Il me paraît nécessaire de dissiper un léger malentendu. D'abord, le concept de résilience nationale – fort peu utilisé par les experts de la résilience qui lui préfèrent la résilience territoriale, à l'échelle d'un simple bassin de vie – reste à définir. La résilience d'un pays ne s'évalue pas en ajoutant les unes aux autres la résilience des territoires qui le composent, de même que la résilience collective n'équivaut pas à une somme de résiliences individuelles.
La résilience s'avère particulièrement pertinente face aux risques systémiques. Vis-à-vis d'autres risques, elle ne constitue, bien organisée, qu'un atout supplémentaire, à condition d'éviter sa récupération politique. L'action du gouvernement japonais qu'évoque M. Ribault ne mérite pas, à mon sens, le qualificatif de résilience. M. Ribault ne décrit qu'une utilisation très particulière et très culturellement orientée de ce terme.
Le concept de résilience, généralement employé à mauvais escient, sert trop souvent à justifier le maintien de l'ordre établi alors qu'elle ne saurait aller en ce sens, comme l'indiquent d'ailleurs les travaux d'experts. Une approche classique des risques, climatiques ou terroristes, par exemple, peut se compléter par la résilience, lorsque celle-ci amène les populations à prendre part à la gestion des crises. Cependant, la résilience ne prend véritablement d'intérêt qu'en cas de crise hors cadre.
Distinguons bien les crises classiques, connues, dont il est possible d'évaluer la probabilité et les effets de manière à les anticiper, des crises dépassant largement les prévisions, soit qu'elles se propagent à travers le système en déclenchant une multiplicité de crises concomitantes, soit que la vitesse même de leur progression rende inopérants les dispositifs de gestion de crise habituels. Une crise prévisible, quelle que soit sa gravité, ne justifie pas forcément de mobiliser notre résilience. Autrement dit, une crise hors cadre ne se définit pas par son degré de sévérité.
Les anglophones distinguent bien resilience et preparedness, le fait d'être préparé à un événement. Les attaques intentionnelles relèvent moins de la résilience que d'une approche classique de prise en compte des risques. L'armée se prépare en tout cas à l'éventualité d'engagements majeurs et de conflits de haute intensité, y compris sur notre territoire, avant 2030.
Pour répondre à une autre question de M. le rapporteur, la France apparaît globalement bien moins résiliente aujourd'hui que quelques décennies plus tôt, du fait de certains risques nouveaux, comme les cyberattaques ou la résistance aux antibiotiques, mais surtout parce que notre volonté de tout optimiser en vue de profits immédiats nous a fragilisés. Le fonctionnement de notre système à la complexité accrue par une spécialisation des tâches et une multiplication des interactions requiert plus d'énergie, ce qui le rend plus vulnérable à la moindre rupture d'approvisionnement.
Les scénarios de remise en service d'un réseau touché par un incident partent tous du présupposé que les autres infrastructures continueront pendant ce temps de fonctionner, ce qui ne sera pas forcément le cas dans l'hypothèse d'une crise systémique.
La pandémie a conduit à un manque de disponibilité des semi-conducteurs qui met en difficulté les constructeurs automobiles. Parmi eux, Toyota s'en sort le mieux, car cette entreprise, pourtant connue pour gérer sa production selon la méthode du « juste-à-temps », n'a pas renoncé aux stocks dans leur ensemble mais seulement à ceux qu'elle n'estimait pas utiles.
Notre désindustrialisation s'est traduite par la perte de compétences clés et une dépendance accrue vis-à-vis de l'étranger. La population augmente alors qu'y diminue la part de nos concitoyens capables de prendre en charge leurs propres besoins élémentaires – et donc alimentaires. Notre système agricole en lutte contre la nature ne cesse de dégrader notre environnement. Je ne m'attarderai pas sur la catastrophe écologique en cours. Qui plus est, nous avons développé une intolérance aux frustrations, tandis que la conscience des risques s'efface de notre mémoire collective. Les pénuries sont censées appartenir au passé. La France produit moins d'1 % du pétrole dont elle ne peut pourtant pratiquement pas se passer. Pour ne rien arranger, nous ne respectons pas toujours le principe de précaution.
La crise sanitaire a pris les proportions dont nous avons été témoins dans notre pays en raison notamment du démantèlement de l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) chargé de gérer ce type de catastrophe, et de la suppression des stocks de masques, laissant leur approvisionnement à la charge des hôpitaux par ailleurs en stress financier. Ce « je-m'en-foutisme » vis-à-vis des risques, tant que la crise n'éclate pas, pose un grave problème.
Les complotistes ne sauraient être assimilés aux survivalistes, qui eux-mêmes n'ont rien à voir avec les collapsologues.
Les théories complotistes se propagent à la faveur d'un défaut d'esprit critique et d'un manque de culture scientifique parmi la population. D'une manière générale, il semblerait que désormais tout soit question d'avis personnel dans notre société.
Raphaël Stevens et Pablo Servigne définissent la collapsologie dans leur livre Comment tout peut s'effondrer, paru en 2015, comme le champ disciplinaire qui s'intéresse aux risques d'effondrement. Je me compte donc au nombre des collapsologues, bien que de nombreux amateurs se réclament de ce titre, de même que des extrémistes enclins aux récupérations politiques ou aux dérives mystiques new age. Ce qualificatif y perd une part de son sens. Les experts ne s'accordent pas moins à prédire, sur des bases scientifiques, une baisse considérable de l'énergie disponible au cours des prochaines décennies. Faute de s'y préparer, nous assisterons à des désorganisations singulièrement préoccupantes de nos sociétés.
Le survivalisme, qu'il revête une forme extrême et armée ou se présente sous des dehors gauchistes bon enfant, reste un individualisme, loin, donc, de créer la résilience générale comme je le prône.