Je ne remets pas en cause l'utilité de la résilience. Simplement, elle ne me paraît pas absolument indispensable, même s'il est préférable de pouvoir s'appuyer sur elle. Reste à définir son champ d'application.
Nous devrions surtout nous préoccuper de la résilience des systèmes socio-écologiques, à savoir des populations et de leurs infrastructures en lien avec leur environnement, sur un territoire donné. Au cours des prochaines années pèseront sur ces systèmes des risques liés non plus à des événements mais à des processus.
L'anticipation des risques classique nous permet de réagir à des événements limités dans l'espace et le temps, même en l'absence de résilience. En revanche, rien n'est prévu pour gérer les pénuries systémiques de ressources aussi stratégiques pour la France que le pétrole, alors même qu'elles ne manqueront pas de se produire. Renforcer la résilience de nos infrastructures, de notre système de défense ou de nos armées ne suffira pas à rendre notre nation résiliente. Mais je reconnais bien volontiers que, lors de la catastrophe sanitaire, un certain nombre de Français ont fait preuve d'une résilience spontanée qui a permis d'éviter des situations terribles.
En Israël, des centres de résilience communautaire enseignent aux habitants des savoir-faire pour mieux gérer les crises, encore que le cas d'Israël soit particulier, puisque ce pays se trouve confronté à des crises plus ou moins en permanence. Depuis que ces centres ont vu le jour, le taux de syndromes de stress post-traumatique observé parmi la population a considérablement diminué.
Toutefois, chaque pays envisage la résilience à sa manière, sous le prisme de sa culture. Ce que dénonce M. Ribault m'apparaît plus comme une critique de la culture nippone que de la résilience en tant que telle. Celle, collective, que prône Rob Hopkins en Angleterre prépare, par la permaculture et le low-tech, à l'ère qui suivra le recours généralisé au pétrole.
La résilience est un besoin absolu face aux risques systémiques qui provoqueront des crises hors cadre, dont certaines ne prendront jamais fin. L'anticipation traditionnelle des risques ne fonctionne pas de ce point de vue, faute d'outils adaptés. Les modélisateurs de risques ne sont capables que de prévoir des événements à la survenue plus ou moins probable.
La probabilité croît, par ailleurs, du dérèglement de nombreux systèmes. Nos infrastructures vulnérables se dégradent, or il ne sera possible de les réparer que jusqu'à un certain point. J'ai lu, voici quelques années, que 60 000 ponts et 70 000 barrages devaient être refaits aux États-Unis. Toutefois, les moyens manquent. Joe Biden propose de consacrer 2 300 milliards de dollars aux infrastructures. Or cette somme monstrueuse ne correspond qu'à la moitié de ce que les experts jugeaient nécessaire au simple entretien des infrastructures défaillantes. Dans certains États américains, on détruit routes et ponts, trop chers à entretenir, pour en revenir à la piste ! Il est vrai également qu'il est beaucoup moins valorisant de maintenir les infrastructures que d'en construire de nouvelles. Cette fuite en avant provoquera inéluctablement le délitement des infrastructures.
En résumé, toutes les crises ne peuvent pas être gérées sans résilience. Celle-ci prend tout son sens en cas de crise imprévue ou que nous nous révélons incapables de gérer. Tout est alors question de culture, de cohésion sociale, de confiance des uns envers les autres. Pour l'heure, les formations aux premiers secours ou la capacité d'assurer notre autonomie alimentaire restent largement négligées. Les principaux enjeux portent sur ce que nous n'anticipons pas et donc sur les événements qui nous prendront au dépourvu.
Nul ne prend au sérieux en France aujourd'hui les risques de rupture d'approvisionnement alimentaire, pourtant bien réels. Seuls les plans ORSEC les anticipent. Cependant, ils prévoient une réquisition des grandes surfaces, alors que les problèmes viendront sûrement d'autres éléments de la chaîne. En somme, nos dispositifs actuels se révéleraient inopérants en cas de difficulté réelle.