Intervention de Driss Ettazaoui

Réunion du jeudi 17 décembre 2020 à 14h30
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Driss Ettazaoui, vice-président de l'association des maires Ville et banlieue de France et vice-président chargé de la politique de la ville de la communauté d'agglomération d'Évreux :

. L'association des maires Ville et banlieue de France et les élus qui la composent sont heureux d'apporter leur pierre à vos travaux, qui portent sur un enjeu majeur au moment où notre société est traversée de plusieurs crises et fractures expliquant pour partie l'accentuation des discriminations. Comme Thomas Kirszbaum, nous ne confondons pas discrimination et racisme, mais les deux font obstacle à l'égalité de l'accès aux droits pour tous et partout. Nous souhaitons faire avec vous le constat des fractures à l'origine des inégalités territoriales liées aux aspects culturels ou cultuels mais également identitaires.

Notre pays est traversé par trois crises, trois fractures profondes génératrices de discriminations et de racisme.

Premièrement, nous avons connu, il y a quelque temps, la « révolte » des gilets jaunes. Une partie de nos concitoyens, se sentant lésés, incompris, insuffisamment écoutés, trop taxés, ont pris d'assaut les rues et les ronds-points pour affirmer leur volonté de participer à la décision publique et leur demande d'une démocratie plus participative. Nous avons alors vu apparaître deux France : une France des ronds-points et une France des quartiers populaires, la France des quartiers de la politique de la ville reprochant à l'autre d'être insuffisamment présente à ses côtés. Nous avons vu la dichotomie entre deux France populaires qui ne se côtoient pas et pour lesquelles des centaines de milliers de nos concitoyens se sont mobilisés. Une France ne comprenait pas pourquoi la France des quartiers populaires et de la politique de la ville ne se joignait pas à elle pour soutenir ses doléances. C'est une première fracture que personne n'avait vu venir. Au sein de l'association, nous pensons qu'elle n'est pas tout à fait réduite. Nous en sentons toujours couver le feu et il convient d'y être attentif.

La deuxième fracture, qui ne date pas de cette mandature, est la fracture sociale, en laquelle Jacques Chirac, en son temps, voyait pointer une quête de sens, une recherche d'identité dans nos quartiers populaires. En accentuation, elle atteint nos quartiers populaires, où nous, élus locaux, constatons qu'une partie de nos concitoyens ne se sentent pas pleinement français et citoyens. En marge de la société, il leur est difficile de faire corps avec la République et la nation France. Cette difficulté est à l'origine des émeutes de 2005 qui se sont emparées de quartiers prioritaires. Pour certains de nos concitoyens domiciliés dans les quartiers de la politique de la ville, en particulier ceux des minorités, le sentiment d'appartenance n'est pas aussi fort que nous le souhaiterions. Cela est dû non seulement aux discriminations, mais aussi au manque de considération. C'est pourquoi les élus de nos associations jugent l'expression « territoires perdus de la République », inopportune, car ils sont plutôt pour eux des territoires gagnants. L'avenir passe par les 20 % de la jeunesse de France vivant dans les 1 514 quartiers prioritaires. La solidarité y est forte : quand on a peu, on est plus enclin à partager. C'est encore plus vrai dans les périodes de confinement où les comportements de solidarité battent leur plein. La dynamique économique est forte car, face au racisme et aux discriminations à l'emploi, beaucoup cherchent à créer leur propre activité pour devenir leur propre patron.

La troisième fracture, en sensible aggravation, ces derniers mois, est liée à la liberté d'expression, à l'exercice du culte et à la laïcité. Elle oppose, là encore, deux France, sur des sujets aussi sensibles que clivants. Le droit à la complexité et à la nuance est mis à mal sur des sujets provoquant des vagues d'émotion, comme les attentats qui ont meurtri la nation. Nous assistons à des débats passionnés et crispants entre une partie de nos concitoyens qui s'interrogent sur la place de l'islam dans la République et une autre, en majorité de confession musulmane, qui n'aspire qu'à la normalité et à la banalisation. Nos concitoyens sont sommés de se prononcer pour ou contre les rayons halal, pour ou contre la langue arabe, pour ou contre Charlie. Le Président de la République l'a justement dit dans son discours sur le séparatisme, aux Mureaux, dans une société devenue binaire et manichéenne, prospèrent des groupes, pas seulement d'identitaires. Une petite partie de la classe politique et certains médias, attisent des polémiques qui, loin de contribuer à la réconciliation nationale, jettent de l'huile sur le feu et entretiennent une fracture dangereuse. Il en résulte de la discrimination et du racisme, non plus à l'encontre de personnes de type maghrébin, même si certains cherchent à entretenir la confusion, visant à considérer le musulman comme une menace potentielle. Le « musulman lambda » a le sentiment d'être considéré avec défiance par la République, tandis que la majorité de nos concitoyens expriment des craintes légitimes au regard du fait religieux.

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