Intervention de Christophe Peyrel

Réunion du jeudi 17 décembre 2020 à 10h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Christophe Peyrel, directeur des ressources humaines de la préfecture de police de Paris :

La préfecture de police a pour ressort Paris et les trois départements de la petite couronne ; elle emploie 33 000 fonctionnaires, dont environ 27 000 personnels actifs et 6 000 personnels administratifs, techniques et scientifiques.

En 2019, 550 faits racistes et antireligieux ont été constatés ; une baisse substantielle s'observe en 2020, avec 330 faits. Ce sont les actes antisémites qui prédominent – 48 % –, suivis par les actes racistes – 42 % –, les actes islamophobes et antichrétiens représentant, chacun pour moitié, 10 % des faits. Les propos injurieux constituent 40 % des faits, les inscriptions et les tags 20 % ; les actions violentes n'en représentent que 10 %.

Dans 80 % des cas, ces faits donnent lieu à des plaintes et la moitié à une interpellation de l'auteur, grâce à l'action de la police, de la police judiciaire et de celle, moins visible mais tout aussi efficace, de la direction du renseignement, laquelle se focalise sur les actes de racisme au sein de réseaux.

Il convient de rappeler que la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi « Le Pors », qui précise les droits et obligations des fonctionnaires, interdit en son article 6 toute distinction entre les fonctionnaires à raison, notamment, de leur appartenance vraie ou supposée à une ethnie ou une race, de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur âge ou encore de leur apparence physique. L'article 25 énonce que le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité et qu'il est tenu à l'obligation de neutralité.

Ces devoirs figurent dans le code de déontologie de la police et de la gendarmerie, intégré au code de la sécurité intérieure. Il y est précisé que les policiers sont au service de la population, que lorsque la loi les autorise à procéder à un contrôle d'identité, ils ne doivent se fonder sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler – sauf s'ils disposent d'un signalement précis –, que le contrôle d'identité se déroule sans qu'il soit porté atteinte à la dignité de la personne qui en fait l'objet et que la palpation de sécurité ne revêt pas un caractère systématique. Tous les policiers et les gendarmes connaissent ce code, où il est aussi rappelé que toute personne appréhendée est placée sous la protection des policiers et qu'elle doit être traitée avec respect.

Cela donne lieu à des consignes internes, sous la forme d'instructions du préfet de police, relayées par les notes des chefs de service. En 2015, le préfet Cadot avait pris une instruction générale proscrivant le tutoiement à l'égard des personnes interpellées. J'ignore si cette instruction est bien mise en œuvre, mais elle est rappelée régulièrement par la hiérarchie.

Le cadre juridique existe donc, mais il doit être contrôlé. Ce contrôle doit être exercé par les supérieurs, a fortiori dans un corps aussi hiérarchisé que celui de la police. Or, lorsque des débordements ont lieu, on retrouve à chaque fois une carence managériale : les managers étaient en nombre insuffisant ; ils n'étaient pas ou peu présents auprès des hommes ; ils étaient inadaptés à la fonction ou insuffisamment sensibilisés à ces questions.

Il est important que la hiérarchie soit attentive aux circonstances, et avant tout à la composition des équipes, souvent à l'origine des problèmes éthiques qui peuvent se poser dans le cadre d'un contrôle. C'est un problème sensible à la préfecture de police de Paris, car la population des gardiens de la paix et des officiers est majoritairement constituée de jeunes, affectés en région parisienne à la sortie de l'école, qui attendent pendant cinq à huit ans, selon le concours, de rejoindre leur région d'origine. Cette jeunesse doit être encadrée et surveillée. Or 23 % des postes d'officier de police sont vacants à la préfecture de police, et le taux de gradés par rapport au nombre de gardiens de la paix est en dessous de la moyenne nationale. Ce sont des statistiques que nous rappelons régulièrement à la DGPN pour obtenir des effectifs supplémentaires. Au-delà des chiffres, ce déficit de l'encadrement a des conséquences dans les commissariats et sur la voie publique.

L'encadrement doit être aussi attentif à la sollicitation des équipes. On sait très bien que les effectifs sont plus fragiles après plusieurs nuits de violences urbaines, lorsque les horaires ont été décalés, qu'ils ont dû faire des heures supplémentaires, ont manqué de repos, ont été harcelés et en permanence sur le qui-vive.

J'ai présidé hier un conseil de discipline qui faisait comparaître deux policiers qui avaient émis des propos racistes à l'égard d'une personne alors que celle-ci, qui avait sauté dans la Seine pour échapper à la police et avait été sauvée de la noyade par celle-ci, était interpellée et conduite dans un fourgon. La scène a été filmée et l'IGPN saisie. Naturellement, je ne dis pas que cela excuse ou justifie le comportement des policiers, mais il était important d'évoquer le contexte, car ces effectifs avaient été mobilisés durant les cinq ou six nuits précédentes par un épisode de violences urbaines à Villeneuve-la Garenne. Ce sont des choses auxquelles l'encadrement doit être attentif.

La discipline concourt également à la prévention. La police nationale est probablement le corps de la fonction publique qui y est le plus soumis. Sur les 3 000 sanctions disciplinaires, en moyenne, qui sont prononcées par an dans la fonction publique, hors militaires, la moitié environ concerne des policiers. En tirer la conclusion que les policiers sont plus fautifs me semblerait un peu facile : je crois plutôt que l'encadrement, particulièrement fort dans la police, fait que tout comportement déviant est immédiatement rapporté et discipliné.

Tous les faits connus, attestés, qui font l'objet d'un rapport donnent lieu à une procédure disciplinaire. Celle-ci se conclut soit par des sanctions du premier groupe, infligées directement par la hiérarchie – avertissement, blâme, exclusion de trois jours –, soit par des sanctions supérieures – exclusion de service de quinze jours à deux ans, la sanction ultime étant la révocation.

Parmi les dossiers disciplinaires, peu concernent des faits de racisme. Nous avons eu des cas de « quenelles », qui ont été sanctionnés, des cas de racisme dans des groupes de discussion privée sur Snapchat ou de propos racistes, répétés ou ponctuels, à l'occasion d'une interpellation. Sur de tels faits, le conseil de discipline se prononce souvent à l'unanimité car même les représentants des personnels, qui défendent les agents, ne les acceptent pas – et ce parce qu'ils sont attentifs à l'image de l'institution.

M. Le Beguec a évoqué la formation initiale comme moyen de prévention ; je n'y reviens pas. Du point de vue de la formation continue, nous intervenons systématiquement à l'accueil de tout nouvel arrivant à la préfecture de police, ce qui concerne chaque année environ 1 000 gardiens de la paix, quelques centaines d'officiers et plusieurs dizaines de commissaires. Depuis 2006, une journée est systématiquement organisée au Mémorial de la Shoah, consistant dans le visionnage d'un film suivi d'un débat puis d'une visite commentée de la salle et de la crypte – 21 000 gardiens de la paix l'ont effectuée, et les commissaires et les officiers bénéficient de cette même sensibilisation depuis 2010. Depuis deux ans, tous les nouveaux arrivants à l'IGPN reçoivent un rappel déontologique.

Hormis les formations à la demande, la formation continue est systématique en deux occasions. D'une part, pour toute promotion de grade dans les vingt-trois corps de la police nationale. C'est particulièrement vrai pour le corps d'encadrement et d'application, celui des gardiens de la paix, s'agissant de la qualification d'officier de police judiciaire (OPJ). Ces formations comprennent un rappel déontologique, éthique et juridique. D'autre part, le label « diversité et égalité » oblige également à former régulièrement les agents. Depuis 2018 ou 2019, tous les gardiens de la paix sont formés en formation initiale à la lutte contre les discriminations, qu'il s'agisse d'égalité entre les hommes et les femmes ou de diversité. Depuis la labellisation, il y a deux ans, nous avons réussi à former à ces thématiques plus d'un tiers des effectifs de la préfecture de police (soit plus de 11 000 agents formés), dont 7 000 gardiens et 4 000 agents administratifs.

« signal-discri » est également un outil de détection. En 2020, sur les 175 signalements de personnels parvenus à l'IGPN, 50 concernaient la préfecture de police, avec une très faible proportion de signalement d'actes racistes – 2 % seulement. Ce sont les cas de harcèlement qui prédominent.

Des signaux faibles peuvent aussi être détectés par notre dispositif d'accompagnement. Comme dans toute la police nationale, nous avons un dispositif de soutien aux personnels particulièrement développé, avec de nombreuses assistantes sociales, un service de psychologues opérationnels, un réseau de médecine de prévention, un réseau de lutte contre les addictions, un autre contre les risques suicidaires. Il n'y a pas de lien avec le racisme, bien sûr, mais tous ces réseaux nous donnent une indication du bien-être et de l'état d'esprit des agents. Les problématiques de racisme au sein des services n'apparaissent quasiment jamais par ces réseaux.

Dans le discours ambiant que vous avez évoqué, monsieur le président, d'un racisme très présent en France, la police – et, par effet de nombre, la préfecture de police – est citée au premier rang, d'abord parce qu'elle représente l'autorité. La critique d'une police violente a longtemps été fondée sur des faits de racisme historiques – la rafle du Vél' d'Hiv' ou l'affaire de la station de métro Charonne (1962). Quand j'étais jeune, j'écoutais un groupe de hard rock, Trust, dont la chanson « Police milice » décrit une police raciste, composée d'apprentis fascistes. Aujourd'hui, le rap a pris la suite. Dans le mouvement des gilets jaunes on a eu également le même discours d'une police violente, alors qu'il est composé de personnes peu susceptibles d'être victimes de racisme. L'image très répandue d'une police violente s'explique aussi peut-être par le fait qu'elle incarne l'autorité de l'État et qu'il s'agit de l'un des derniers rares services publics d'autorité. Pourtant, la police est relativement diverse dans sa composition. Par le biais des adjoints de sécurité (ADS) ou des cadets, la police attire de très nombreuses populations, d'origines géographiques diverses.

Paradoxalement, les statistiques tendent à montrer que le racisme est peu élevé en France. Les faits de racisme représentent une infime minorité des faits de délinquance en général. Je vois plusieurs explications possibles à ce paradoxe. Il y a peut-être un aveuglement mutuel, et de la part des personnes qui dénoncent le racisme et de la part des forces de l'ordre. Il y a peut-être aussi un sentiment de honte de la part des victimes de racisme. De plus, ces faits sont souvent difficiles à caractériser : sans vidéo, il est très difficile de prouver que quelqu'un vous a traité de « sale Noir », « sale juif », « sale Arabe », de « sale Blanc » ou de « sale chrétien ». Peut-être aussi que le racisme est si fondamentalement inacceptable que même ses manifestations marginales sont dénoncées et amplifiées – ce qui est bon signe.

La police et la gendarmerie disposent donc d'un arsenal d'outils, dont les deux plus importants sont l'information et la sensibilisation. L'encadrement doit être très présent, très affûté sur ces questions, afin que la lutte soit permanente et que nous obtenions de bons résultats.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.