Intervention de Bertrand le Meur

Réunion du mercredi 21 juillet 2021 à 14h00
Mission d'information sur la résilience nationale

Bertrand le Meur, directeur pour la stratégie de défense, la prospective et la contre-prolifération à la direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des armées :

Les menaces et les risques se sont accrus ; c'est une certitude. L'environnement stratégique est de plus en plus tendu, qu'il s'agisse de la menace contre les intérêts français ou du durcissement de la compétition entre les puissances. Il y a cinq ans, on pouvait encore nourrir des espoirs quant au dialogue entre la Chine et les États-Unis, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. On a pu espérer que l'élection de Joe Biden apaiserait les tensions créées par le président Trump, mais la main reste de fer, même si elle est enveloppée dans un gant de velours.

Durant les trois ou quatre dernières années, les puissances régionales au Moyen-Orient et en Méditerranée se sont enhardies. L'effet d'entraînement est évident. Face aux ambitions manifestées par la Turquie, certains pays – l'Égypte, l'Arabie Saoudite, l'Iran – entrent dans une logique de renforcement. Parallèlement, l'ordre international et l'architecture de sécurité sont largement contestés. Le Conseil de sécurité des Nations unies devient le lieu de cristallisation des antagonismes entre Russes, Chinois, Américains et, dans une moindre mesure, Français et Anglais. Non seulement il ne produit plus grand-chose mais nombre d'organisations internationales qui avaient des objectifs diplomatiques sont moins présentes. D'où l'enhardissement de certains pays. La position de l'Iran vis-à-vis de l'Agence internationale de l'énergie atomique gêne tout le monde mais certains États, par stratégie, laissent faire. Quant aux signaux envoyés par les Russes dans le domaine de l'armement chimique, ils sont un vrai sujet de préoccupation. Les Russes persistent à remettre en cause la convention internationale qui a rassemblé le plus grand nombre de pays signataires. Ce qu'ils ont fait en 2018, puis en 2020, contre Alexeï Navalny a donné lieu à une guérilla procédurale et diplomatique au sein de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques. Cette stratégie hybride a conduit à la désinhibition de certains acteurs. Oui, le monde est beaucoup moins sûr et le contexte plus difficile.

De plus, nous sommes effectivement passés d'une logique de stock à une logique de flux ; or chaque flux, notamment le flux énergétique, est un point de fragilité. L'industrie de l'automobile se plaint de la pénurie de composants due à des priorisations fortes décidées par la Chine, qui contrôle les terres rares. Les menaces sont plus nombreuses et plus diffuses. Or une société qui ne dispose pas de stocks, dans laquelle les flux sont donc nombreux, doit prendre garde à ce qu'une faiblesse dans un domaine ne produise un effet papillon et n'entraîne une mégafaiblesse structurelle dans un autre domaine. Le monde offre beaucoup plus d'opportunités mais chaque opportunité s'accompagne d'un risque.

Je ne saurais pas vous dire si la société est moins résiliente qu'auparavant. Comment et sur quels paramètres mesurer la résilience ? Quels en seraient les indicateurs ? Je ne suis pas certain que l'on puisse établir une comparaison historique. La résilience présente une dimension sociétale importante : le système, la société, l'économie sont une chose, mais la manière dont les individus appréhendent cette question est tout aussi importante. Je ne sais pas comment nous pourrions prendre en compte toutes ces données pour comparer 2021 et 1914.

La résilience est-elle un moyen de dissuasion ? Peut-elle constituer un message envoyé à l'adversaire sur le seuil de résistance de résistance de la nation afin de le dissuader d'attaquer ? Je le pense, mais ce n'est pas suffisant. La nation en question doit en outre être capable de détecter et de désigner. Il est important de faire comprendre à un potentiel adversaire qu'on saura le détecter très tôt, qu'on est prêt à porter ses agissements sur la place publique et à prendre des mesures de plus en plus sévères. Ainsi, face à n'importe quel adversaire qui voudrait déstabiliser la France, non seulement nous devrions montrer que nous sommes résilients, c'est-à-dire que la société peut continuer à fonctionner, mais nous devrions aussi être capables de procéder à une attribution, éventuellement publique, c'est-à-dire prévenir l'adversaire que nous pourrions passer à un stade supérieur et déclencher une procédure d'une autre nature. La résilience peut, en effet, jouer un rôle dissuasif – mais j'use de ce terme avec précaution, car il est très connoté en France.

Quant au rôle du ministère des armées dans le traitement d'un risque ou d'une menace, intentionnelle ou non, sa mission principale est la défense « dure », celle qui fait intervenir des armes et des capacités dans lesquelles on investit massivement. Elle est donc d'abord de répondre à un phénomène intentionnel. Le ministère est configuré pour cela ; il s'y prépare, il s'équipe. Le risque non militaire relève davantage de la sécurité civile, dans une acception que je souhaiterais très large, étendue à tous les ministères. Cela étant, face à un événement non intentionnel auquel il aurait la capacité de réagir, qu'il s'agisse d'une catastrophe naturelle, sanitaire ou nucléaire, le ministère des armées doit intervenir, ne serait-ce qu'au titre de sa contribution interministérielle.

S'agissant du niveau de résilience de nos armées, il faut revenir à la notion de flux. Dans une logique d'optimisation et pour respecter les contrats opérationnels qui figurent dans le Livre blanc, le fonctionnement du ministère des armées s'appuie sur une logique de flux. En l'absence de référence à un contrat, le ministère est moins résilient qu'à l'époque de la guerre froide, où il disposait de stocks importants – masques, tenues NRBC, etc. Il n'y a pas de réponse dans l'absolu. Le ministère considère qu'il est résilient pour ce qui concerne les contrats opérationnels établis dans le cadre de la loi de programmation militaire.

Quant à savoir si nous serions capables de tenir une semaine ou un mois, je n'ai pas la réponse à cette question.

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