Madame la rapporteure, mes chers collègues, nous sommes réunis une dernière fois dans le cadre de la mission d'information de la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter. Celle-ci a été créée le 3 décembre 2019 mais ses travaux n'ont réellement débuté qu'en juin 2020. En préambule de la restitution des travaux de cette mission, qui prendra la forme d'une synthèse du rapport par madame la rapporteure, je tenais à rappeler l'ampleur du travail que nous avons réalisé, qui témoigne d'un investissement à la hauteur des enjeux que nous avons eu à traiter.
Nous avons souhaité entendre très largement l'ensemble des parties prenantes impliquées dans la lutte contre le racisme. Ainsi, 81 auditions ont été menées et leurs comptes rendus écrits figurent au rapport qui a été rédigé. Elles ont permis d'entendre plus de 180 personnes dont des universitaires, des grands spécialistes de différentes disciplines, des représentants d'associations, des acteurs de la société civile, des collectivités territoriales ou encore des personnalités. Tous ces interlocuteurs ont partagé avec la mission d'information leurs connaissances, leurs expériences (parfois très personnelles) et leur expertise pour enrichir sa réflexion. Avec madame Caroline Abadie, nous tenions à les remercier vivement pour leur investissement dans ces échanges. Nous pouvons nous féliciter du très grand dynamisme de la recherche universitaire, du monde associatif, mais aussi des sphères publiques et privées qui œuvrent à lutter contre le racisme. Nous avons également eu la chance d'avoir pu auditionner nombre de personnalités publiques inspirantes, telles que Monsieur Kofi Yamgnane ou Monsieur Jean-Pierre Chevènement.
Je souligne également l'implication des autorités et institutions publiques, des ministères et tout particulièrement des ministres Jean-Michel Blanquer, Éric Dupond-Moretti et Elisabeth Moreno, qui ont été auditionnés et ont témoigné de l'importance accordée aux questions posées par la mission d'information. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
Le regret que nous pouvons formuler au sujet de cette mission d'information est de ne pas avoir pu mener tous les déplacements que nous aurions souhaité réaliser (que ce soit en Europe ou à l'international) compte tenu de la crise sanitaire. Madame la rapporteure a néanmoins pu effectuer un déplacement à la Martinique pour entendre de nombreux acteurs des outre-mer sur le sujet qui nous intéresse. Nous avons aussi pu entendre par visioconférence Monsieur Jean-François Colombet (préfet de Mayotte) ainsi que des acteurs européens et britanniques de premier plan.
À l'issue de la présentation que Madame la rapporteure va effectuer, nous pourrons procéder aux échanges de vues et au vote relatif à l'autorisation de la publication du rapport établi, en application de l'article 145 de notre Règlement. Au moment d'évoquer ce rapport, je tiens à remercier l'équipe administrative qui nous a accompagnés pendant la durée de la mission et qui a œuvré pour restituer les propos tenus dans le cadre des auditions.
Avant de passer la parole à madame la rapporteure, je souhaite vous faire part des principaux éléments qui figurent dans mon avant-propos au rapport. Sans omettre les faits d'actualité qui – en France comme à l'étranger – sont venus entacher la réputation d'institutions (s'agissant de la police notamment) par les faits isolés de quelques-uns, notre mission s'est prémunie de la facilité de l'émotion et de la généralisation. Il se trouve que notre mission d'information a démarré ses travaux au moment du décès tragique de George Floyd aux États-Unis. Nous avons tout de même fait en sorte de nous départir de l'émotion médiatique liée à des faits d'actualité (même si elle est légitime) pour les remettre en perspective sans céder non plus à la tentation d'importer en France des débats qui sont propres à d'autres démocraties qui ont d'autres problèmes.
L'objectif de cette mission d'information était aussi de renouveler le discours de la lutte contre le racisme dans toutes ses dimensions pour en refaire une cause nationale. Le racisme est une question sur laquelle nous cédons parfois à la facilité et sur laquelle certains ont pu baisser les armes. Dans une société qui se dit de plus en plus tolérante, le fait est que les actes de haine racistes ou antisémites sont encore très nombreux et souvent violents. Il faut garder à l'esprit que la recherche du conflit, l'adrénaline guerrière ou la bêtise des préjugés blessent et tuent encore.
Pour faire face à ces actes, notre arsenal judiciaire est ancien et puissant, mais il n'en reste pas moins sous-mobilisé par les victimes et il semble encore mal adapté à la lutte contre la haine en ligne. Lorsque nous abordons les nouveaux enjeux liés à la lutte contre le racisme, nous ne pouvons passer sous silence le rôle des réseaux sociaux. Ce sont des espaces où se déchaîne chaque jour la haine raciste, entre suppliciés exposés en public et bourreaux qui bénéficient encore trop souvent de l'anonymat et de la latence avec laquelle la modération s'opère sur les réseaux sociaux.
Pour mieux endiguer le racisme que peuvent subir certains de nos concitoyens, la France doit en revenir urgemment à sa tradition universaliste. L'universalisme républicain est un principe issu de l'article premier de notre Constitution, qui souligne que la République est indivisible et qu'elle ne reconnaît pas autre chose que des êtres humains, quelles que soient les différences physiques ou culturelles. Cet universalisme républicain est un rempart face à l'importation de luttes, auxquelles une partie de nos concitoyens – particulièrement parmi les plus jeunes – sont sensibles. Ces nouveaux antagonismes que sont le décolonialisme ou le différentialisme cherchent à introduire une lecture ethnique et différentialiste de la société et essayent parfois de dresser les identités les unes contre les autres, en jouant sur des identités blessées par le passé ou par l'histoire. Nous devons regarder notre histoire en face pour aller dans le sens d'un renouvellement du discours de lutte contre le racisme et du rétablissement de notre idéal d'universalisme.
Il convient de s'assurer que les lois sont bien mises à exécution et qu'elles fonctionnent. Les deux piliers que sont l'universalisme et l'arsenal législatif ne peuvent pas fonctionner si nous ne donnons pas une direction et un horizon au travers d'un modèle républicain qui doit renouer avec sa promesse d'émancipation des individus, quelles que soient leurs origines et leur couleur de peau. À ce titre, il faut notamment renouveler le travail de mémoire, mais aussi mettre en œuvre des mesures très concrètes que présentera madame la rapporteure. Il ne faut pas laisser nos concitoyens qui n'ont pas eu les mêmes chances dans un statut de victimes, qui pourrait ensuite être exploité par d'autres individus qui cherchent à jouer sur les identités blessées pour mener un conflit civil à l'intérieur de notre pays. La mission d'information avait pour but d'explorer les différentes formes de racisme, dont de nouvelles qui peuvent venir des communautarismes qui, finalement, font du racisme « à l'envers ». C'est ce que nous avait d'ailleurs indiqué Monsieur Jean-Pierre Chevènement lors de son audition, en soulignant que « l'universalisme républicain ne s'accommode pas de ce renversement et qu'il faut combattre ceux qui veulent créer ce racisme à l'envers ».
La responsabilité des femmes et hommes politiques a été rappelée au cours de nos auditions. Ce travail parlementaire est aussi l'occasion de réaffirmer avec force et lucidité le combat commun des élus de la République contre les tentations toujours latentes d'entacher l'image de la France en faisant référence à un prétendu racisme d'État ou au fait que la laïcité serait un outil de domination, alors qu'elle est historiquement un outil de libération. En tant que femmes et hommes politiques de ce pays, nous nous devons de ne pas encourager les concurrences entre les mémoires et les revendications de droits supplémentaires au motif d'un passé, qu'il nous faut cependant regarder avec ses lumières mais aussi avec ses parts d'ombre, sans faire d'anachronisme.
La République doit à notre sens se montrer exemplaire dans la lutte contre les discriminations, dans l'accès aux services publics, à l'emploi ou encore au logement. Cette exemplarité est aussi portée par ceux qui maintiennent l'autorité publique et font fonctionner nos institutions judiciaires. Nous devons nous prémunir des erreurs d'appréciation et des comportements incompatibles avec l'égal traitement auquel chacun a le droit sur notre sol. Cette remobilisation contre toutes les formes de racisme dans une logique universaliste conduit à repenser les structures éducatives, nos services publics et les entreprises. Contre le racisme, nous devons mener un combat de tous les jours qui ne doit pas être relégué au rang de la fatalité.
Merci à tous les collègues qui ont participé aux auditions et à l'élaboration du rapport de cette mission d'information. Je cède la parole à Madame le rapporteure.