les contrôles d'identité. Du fait qu'ils se déroulent plutôt à tel endroit qu'à tel autre, ces contrôles peuvent légitimement donner l'impression à ceux qui y vivent de se sentir particulièrement visés, même si cela ne résulte pas d'une intention des policiers. Nous souhaitons examiner avec vous comment faire évoluer les modalités du contrôle d'identité, sans pour autant priver la police des moyens d'exercer sa mission.

Il sera également très enrichissant pour nous de revenir sur le rôle et l'évolution de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) et de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN).

La loi sanctionne le racisme, mais pour qu'il soit réprimé encore faut-il qu'une plainte soit déposée dans une gendarmerie ou un commissariat de police. Comme le racisme touche à l'intime, le dépôt de plainte appelle sans doute un traitement et un accompagnement particuliers.

Enfin, comme à chaque fois que nous rencontrons une administration, nous posons la question des ressources humaines, car nous avons à cœur que les administrations soient exemplaires sur le plan de la diversité. Comment se traduit le label « diversité » qu'a obtenu le ministère de l'intérieur et quelles sont les bonnes pratiques que vous avez pu mettre en œuvre et qui mériteraient d'être généralisées ?

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Général Jean-Marc Cesari, adjoint au directeur des opérations et de l'emploi de la direction générale de la gendarmerie nationale

Pour la seule zone gendarmerie, 2 981 infractions à caractère raciste ont été constatées sur les onze premiers mois de l'année, soit une hausse de 10 % par rapport à l'an dernier. Ces infractions sont en général des injures, proférées par un auteur connu de la victime dans le cadre d'un conflit entre les parties. Le phénomène demeure sous-évalué cependant, puisque dès lors que l'auteur des faits n'est pas identifié par la victime, le report des infractions est très faible. L'âge médian des auteurs est de 42 ans, ce qui est plutôt élevé.

Outre les constatations d'infractions pénales et les troubles à l'ordre public liés au racisme, on constate une résurgence de l'activité de l'ultra-droite, notamment depuis les attentats terroristes. Deux départements au moins ont été visés par une campagne d'apposition d'autocollants de Génération identitaire dénonçant l'immigration ou l'islamisation. Sur le même secteur, deux faits à l'encontre de la religion musulmane ont été commis consécutivement à l'attentat terroriste de Conflans-Sainte-Honorine. De nombreuses inscriptions antisémites nous sont régulièrement signalées sur une grande partie du territoire, y compris en outre-mer, par exemple en septembre 2020 sur une synagogue à Nouméa.

L'action de la gendarmerie se déploie entre la répression de ces infractions, l'appui aux enquêteurs et l'attention portée aux victimes. Elle a également une dimension de formation et de prévention. Elle s'appuie sur l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH), créé en 2013, qui s'était vu confier ab initio un mandat dans le domaine des infractions haineuses. L'ampleur de ce type de contentieux a conduit à créer en son sein, en août 2020, une division spécifique de lutte contre les crimes de haine, composée de gendarmes et de policiers, chargée de la coordination des enquêtes sur des infractions à caractère raciste, xénophobe, antireligieux ou commises à raison de l'orientation sexuelle. La gendarmerie est aussi impliquée dans la lutte contre la haine sur internet. L'OCLCH a d'ailleurs vocation à être l'un des interlocuteurs privilégiés du parquet spécialisé en cours de création.

L'Office central dispose de l'ensemble du réseau des enquêteurs de la gendarmerie, au sein duquel 260 spécialistes en nouvelles technologies sont chargés de la lutte contre la haine sur internet, eux-mêmes appuyés par un réseau de 4 700 correspondants. Au sein des sections de recherches, des groupes spécialisés dans la lutte contre la cybercriminalité travaillent également sur les problématiques de la haine en ligne.

L'Office central et la gendarmerie fournissent des outils spécifiques aux enquêteurs, tels que le guide « Sanctionner les discriminations et les infractions à caractère raciste, antireligieux et anti-LGBT », publié en 2017, enrichi et refondu cette année, et le guide méthodologique « Infractions haineuses », publié en 2020. Nous devrions pouvoir diffuser en fin d'année une infographie « Crimes et délits haineux » dans l'ensemble des unités de la gendarmerie et de la police. Le logiciel de rédaction des procédures de la gendarmerie a également été amélioré de sorte que l'enquêteur prenne en compte l'ensemble des dispositions du code de procédure pénale et que les droits de la victime soient garantis, sans méconnaissance de l'évolution des textes.

L'Office central travaille aussi directement à la formation des gendarmes. Il intervient dans diverses formations régionales organisées au profit des gendarmes, des policiers et des magistrats, sous l'égide de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH).

Enfin, l'office joue un rôle en matière d'évolution du droit, notamment au niveau international, puisqu'il est le point de contact français du groupe de haut niveau de l'Union européenne sur la lutte contre le racisme, la xénophobie et d'autres formes d'intolérance, où il siège depuis sa création en 2016 aux côtés de la DILCRAH et de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG).

En matière de prévention interne, nous disposons d'un réseau « égalité et diversité », composé d'un référent national, de 35 coordonnateurs au sein des formations administratives et de 248 référents de proximité. Son rôle consiste à assurer des actions de sensibilisation à destination des militaires, dans le cadre de la démarche de labellisation « égalité professionnelle entre les femmes et les hommes » et « diversité » que vous avez soulignée. Une plateforme « stop-discri », supervisée par l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), est également dédiée aux signalements de comportements discriminatoires.

Le réseau des référents de promotion de l'égalité et de la diversité a une vocation interne. Il s'adresse aux personnels à travers des opérations de communication et d'information, suit la mise en œuvre du plan d'action de la gendarmerie en faveur de l'égalité professionnelle, sensibilise à la lutte contre les stéréotypes et les discriminations, tout cela s'inscrivant dans une démarche de prévention des risques professionnels. Tous les référents sont formés et disposent d'une mallette pédagogique. Leur activité est en hausse sensible : alors qu'en 2018, le réseau avait effectué 465 actions de sensibilisation auprès de 9 340 personnels, au seul premier trimestre 2020, et en dépit des conditions contraignantes de la crise sanitaire, il en a déjà conduit 184 auprès de 5 000 personnels.

Pour son action extérieure, la gendarmerie s'appuie sur un réseau de référents territoriaux, « Racisme, antisémitisme et discrimination », qui repose sur des officiers adjoints chargés de la prévention, au nombre de 100, répartis dans les départements au niveau des groupements de gendarmerie. Les discriminations de tous ordres, en particulier celles liées au racisme, constituent un sujet prioritaire des nouvelles maisons de confiance et de protection des familles que la gendarmerie vient de créer et qui sont en cours de déploiement sur la base de l'organisation des brigades de prévention de la délinquance juvénile. L'idée, à terme, est de créer une maison de ce type pour chaque groupement de gendarmerie, dans chaque département.

Toutes ces formations et actions de prévention sont menées étroitement avec des partenaires, tels que la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) ou la DILCRAH. Actuellement, nous sommes engagés, avec l'IGGN et la Défenseure des droits, dans la construction d'un enseignement à distance sur la déontologie et la question des discriminations, qui aura vocation à être suivi de manière obligatoire par l'ensemble des élèves-gendarmes.

Tout ce que je viens de dire est repris dans un certain nombre de textes que je ne citerai pas, si ce n'est une note expresse réactualisée en 2016 relative à l'évaluation personnalisée et aux droits des victimes, qui intègre la vulnérabilité des personnes touchées par des atteintes discriminatoires et prévoit la possibilité d'un accompagnement, comme vous le suggériez dans vos questions.

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Vincent Le Beguec, conseiller judiciaire du directeur général de la police nationale

Nous disposons de plusieurs sources pour établir les statistiques concernant les actes de racisme et de discrimination. Le service central du renseignement territorial (SCRT) recense les actes à caractère raciste et antireligieux, sur la base d'une méthodologie mise au point avec le service de protection de la communauté juive, notamment les atteintes aux lieux de culte et aux cimetières, en distinguant les actions des menaces. En 2019, ces actes ont augmenté de 130 % par rapport à 2018, avec 1 142 faits recensés. Sur les dix premiers mois de 2020 – il faut sans doute y voir l'un des effets du confinement –, ils ont baissé de 31 %, avec 701 faits recensés.

La plateforme de signalement des contenus illicites sur internet (plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements – PHAROS) constitue une deuxième source d'informations statistiques. En 2020, plus de 260 000 contenus ont été signalés par les internautes, dont 8 % avaient une dimension raciste. Cette part évolue peu d'une année sur l'autre – elle était d'environ 7 % en 2019, de 8 % en 2018 et de 9 % en 2017. Ces signalements sont ensuite transmis pour exploitation aux services de police et aux unités de gendarmerie. PHAROS a une compétence en matière de blocage : elle a transmis cette année 730 contenus aux hébergeurs afin qu'ils procèdent à leur retrait.

La troisième source est institutionnelle : en 2019, le service statistique ministériel a établi que les services de police et de gendarmerie ont enregistré 5 730 infractions de nature criminelle ou délictuelle – en hausse de 10 % – et 5 100 infractions de nature contraventionnelle – en hausse de 30 % – commises à raison de l'origine, de l'ethnie, de la nation, d'une prétendue race ou de la religion. Il convient de rapporter ces chiffres aux 2,5 millions d'infractions enregistrées chaque année, et de souligner que 70 % de ces crimes et délits sont des injures, des provocations et de la diffamation publiques.

Néanmoins, l'enquête « Cadre de vie et sécurité » (CVS) montre clairement que l'activité d'enregistrement des plaintes ne reflète pas la réalité : seuls 20 % des actes racistes feraient l'objet d'une déclaration dans les services de police et de gendarmerie. Le phénomène est donc sous-estimé dans nos bases statistiques.

La plateforme de signalement de l'IGPN est une quatrième source d'information. Ce sont les citoyens victimes qui y signalent les comportements des policiers susceptibles de revêtir une qualification pénale. Sur les huit premiers mois de 2020, près de 3 000 signalements ont été recueillis, dont 133 alléguaient des propos discriminatoires et 47 des pratiques discriminatoires, notamment dans le cadre de contrôles d'identité.

S'agissant de la formation initiale et continue des policiers, les contenus en matière de lutte contre les discriminations sont très riches. À l'École nationale supérieure de la police (ENSP), qui forme les commissaires de police, la problématique est abordée sous l'angle de la déontologie et de l'éthique, notamment en ce qui concerne les formations spécifiques au dispositif d'accueil du public ou les cadres légaux en matière de contrôle d'identité. Le Défenseur des droits, la LICRA ou l'association Flag ! interviennent dans le cadre de conférences ; une journée spécifique de formation à la lutte contre les discriminations, comportant un déplacement à la Maison d'Izieu, est organisée en partenariat avec la LICRA.

Les officiers de police, qui participent eux aussi à cette journée, reçoivent une formation spécifique à la lutte contre les discriminations sous l'angle des relations de la police avec le public ainsi que sous celui des droits et des obligations des fonctionnaires de police. Un module de trois heures, co-animé par un psychologue de l'ENSP, aborde la problématique sous la forme d'études de cas et de questions sur la déontologie et l'éthique. Le Défenseur des droits intervient durant la scolarité des officiers. Les formations à la police judiciaire et aux libertés publiques abordent les questions liées aux discriminations et au racisme, tout comme le module consacré à la police administrative – plus particulièrement à la réglementation de la circulation des étrangers en France – ainsi que celui traitant de la gestion de l'accueil des victimes. La LICRA et l'association Flag ! proposent également une conférence de six heures sur la lutte contre les discriminations.

Dans la formation initiale des gardiens de la paix, qui dure désormais deux ans – huit mois en école, seize mois in situ, le thème des discriminations est transversal. Des psychologues interviennent dès le début de la scolarité pour mobiliser les élèves sur le savoir éthique et relationnel attendu des policiers. La question est également abordée dans les modules sur la relation police-population et le contrôle d'identité. Les critiques étant récurrentes, ce sont des points sur lesquels la police a fait des efforts en matière de formation. Le Défenseur des droits intervient également et des cours relatifs à la laïcité et aux religions sont dispensés durant la formation.

Pour ce qui est de la formation continue, les officiers et les commissaires de police bénéficient d'ateliers pluridisciplinaires ; avec les magistrats, notamment, ils peuvent aborder les problématiques d'éthique, de service public et de déontologie. Dans le cadre de l'avancement au grade de commandant, les capitaines de police suivent des formations spécifiques, dont un cours de trois heures sur la diversité, un stage d'enquête administrative et un stage d'enquête de procédure disciplinaire. L'IGPN, qui a une prérogative en matière d'enseignement des règles déontologiques, intervient dans ce cadre.

Les gardiens de la paix et les gradés bénéficient d'une formation de quatre jours à l'accueil du public, tout comme les référents accueil, dont le rôle est de conseiller le directeur départemental de la sécurité publique sur les problématiques d'accueil des personnes vulnérables, d'évaluer le dispositif mis en place dans les commissariats et de proposer, le cas échéant, des mesures correctives.

La lutte contre les discriminations est aussi abordée dans le cadre des formations dispensées à la police de sécurité du quotidien et dans toutes les formations qualifiantes aux fonctions d'OPJ et de brigadier de police.

Je souhaite appeler votre attention sur l'extension du champ de la plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes. Une expérimentation a été lancée il y a quelques années pour prendre en compte les actes de discrimination dans le dispositif de pré-plainte en ligne, mais l'évaluation conjointe des inspections générales de la police et de la gendarmerie a montré que le dispositif n'était pas adapté et l'outil difficilement utilisable par les citoyens victimes de discrimination. Il a donc été préconisé d'étendre le champ de la plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes. Celle-ci accueillera, dès 2021, les signalements d'actes de discrimination et de cyber-harcèlement. Trente policiers spécialement formés intégreront le dispositif, traiteront, par le biais de chats, les signalements des internautes et orienteront ces derniers, le cas échéant, vers un dépôt de plainte.

Je tiens aussi à souligner l'existence de plus de 600 référents racisme-antisémitisme-discriminations, répartis sur l'ensemble du territoire : leur rôle est de conseiller, dans les commissariats, les chefs de service ainsi que les agents chargés de l'accueil.

La direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale, en lien avec la LICRA, a publié le guide pratique de la lutte contre les discriminations, disponible sur les sites intranet de la police nationale ; un guide plus technique, de gestion des infractions liées au racisme, à l'antisémitisme et à la haine anti-LGBT est actuellement en cours de rédaction et sera prochainement disponible sur l'intranet.

Je conclurai mon intervention en rappelant que l'IGPN dispose, depuis 2017, d'une plateforme nommée « signal-discri », un dispositif d'alerte et d'écoute destiné à l'ensemble des agents de la police nationale témoins ou victimes d'actes de discrimination et de harcèlement. Sur les huit premiers mois de 2020, dix signalements ont été portés à la connaissance de l'inspection ; six ont été transmis aux directions d'emplois, qui doivent évaluer la suite à y donner. Les chiffres demeurent bas : l'IGPN n'est pas saisie de façon massive et c'est un bon signe.

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Christophe Peyrel, directeur des ressources humaines de la préfecture de police de Paris

La préfecture de police a pour ressort Paris et les trois départements de la petite couronne ; elle emploie 33 000 fonctionnaires, dont environ 27 000 personnels actifs et 6 000 personnels administratifs, techniques et scientifiques.

En 2019, 550 faits racistes et antireligieux ont été constatés ; une baisse substantielle s'observe en 2020, avec 330 faits. Ce sont les actes antisémites qui prédominent – 48 % –, suivis par les actes racistes – 42 % –, les actes islamophobes et antichrétiens représentant, chacun pour moitié, 10 % des faits. Les propos injurieux constituent 40 % des faits, les inscriptions et les tags 20 % ; les actions violentes n'en représentent que 10 %.

Dans 80 % des cas, ces faits donnent lieu à des plaintes et la moitié à une interpellation de l'auteur, grâce à l'action de la police, de la police judiciaire et de celle, moins visible mais tout aussi efficace, de la direction du renseignement, laquelle se focalise sur les actes de racisme au sein de réseaux.

Il convient de rappeler que la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi « Le Pors », qui précise les droits et obligations des fonctionnaires, interdit en son article 6 toute distinction entre les fonctionnaires à raison, notamment, de leur appartenance vraie ou supposée à une ethnie ou une race, de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur âge ou encore de leur apparence physique. L'article 25 énonce que le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité et qu'il est tenu à l'obligation de neutralité.

Ces devoirs figurent dans le code de déontologie de la police et de la gendarmerie, intégré au code de la sécurité intérieure. Il y est précisé que les policiers sont au service de la population, que lorsque la loi les autorise à procéder à un contrôle d'identité, ils ne doivent se fonder sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler – sauf s'ils disposent d'un signalement précis –, que le contrôle d'identité se déroule sans qu'il soit porté atteinte à la dignité de la personne qui en fait l'objet et que la palpation de sécurité ne revêt pas un caractère systématique. Tous les policiers et les gendarmes connaissent ce code, où il est aussi rappelé que toute personne appréhendée est placée sous la protection des policiers et qu'elle doit être traitée avec respect.

Cela donne lieu à des consignes internes, sous la forme d'instructions du préfet de police, relayées par les notes des chefs de service. En 2015, le préfet Cadot avait pris une instruction générale proscrivant le tutoiement à l'égard des personnes interpellées. J'ignore si cette instruction est bien mise en œuvre, mais elle est rappelée régulièrement par la hiérarchie.

Le cadre juridique existe donc, mais il doit être contrôlé. Ce contrôle doit être exercé par les supérieurs, a fortiori dans un corps aussi hiérarchisé que celui de la police. Or, lorsque des débordements ont lieu, on retrouve à chaque fois une carence managériale : les managers étaient en nombre insuffisant ; ils n'étaient pas ou peu présents auprès des hommes ; ils étaient inadaptés à la fonction ou insuffisamment sensibilisés à ces questions.

Il est important que la hiérarchie soit attentive aux circonstances, et avant tout à la composition des équipes, souvent à l'origine des problèmes éthiques qui peuvent se poser dans le cadre d'un contrôle. C'est un problème sensible à la préfecture de police de Paris, car la population des gardiens de la paix et des officiers est majoritairement constituée de jeunes, affectés en région parisienne à la sortie de l'école, qui attendent pendant cinq à huit ans, selon le concours, de rejoindre leur région d'origine. Cette jeunesse doit être encadrée et surveillée. Or 23 % des postes d'officier de police sont vacants à la préfecture de police, et le taux de gradés par rapport au nombre de gardiens de la paix est en dessous de la moyenne nationale. Ce sont des statistiques que nous rappelons régulièrement à la DGPN pour obtenir des effectifs supplémentaires. Au-delà des chiffres, ce déficit de l'encadrement a des conséquences dans les commissariats et sur la voie publique.

L'encadrement doit être aussi attentif à la sollicitation des équipes. On sait très bien que les effectifs sont plus fragiles après plusieurs nuits de violences urbaines, lorsque les horaires ont été décalés, qu'ils ont dû faire des heures supplémentaires, ont manqué de repos, ont été harcelés et en permanence sur le qui-vive.

J'ai présidé hier un conseil de discipline qui faisait comparaître deux policiers qui avaient émis des propos racistes à l'égard d'une personne alors que celle-ci, qui avait sauté dans la Seine pour échapper à la police et avait été sauvée de la noyade par celle-ci, était interpellée et conduite dans un fourgon. La scène a été filmée et l'IGPN saisie. Naturellement, je ne dis pas que cela excuse ou justifie le comportement des policiers, mais il était important d'évoquer le contexte, car ces effectifs avaient été mobilisés durant les cinq ou six nuits précédentes par un épisode de violences urbaines à Villeneuve-la Garenne. Ce sont des choses auxquelles l'encadrement doit être attentif.

La discipline concourt également à la prévention. La police nationale est probablement le corps de la fonction publique qui y est le plus soumis. Sur les 3 000 sanctions disciplinaires, en moyenne, qui sont prononcées par an dans la fonction publique, hors militaires, la moitié environ concerne des policiers. En tirer la conclusion que les policiers sont plus fautifs me semblerait un peu facile : je crois plutôt que l'encadrement, particulièrement fort dans la police, fait que tout comportement déviant est immédiatement rapporté et discipliné.

Tous les faits connus, attestés, qui font l'objet d'un rapport donnent lieu à une procédure disciplinaire. Celle-ci se conclut soit par des sanctions du premier groupe, infligées directement par la hiérarchie – avertissement, blâme, exclusion de trois jours –, soit par des sanctions supérieures – exclusion de service de quinze jours à deux ans, la sanction ultime étant la révocation.

Parmi les dossiers disciplinaires, peu concernent des faits de racisme. Nous avons eu des cas de « quenelles », qui ont été sanctionnés, des cas de racisme dans des groupes de discussion privée sur Snapchat ou de propos racistes, répétés ou ponctuels, à l'occasion d'une interpellation. Sur de tels faits, le conseil de discipline se prononce souvent à l'unanimité car même les représentants des personnels, qui défendent les agents, ne les acceptent pas – et ce parce qu'ils sont attentifs à l'image de l'institution.

M. Le Beguec a évoqué la formation initiale comme moyen de prévention ; je n'y reviens pas. Du point de vue de la formation continue, nous intervenons systématiquement à l'accueil de tout nouvel arrivant à la préfecture de police, ce qui concerne chaque année environ 1 000 gardiens de la paix, quelques centaines d'officiers et plusieurs dizaines de commissaires. Depuis 2006, une journée est systématiquement organisée au Mémorial de la Shoah, consistant dans le visionnage d'un film suivi d'un débat puis d'une visite commentée de la salle et de la crypte – 21 000 gardiens de la paix l'ont effectuée, et les commissaires et les officiers bénéficient de cette même sensibilisation depuis 2010. Depuis deux ans, tous les nouveaux arrivants à l'IGPN reçoivent un rappel déontologique.

Hormis les formations à la demande, la formation continue est systématique en deux occasions. D'une part, pour toute promotion de grade dans les vingt-trois corps de la police nationale. C'est particulièrement vrai pour le corps d'encadrement et d'application, celui des gardiens de la paix, s'agissant de la qualification d'officier de police judiciaire (OPJ). Ces formations comprennent un rappel déontologique, éthique et juridique. D'autre part, le label « diversité et égalité » oblige également à former régulièrement les agents. Depuis 2018 ou 2019, tous les gardiens de la paix sont formés en formation initiale à la lutte contre les discriminations, qu'il s'agisse d'égalité entre les hommes et les femmes ou de diversité. Depuis la labellisation, il y a deux ans, nous avons réussi à former à ces thématiques plus d'un tiers des effectifs de la préfecture de police (soit plus de 11 000 agents formés), dont 7 000 gardiens et 4 000 agents administratifs.

« signal-discri » est également un outil de détection. En 2020, sur les 175 signalements de personnels parvenus à l'IGPN, 50 concernaient la préfecture de police, avec une très faible proportion de signalement d'actes racistes – 2 % seulement. Ce sont les cas de harcèlement qui prédominent.

Des signaux faibles peuvent aussi être détectés par notre dispositif d'accompagnement. Comme dans toute la police nationale, nous avons un dispositif de soutien aux personnels particulièrement développé, avec de nombreuses assistantes sociales, un service de psychologues opérationnels, un réseau de médecine de prévention, un réseau de lutte contre les addictions, un autre contre les risques suicidaires. Il n'y a pas de lien avec le racisme, bien sûr, mais tous ces réseaux nous donnent une indication du bien-être et de l'état d'esprit des agents. Les problématiques de racisme au sein des services n'apparaissent quasiment jamais par ces réseaux.

Dans le discours ambiant que vous avez évoqué, monsieur le président, d'un racisme très présent en France, la police – et, par effet de nombre, la préfecture de police – est citée au premier rang, d'abord parce qu'elle représente l'autorité. La critique d'une police violente a longtemps été fondée sur des faits de racisme historiques – la rafle du Vél' d'Hiv' ou l'affaire de la station de métro Charonne (1962). Quand j'étais jeune, j'écoutais un groupe de hard rock, Trust, dont la chanson « Police milice » décrit une police raciste, composée d'apprentis fascistes. Aujourd'hui, le rap a pris la suite. Dans le mouvement des gilets jaunes on a eu également le même discours d'une police violente, alors qu'il est composé de personnes peu susceptibles d'être victimes de racisme. L'image très répandue d'une police violente s'explique aussi peut-être par le fait qu'elle incarne l'autorité de l'État et qu'il s'agit de l'un des derniers rares services publics d'autorité. Pourtant, la police est relativement diverse dans sa composition. Par le biais des adjoints de sécurité (ADS) ou des cadets, la police attire de très nombreuses populations, d'origines géographiques diverses.

Paradoxalement, les statistiques tendent à montrer que le racisme est peu élevé en France. Les faits de racisme représentent une infime minorité des faits de délinquance en général. Je vois plusieurs explications possibles à ce paradoxe. Il y a peut-être un aveuglement mutuel, et de la part des personnes qui dénoncent le racisme et de la part des forces de l'ordre. Il y a peut-être aussi un sentiment de honte de la part des victimes de racisme. De plus, ces faits sont souvent difficiles à caractériser : sans vidéo, il est très difficile de prouver que quelqu'un vous a traité de « sale Noir », « sale juif », « sale Arabe », de « sale Blanc » ou de « sale chrétien ». Peut-être aussi que le racisme est si fondamentalement inacceptable que même ses manifestations marginales sont dénoncées et amplifiées – ce qui est bon signe.

La police et la gendarmerie disposent donc d'un arsenal d'outils, dont les deux plus importants sont l'information et la sensibilisation. L'encadrement doit être très présent, très affûté sur ces questions, afin que la lutte soit permanente et que nous obtenions de bons résultats.

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Des brigades de gendarmerie interviennent auprès d'élèves de CM2, sur la base du volontariat des instituteurs, pour les former à un meilleur usage d'internet. Un « permis internet » étant délivré à l'issue de cette formation. Ne serait-il pas utile de le généraliser à l'ensemble des classes de CM2, puisqu'il s'agit aujourd'hui d'une démarche volontaire des professeurs ?

La carrière des policiers démarre toujours dans les lieux les plus difficiles. Les primes versées au titre des affectations dans ces endroits sont-elles suffisamment incitatives pour inverser la tendance ? Sont-elles censées, comme dans l'enseignement où l'on retrouve une problématique similaire, attirer des profils plus expérimentés dans les endroits où on a précisément besoin d'expérience ?

Certains interlocuteurs nous ont dit que les contrôles d'identité étaient très encadrés, chaque contrôle effectué sur réquisition du procureur faisant l'objet d'un rapport. Monsieur Le Beguec, pouvez-vous préciser le contenu de ces rapports ? Quel est le nombre de contrôles par an ? Où sont-ils effectués ?

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La protection fonctionnelle est-elle systématiquement accordée aux agents (comme dans le cadre de l'affaire dite « Michel Zecler »), quels que soient les faits dont ils sont accusés ?

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S'agissant des contrôles d'identité, peut-être pourrez-vous dire un mot des équipements qui sont prévus pour les forces de l'ordre, notamment les caméras-piéton, et ce que vous en attendez en termes de protection des agents eux-mêmes et des populations.

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Général Jean-Marc Cesari, adjoint au directeur des opérations et de l'emploi de la direction générale de la gendarmerie nationale

Le permis internet, qui s'adresse à des classes primaires, a pu être mis en œuvre par le réseau de la gendarmerie spécialisé dans les nouvelles technologies, par le biais des quelque 4 000 correspondants dans les brigades territoriales. Ce dispositif intéressant a été conçu dans un souci de protection des mineurs sur internet, afin de leur éviter de se mettre en danger. Il comporte aussi un aspect de responsabilisation avec un prolongement sur la haine en ligne. En cela, il est particulièrement utile, car on s'adresse là à un public qui commence à utiliser internet et qui est très tôt inscrit sur des réseaux sociaux. Policiers et gendarmes ont fait beaucoup d'efforts pour être présents dans la surveillance d'internet et la répression des infractions qui y sont commises en matière de contenus haineux. Ce type de prévention dès le plus jeune âge est une action positive que nous poursuivrons.

Quant aux caméras-piéton, elles existent en gendarmerie et ont vocation à être multipliées. Dans le cadre d'un nouveau marché, 12 500 caméras seront acquises pour équiper les patrouilles de gendarmerie. À terme, l'idée serait d'en faire un outil du « pack » dont chaque gendarme est doté. Au-delà même de la question du racisme et des discriminations, ces caméras sont un outil d'apaisement dans les contacts avec certaines personnes, et sont également utile pour rétablir des éléments de vérité sur un contexte ou des propos tenus de part et d'autre. Nous sommes engagés en faveur de leur généralisation.

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Vincent Le Beguec, conseiller judiciaire du directeur général de la police nationale

Les policiers formateurs anti-drogue interviennent aussi dans les établissements scolaires pour enseigner les dangers de l'internet.

Il y a deux catégories de contrôles d'identité : les uns relèvent de l'initiative du policier sur le fondement de l'article 78-2 du code de procédure pénale – dès lors qu'existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'une personne a commis ou tenté de commettre une infraction, ou s'y prépare. Les autres sont effectués sur réquisition du parquet, de manière délimitée dans l'espace et dans le temps ; ils font systématiquement l'objet de comptes rendus au procureur de la République par le biais de télégrammes mentionnant le nombre des personnes contrôlées, celui des infractions relevées et celui des personnes interpellées ou placées en garde à vue. La procédure est bien normée et respectée, et la Chancellerie est très attentive à contrôler les réquisitions que chaque parquet donne aux services de police.

Nous sommes également engagés dans l'acquisition de caméras-piéton, qui nous semblent avoir une vertu d'apaisement – se savoir filmé a pour effet de relâcher les tensions. Elles sont également un moyen de contrôle a posteriori des situations, pour révéler la réalité de ce qui s'est passé.

Quant à la protection fonctionnelle, elle n'est pas automatique. C'est une faculté laissée à l'appréciation de l'autorité hiérarchique, qui l'accorde ou pas après instruction du dossier par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ). Je vous préciserai qui, du ministre ou du DGPN, accorde cette protection.

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Christophe Peyrel, directeur des ressources humaines de la préfecture de police de Paris

S'agissant des incitations à exercer en zone difficile, un policier qui reste dix ans en Île-de-France perçoit une prime de fidélisation de 9 000 euros versée en trois fois – la troisième année, la sixième et la dernière. Viendra s'y ajouter une prime de fidélisation spécifique à la Seine-Saint-Denis que le Gouvernement a récemment créée, à la suite d'ailleurs, d'une recommandation de l'Assemblée nationale, dans le cadre du plan d'aide en faveur de ce département. D'un montant de 10 000 euros, elle sera versée à tout agent public (policier, enseignant etc.).

Je ne sais pas si ce dispositif atteindra son objectif d'attractivité, sachant que les freins à l'exercice de la profession en Seine-Saint-Denis, comme dans d'autres départements difficiles de la petite couronne, sont liés de manière assez prégnante au logement et aux conditions de travail. Il n'est pas certain qu'une prime de 10 000 euros permette de compenser le coût de la vie en Île-de-France. En revanche, elle aura un effet très favorable sur la fidélisation des agents. Attirer des personnes en provenance d'autres départements serait certes une bonne chose, mais il est peut-être plus important encore de parvenir à fidéliser les personnels de manière à avoir des agents expérimentés dans ces départements.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie de vos propos très complets, qui apportent une contribution précieuse à notre réflexion.

La séance est levée à 12 heures 05.