Intervention de Thierry Ribault

Réunion du jeudi 22 juillet 2021 à 10h40
Mission d'information sur la résilience nationale

Thierry Ribault, chercheur au CNRS :

À l'évidence. La culture de la préparation, légendaire et millénaire, du Japon n'a pas empêché le raz-de-marée de 2011 et la catastrophe nucléaire de Fukushima qui s'en est suivie de prendre le pays au dépourvu. Des ordres contradictoires ont été donnés, dans des écoles par exemple, paralysant l'action au prix de nombreuses vies. Et les vagues de 2011 submergeraient encore largement la « grande muraille » anti-tsunamis de 400 km de long construire sur la côte depuis lors.

Surtout, ni la préparation ni la résilience ne justifient l'économie d'un travail sur les causes profondes des catastrophes, liées à la technologie de nos sociétés industrielles. L'URSS à l'époque de Tchernobyl était bien une société industrielle. Le néolibéralisme n'est pas le seul à brandir la notion de résilience, puisqu'elle se rattache au capitalisme technologique qui s'est imposé en Chine.

La résilience reste une arme d'adaptation massive. Je n'irai pas jusqu'à me classer parmi la catégorie des lanceurs d'alerte. Rappelons tout de même que le recours à la résilience réduit la marge de manœuvre à notre disposition pour faire face aux désastres. Chacun en propose une acception colorée par ses propres opinions politiques en évitant toute remise en cause fondamentale, ce qui la rend éminemment dangereuse.

La résilience mise sur l'engagement des populations. Celui-ci revêt éventuellement, en cas de gros temps, la forme d'une nationalisation du peuple et dissuade les populations d'exprimer leur rage face à l'impuissance des politiques devant les catastrophes. Nous comprenons mieux, dès lors, le goût immodéré de ces mêmes politiques pour la résilience.

La résilience m'apparaît à la fois comme un discours tenu sur la technologie et une technologie du consentement. Il s'agit d'amener les populations à consentir à la technologie par la technologie À Fukushima, la résilience a amené les victimes de l'accident nucléaire à consentir à l'énergie nucléaire, dont il est certes toujours possible de discuter les mérites. Elle rend les nuisances incontournables. Elle convainc de la nécessité de vivre avec les conséquences des désastres.

Elle oblige enfin à participer à la gestion des dégâts, ce qui tend à déresponsabiliser les responsables en plaçant en première ligne les personnes sur le terrain. Elle nous pousse à l'ignorance, à ne plus nous sentir affectés par ce qui nous concerne pourtant, à savoir notre santé et notre désir de vérité. Elle incite à l'expérimentation de nouvelles conditions de survie induites par les désastres.

Après la collapsologie que je qualifie « de caserne », voici donc son frère jumeau, la résilience, sorte de nouvel esprit du catastrophisme, comme il a été question d'un nouvel esprit du capitalisme dans les années 1990. Les programmes d'accommodement qui en découlent amènent à croire que l'initiative locale, voire privée, et la perspicacité psychologique – la révision des « récits », etc. – nous rendront en mesure de maîtriser les conditions objectives de la catastrophe.

Les réponses aux désastres sont de plus en plus appréhendées comme dans une grande surface de bricolage. Les sites de certaines collectivités françaises évoquent ainsi un « kit de résilience territoriale ». Le cœur doctrinal, c'est le do it yourself. Chacun finit par se convaincre qu'il vit avec le désastre par choix et procède à ses emplettes de survie de manière individuelle.

La résilience relève d'une idéologie. Elle élabore des justifications et de bonnes raisons de tirer parti du pire. Selon sa logique, rien n'est à craindre, pourvu que l'on s'adapte. La privatisation du risque conduit à une intériorisation du danger. La résilience attribue un pouvoir à chacun, y compris à ceux qui en sont en réalité dépourvus. Au nom de la responsabilisation et de la prise en main autonome de son destin, la culture du risque exhorte chacun à faire son mea culpa, à défaut de critiquer les conditions ayant conduit au désastre. Or seule une analyse critique des causes des catastrophes nous fournira un moyen valable de les éviter.

Il faut cesser de faire du désastre le pendant inéluctable du progrès et en finir avec le mythe d'un malheur vertueux empêchant dans la pratique toute possibilité de s'opposer au malheur.

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