Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du mardi 12 janvier 2021 à 17h15
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux :

L'interdiction de paraître fait partie de ce que l'on appelle les alternatives aux poursuites. Cela permet au délégué du procureur, avec l'accord de son procureur, de choisir d'infliger une sanction qui n'est pas considérée comme une peine, au lieu de poursuivre et de saisir le juge du siège. Mais l'interdiction de paraître est compliquée en matière de racisme. Qu'est-ce que cela signifie ? Si vous êtes raciste à Pontoise, vous pouvez l'être à Bobigny. De la même façon, une interdiction de paraître sur les réseaux sociaux est très compliquée à mettre en œuvre.

Il y a aussi des stages de citoyenneté. Certains jeunes sont antisémites, mais ce n'est pas un antisémitisme pensé, réfléchi et structuré, comme celui du personnage que nous citions tout à l'heure et dont on ne va pas citer une deuxième fois le nom. Comme nous le disions avec le grand rabbin, ce qui manque en réalité, c'est la reconnaissance de l'altérité. Derrière le juif, il y a d'abord un homme. Quand, à l'occasion d'un stage de citoyenneté, un gamin rencontre un juif, quelque chose peut se passer, pour peu qu'il ne soit pas obtus et qu'il n'ait pas théorisé l'antisémitisme. Les juifs de France que j'ai rencontrés sont très entreprenants sur cette question et très favorables à ce stage de citoyenneté, avec ses explications, ses visites de lieux mémoriels. Cela fait partie des alternatives aux poursuites qu'il faut développer, parce que cela permet à un certain nombre de gamins qui ne savent pas ce qu'ils disent de le réaliser. De même, la comparution immédiate permet aussi de se rendre compte que l'on a commis une infraction. Il ne faut pas perdre de vue le but initial de pédagogie judiciaire : le rappel des règles.

Vous m'avez posé des questions auxquelles vous voudriez que j'apporte une réponse générale, alors qu'il s'agit en réalité d'une succession d'affaires ou de cas individuels tous différents. Bien sûr que les effets du testing sont variables ! Il y a des années, le bâtonnier de Lille m'a appelé pour que je prenne en stage un jeune homme, qui devait être embauché par des avocats, mais ne l'avait finalement pas été. Ce garçon venait d'Afrique noire. Il avait les diplômes permettant d'être avocat en France. Pourquoi ne l'avaient-ils pas pris ? Était-ce parce qu'il était noir ou parce que l'entretien d'embauche avait laissé deviner une éventuelle incompétence ? C'est infiniment compliqué de démontrer quoi que ce soit sur le terrain probatoire ! Il faut être très circonspect dans ce domaine, parce qu'on ne peut pas condamner sans preuve, et on ne peut pas démontrer la raison cachée qui a conduit un patron à refuser d'employer telle ou telle personne et qui niera être raciste.

Le testing, c'est la même chose : il donne parfois d'excellents résultats, parfois non. C'est ce que je vous disais en préambule : la grande difficulté, c'est de démontrer. Le droit pénal, quelle que soit la matière, ne peut pas s'exonérer de cette responsabilité de démontrer. Ce sont des règles que nous avons mis des millénaires à élaborer et sur lesquelles on ne peut pas transiger, même si on est parfois frustré, parce qu'on sent les choses, qu'on les pressent, les subodore, mais qu'on ne peut pas les démontrer.

Les juges prennent aussi en considération le contexte dans lequel cela intervient – le faisceau d'indices, qui permet de caractériser parfois une démonstration de culpabilité. Mais je ne veux surtout pas aller sur le terrain d'une règle générale qui deviendrait dérogatoire à la charge de la preuve telle qu'elle incombe au ministère public. De nombreuses affaires échappent à la répression, à défaut de pouvoir apporter une preuve concrète. Je le mesure, mais je ne vois pas comment faire autrement.

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