Intervention de Inès Seddiki

Réunion du jeudi 17 décembre 2020 à 14h30
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Inès Seddiki, présidente et fondatrice de l'association GHETT'UP :

. L'association GHETT-UP, basée en Seine-Saint-Denis, s'intéresse aux jeunes des quartiers populaires au niveau national et européen et vise à les aider à trouver leur place dans la société. Nous les accompagnons au quotidien dans les domaines de la réussite scolaire, de l'insertion professionnelle et du sentiment de légitimité. Héritière d'une histoire, cette jeunesse a toute sa place dans notre société. Elle peut avoir de l'ambition et s'y engager. Nous considérons le levier de l'engagement comme un vecteur de réussite et de solution. Les jeunes des quartiers populaires peuvent aussi changer les choses non seulement dans les domaines qui les concernent mais plus largement sur l'environnement, le handicap, et prendre ainsi leur place dans la société.

Les quartiers populaires, qui regroupent près de 5 millions de personnes, soit un peu moins de 10 % de la population française, cumulent des inégalités. Au-delà de la jeunesse, nous cherchons à améliorer globalement ces situations. L'origine ethnique est la deuxième cause de discrimination, juste après le handicap. La discrimination est au cœur de l'action des acteurs des quartiers populaires. S'agissant de l'évolution du racisme et des discriminations, je distinguerai trois niveaux.

Premièrement, je rappellerai la rupture d'égalité existant sur le territoire français. Les quartiers populaires sont sous-dotés en matière de services publics et, compte tenu du nombre de fonctionnaires, ne bénéficient pas des mêmes chances en matière de justice et d'éducation. Les établissements sont sous-dotés. Je ne rappellerai pas les chiffres de la Seine-Seine-Denis, vous avez lu le rapport d'évaluation de François Cornut-Gentille et Rodrigue Kokuendo. À cela s'ajoutent des problèmes de transport, d'infrastructures, de mixité. Le cadre représente déjà pour nous une forme de discrimination.

Le deuxième niveau est celui des comportements individuels racistes ou discriminants, lesquels sont en augmentation. M. Kirszbaum a évoqué le logement social. Si l'accès au logement et à l'emploi se heurte à de graves difficultés structurelles et institutionnelles, nombre de comportements individuels sont discriminants et affectent les trajectoires. Je rappelle que selon une étude de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), 50 % des personnes noires déclarent avoir subi des discriminations au travail, et elles ont 32 % de chances en moins de trouver un logement, en grande partie à cause d'interactions entre individus. Des études de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF) montrent que des situations identiques sont vécues lors des études supérieures.

Le troisième niveau de discrimination est un glissement vers le harcèlement, du fait de l'omniprésence des débats, de la stigmatisation visible dans le paysage médiatique, les débats à l'Assemblée nationale ou ailleurs, des prises de position de certains membres du Gouvernement ou d'élus et des deux derniers projets de loi visant une partie de la population française concentrée dans les quartiers populaires. Même si le projet de loi confortant le respect des principes de la République ne cible pas la communauté musulmane ou perçue comme telle, il a donné lieu à des débats virulents, stigmatisants, répétitifs, oppressants, visant, au long de la journée, pendant des semaines et des mois, une partie de la population, et n'est pas sans conséquences sur la vie des gens au quotidien. La défiance à l'égard de la population musulmane représente une forme de discrimination et de racisme. De même, le projet de loi « sécurité globale » vise encore, sinon dans les textes, du moins dans les prises de position, une certaine partie de la population. Je pense à une vidéo dans laquelle le ministre de l'intérieur cible directement la jeunesse des quartiers populaires en arguant que cette loi donnera plus de pouvoir à la police municipale pour opérer des contrôles routiers parmi les jeunes des quartiers populaires. Et je ne rappellerai pas les éléments chiffrés sur les contrôles policiers ni les discussions sur les violences policières exercées à l'encontre d'une partie de la population, sur lesquelles le Président de la République a d'ailleurs réagi.

Il se crée ainsi un cercle vicieux. Une partie de la population se sent stigmatisée par un jugement permanent qui fait la « une » sans qu'elle puisse prendre part au débat, ce qui entraîne une augmentation constante du nombre des actes racistes. Selon la CNCDH, en 2018 et 2019, les actes racistes antimusulmans ont augmenté deux fois plus vite que les actes antisémites. Cela influe sur les comportements individuels et le ressenti de cette population vis-à-vis du reste de la société.

En outre, ces discriminations portent atteinte à l'accès au travail, à l'emploi et à la santé, donc à l'espérance de vie. Des études de l'institut national d'études démographiques (INED) établissent une relation entre les discriminations, l'espérance de vie et la santé mentale. C'est pourquoi j'ai parlé de harcèlement. C'est bien un cercle vicieux. Comme le disait M. Kirszbaum, le séparatisme procède moins de la volonté de séparer que d'une volonté d'exclure face au sentiment de marginalisation et de rejet. C'est le cas non seulement pour le logement et l'emploi, mais aussi pour les établissements privés. Le séparatisme scolaire existe dans les quartiers riches où des écoles privées aux méthodologies intéressantes excluent de fait une partie de la population.

Face à ces pratiques et à ces débats, la volonté d'engagement et l'indignation de ces populations sont fortes. Ne nous y trompons pas, la mobilisation de la jeunesse contre les violences policières, depuis cet été, ne doit pas être entendue comme une volonté de séparatisme mais comme une volonté de faire corps. C'est pourquoi notre association a répondu au besoin de mobilisation des jeunes contre le projet de loi de « sécurité globale » et à leur envie de prendre part au processus démocratique, de faire entendre leur voix et d'exprimer une inquiétude. Ces revendications ne visent pas à la séparation mais à faire partie de la société et à y prendre place.

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