Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du mardi 12 janvier 2021 à 17h15
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice :

Les mots que vous avez eus à mon endroit sont gratifiants, mais aussi désarçonnants, car vous avez déjà tout dit, en présentant notre arsenal législatif et les progrès que nous devons accomplir. Votre mission d'information porte sur les nouvelles formes de racisme. Je pense que la société fait évoluer la loi, plutôt que l'inverse. Ainsi avons-nous dû prendre en compte la haine en ligne, qui est une façon relativement nouvelle d'exprimer une haine à coloration antisémite et raciste. Les Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM) ne sont pas responsables du contenu de ce qu'ils diffusent, en application de la directive e-commerce de 2004, date à laquelle il n'y avait pas de réseaux sociaux. Pour tenir compte des évolutions récentes, nous allons, ensemble, enrichir notre législation grâce au projet de loi qui sera bientôt soumis à votre examen.

Vous connaissez la formule de M. Casamayor, fondateur du Syndicat de la magistrature : « La justice est une erreur millénaire qui veut que l'on ait attribué à une administration le nom d'une vertu. » Les uns considèrent que la justice fonctionne merveilleusement bien, les autres insistent sur ses dysfonctionnements. Je suis satisfait de l'arsenal qui est à notre disposition pour réprimer les actes racistes et les discriminations.

S'agissant de la justice rendue aux victimes, on se heurte à l'exigence – au demeurant nécessaire – de la preuve du caractère raciste d'un agissement. Rien n'est plus compliqué que de mettre en lumière un mobile. Des chiffres récents montrent que le nombre de condamnations pour ce motif a diminué, alors que, me semble-t-il, il n'y a pas moins de propos ou d'actes racistes. Aucun garde des Sceaux ne pourra pallier la difficulté liée à la preuve. Il est tout aussi compliqué d'apporter la preuve que l'on n'est pas raciste. La Cour de cassation examine actuellement un certain nombre de dossiers très importants, dans lesquels le mobile raciste et antisémite est invoqué. Sur le plan de la législation, la France est en avance sur de nombreux pays, parfois même des États voisins, mais un certain nombre de choses doivent être améliorées.

Je voudrais concentrer mon propos sur la haine en ligne, qui est réprimée notamment par l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881. Ce texte est considéré par l'ensemble des journalistes comme totémique : on ne peut pas y toucher. J'en ai parlé avec à peu près tout le monde : journalistes, patrons de presse, avocats spécialisés en matière de presse, syndicats. J'ai compris qu'on ne pouvait pas discuter de sa modification. La loi de 1881 réprime la haine en ligne à coloration raciste, sexiste, homophobe. Or – c'est l'évidence et c'est une injustice – les haineux du quotidien se lovent dans ce texte, qui était réservé à l'origine aux gens de presse. Les délais de la loi de 1881 sont destinés à prémunir le journaliste contre une réaction judiciaire trop rapide ; il a besoin que les choses soient pacifiées pour pouvoir s'expliquer. Bénéficiant de ce statut dérogatoire, les personnes exprimant leur haine en ligne ne sont jugées qu'au bout d'un an et demi.

Comme nous ne pouvions pas toucher à cette loi, pour les raisons que j'ai indiquées, nous avons modifié la procédure pénale pour réprimer les agissements des personnes qui ne sont pas journalistes. La définition du journaliste s'est alors posée, car on peut exercer cette profession sans être titulaire de la carte de presse. Nous avons trouvé une solution, qui a été validée par le Conseil d'État. Si la loi est votée, les petits voyous qui diffusent leurs infamies par internet à destination de leurs copains ou du monde entier pourront être présentés devant la juridiction correctionnelle en comparution immédiate, et non plus un an et demi à deux ans plus tard. C'est une modification qui, au-delà du symbole, présente une importance majeure. Je n'ai pas la prétention d'éradiquer la haine raciste mais je crois en l'exemplarité pour les jeunes. Un voyou chevronné se moque bien du caractère répressif d'un texte, car il est convaincu qu'il ne se fera jamais prendre et ne commet pas ses infractions avec un code pénal à la main, comme disait Badinter. En revanche, un gamin qui pense pouvoir raconter ses histoires en toute impunité saura que ce n'est plus possible.

J'ai demandé aux journalistes – avec qui nous avons mené un travail approfondi – de médiatiser les premières comparutions immédiates, sans toutefois dévoiler l'identité des plus jeunes prévenus. Il s'agit de marquer les esprits et de faire comprendre que ce genre d'infractions – dont on relève des centaines de déclinaisons quotidiennes – sont interdites.

Nous avons créé un pôle national, au sein du tribunal judiciaire de Paris, dédié à la haine en ligne – opérationnel depuis le 4 janvier – en complément de l'action de la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (PHAROS), qui relève du ministère de l'intérieur. Des magistrats y ont été affectés pour identifier et répertorier les propos haineux, et pour engager l'action publique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.