Parallèlement aux recherches de notre équipe sur le diagnostic et la gestion des risques, notre université propose, depuis 2004, un master de gestion des catastrophes et des risques naturels. Plutôt que de partir du danger ou de l'aléa, notre approche se fonde sur des retours d'expérience, à propos notamment du cyclone Irma, de la tempête Xynthia, de canicules et d'inondations, afin d'en quantifier les impacts et de mettre en évidence nos vulnérabilités.
La résilience fait partie des concepts théoriquement cohérents développés par la géographie des risques. J'en partage la définition donnée par M. Keller. Plutôt que de supprimer les risques, elle apprend à y faire face.
Les impacts, des inondations par exemple, tels que le reflète le nombre de leurs victimes rapporté à celui de la population, tendent historiquement à diminuer dans les pays riches, grâce à des politiques de prévention mais surtout en raison d'évolutions plus générales, dont la meilleure résistance des bâtiments, grâce au béton armé, associée à une plus grande fiabilité des prévisions météorologiques.
Les vulnérabilités connaissent en fait des mutations. Les décès liés aux inondations résultent à présent surtout des transports et des déplacements. La canicule de 2003, à l'origine de 15 000 décès en France et 30 000 en Europe, a touché une population vieillissante dans un contexte de fragilité du système hospitalier et de crise des urgences. Si celle de 1976 s'est traduite par une surmortalité de 6 000 décès, on était surtout focalisé à l'époque sur l'agriculture, alors en rapide mutation dans un contexte d'endettement. Un « « impôt sécheresse » a ainsi été décidé. On le voit, un même aléa a des conséquences différentes selon le contexte.
Je m'interroge sur le sens à donner au concept de résilience nationale. Faut-il entendre par là la résilience de l'État, ou celle de la nation ? Auquel cas, comment définir celle-ci ? De mon point de vue, la résilience est par définition multiscalaire et territoriale. J'estime résilient un territoire capable de mobiliser des ressources à plusieurs échelles : à son propre niveau mais aussi à celui du pays auquel il appartient, sans oublier le plan international.
La résilience se rattache à un problème de cohésion. Son développement implique avant tout des représentations mentales partagées et détaillées des impacts et des solutions envisageables, telles, en cas d'inondations, que la localisation de zones submersibles, la connaissance des caractéristiques de leurs constructions, de leurs habitants et des possibilités de relogement de ceux-ci. À titre d'exemple, la tempête Xynthia n'a pas pris au dépourvu les Anglais et les Hollandais, puisqu'ils disposaient notamment, suite à la forte tempête de 1953, de modèles de calcul de la mortalité en zones submersibles.
La mise en place de représentations mentales communes, préalable indispensable à l'accroissement de la résilience, se heurte à la question de la contrainte. Si l'on en croit Jean Monnet, « les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité, et ne voient la nécessité que dans la crise ». Autrement dit, nous ne nous préparons qu'à ce que nous avons déjà expérimenté, ce qui se révèle en soi problématique. Qu'adviendrait-il en cas d'accident nucléaire dans notre pays jusqu'ici épargné par ce type de catastrophes, si par exemple un dysfonctionnement touchait la centrale du Bugey ?
Se pose en outre la question de la gestion et de son pilotage : qui gère les risques, qui gère les crises ? De nombreux discours dénoncent une pléthore d'acteurs à l'origine d'une grande confusion. Les questions d'eau, de climat ou encore de santé, impliquent fatalement, par leur nature transversale, une multiplicité de parties prenantes. Une enquête que nous avons réalisée il y a une dizaine d'années auprès des services de gestion de crise a montré que, pour eux, le principal facteur de réussite d'une gestion de crise est la connaissance mutuelle des acteurs, d'où l'intérêt des exercices.
Au nom de l'égalité des citoyens devant la loi, l'État privilégie une approche normative et cherche à imposer des mesures à l'ensemble de la population. Il en résulte des contradictions permanentes, comme l'a illustré la crise sanitaire. Une réflexion doit porter sur un changement du rôle de l'État. En tant que membre de la mission Pompili sur la modernisation de la culture du risque, j'ai eu l'occasion de dénoncer cette volonté de l'État de tout organiser.
À titre d'exemple, les ministères de notre pays adressent chaque année aux préfets des Antilles des instructions en vue de l'organisation d'une journée nationale de prévention des risques. Or, à côté de cela se déroule tous les ans un exercice de préparation au tsunami intitulé CaribeWave sous l'égide de l'UNESCO. Une plateforme, tsunamizone.org, permet aux particuliers ou aux institutions de s'y inscrire avant de leur soumettre des scénarios possibles, de les informer sur les réflexes à acquérir et de leur proposer des exercices à réaliser. En somme, elle met à disposition des outils plus qu'elle n'organise quoi que ce soit, ce qui m'apparaît préférable à nos pratiques jacobines.