Intervention de Nicolas de Maistre

Réunion du jeudi 22 juillet 2021 à 9h00
Mission d'information sur la résilience nationale

Nicolas de Maistre, directeur de la protection et de la sécurité de l'État :

Si l'intitulé de ma direction peut sembler ambitieux, il faut le replacer dans le cadre de ce qu'est le SGDSN : une structure dont la vocation est de permettre au Premier ministre d'exercer ses compétences en matière de sécurité et de défense. Son champ d'intervention se limite à cela. Nous traitons de sujets tels que le SNU ou les réserves, nous traitons des problèmes de sécurité, mais sans sortir du champ qui nous est imparti.

Nous pouvons néanmoins conduire une réflexion plus large, car les menaces hybrides auxquelles nous sommes confrontés consistent à chercher sans relâche à affaiblir nos démocraties, en s'en prenant à leurs points faibles. Selon moi, elles s'efforcent pour l'essentiel à saper le crédit de nos dirigeants et de la parole publique en général. Nous sommes des sociétés libérales, fondées sur le crédit, du latin credo, « je crois ». Détruire la confiance dans la parole publique, c'est détruire nos démocraties. Il faut donc intervenir dans ce domaine. Le SGDSN a d'ailleurs milité pour la création de Viginum, afin de lutter contre les ingérences étrangères numériques visant à amoindrir ou à détruire la confiance des citoyens dans la République.

Chaque ministère mène par ailleurs, pour ce qui le concerne, sa propre réflexion sur la résilience. Il nous faudra donc engager des discussions avec les ministères pour réfléchir, secteur par secteur, sur ce qu'eux-mêmes considèrent comme le cœur de leurs activités critiques.

J'en viens à la question concernant la préparation au mode dégradé. Ce qui est certain, c'est que les sociétés modernes étant de plus en plus complexes, certaines entreprises peinent à identifier, dans leur périmètre, leurs points de faiblesse.

Nous devons donc nous poser deux questions. Comment préserver un fonctionnement dégradé accepté par la population et qui nous permette de rester debout ? Mais comment nous assurer aussi, si nous voulons rester performants, que nous ne basculons pas trop longtemps dans ce mode dégradé ? Sur ce point, il y a tout un travail à réaliser, notamment par le monde privé, mais aussi par l'État, pour réfléchir à des sujets aussi importants que l'externalisation de la logistique et de la maintenance, qu'il faudrait peut-être réexaminer. Ce travail doit conduire les acteurs à s'interroger sur la manière dont ils peuvent rester performants, sans pour autant générer de nombreux points de faiblesse.

En tout état de cause, nous ne pourrons pas simplifier le système à l'extrême et revenir à une situation où nous ferions tout nous-mêmes, en autonomie. Il faut donc mener en parallèle deux réflexions : d'une part, déterminer comment rester performants, donc complexes, tout en veillant à être capables d'assurer un suivi des points de faiblesse, par exemple en identifiant les matières premières que nous importons d'un seul pays ou les sous-traitants dont la défaillance pourrait bloquer le pays ; d'autre part, déterminer comment fonctionner si malheureusement la crise survient et touchela population – cette seconde réflexion relevant plutôt du SGDSN et des ministères.

S'agissant de la gouvernance du pays, je considère qu'elle fonctionne plutôt bien, parce que nous avons conservé une capacité de décision unifiée. Il ne faut pas croire que notre système, parce qu'il est très vertical ou perçu comme tel au niveau européen, est faible. Je constate, en prenant la mesure de la gestion des crises par les uns et par les autres, que nous n'avons pas globalement de leçons à recevoir même si nous pouvons toujours tirer des enseignements de ce que nos amis ont réussi.

Ce sur quoi nous pouvons peut-être nous interroger un peu plus en détail, c'est le renforcement de la capacité des territoires à gérer une crise. Quelle culture de crise pouvons-nous diffuser localement ? Comment les élus locaux prennent-ils cela en main ? Pendant la crise du covid-19, l'une des questions qu'il a fallu traiter était la bonne articulation de l'État et des conseils départementaux, notamment pour la gestion des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Sur certains points, nous pouvons améliorer la gestion locale. S'agissant de la gouvernance nationale, une circulaire publiée le 1er juillet 2019 fixe le continuum de la gestion de crise en France, assurée d'abord à l'échelon ministériel, puis par la cellule interministérielle de crise (CIC) lorsque le Premier ministre décide de la réunir, avec un ministre qui mène les opérations – celui de l'intérieur ou celui des affaires étrangères, classiquement, ou, dorénavant, tout ministre ou le directeur de cabinet du Premier ministre. Nous disposons donc une structure qui fonctionne.

À la question de savoir si nous pouvons conserver une approche binaire distinguant temps de guerre et temps de paix, la réponse est clairement non. Les stratégies hybrides consistent précisément à créer un régime de conflictualité distinct du temps de guerre. Nos démocraties doivent absolument se doter d'outils permettant d'assurer un continuum qui permette de glisser d'un état à l'autre par étapes, car notre dispositif est encore trop scindé entre temps de paix et temps de guerre.

Les gens qui, comme moi, ont connu la perspective d'une invasion soviétique et qui y ont été préparés, ont assisté au déclin de concepts tels que la résistance en profondeur et la gestion du temps pour freiner l'offensive ennemie. Toute une mécanique sur les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC), les stocks, les dispositifs en profondeur avait été conçue et mise en place. Tout cela a été considéré comme obsolète au début des années 1990, et progressivement abandonné. Cette pensée stratégique et opérationnelle revient au goût du jour. Même la réflexion sur la défense opérationnelle du territoire (DOT) est relancée, ainsi que celle sur les réserves, que nous devons globalement accroître.

Peut-on, dans le monde de demain, concevoir une armée nombreuse et professionnelle ? Je ne suis pas certain que nos sociétés soient budgétairement en mesure de le faire. Il nous faut accompagner la réflexion sur les réservistes et l'engagement citoyen afin de combler certaines lacunes et renforcer les armées, lesquelles disposent par ailleurs d'outils juridiques très intéressants. Par exemple, en matière de logistique, je pense qu'elles peuvent beaucoup apporter à l'État.

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