Intervention de Gurvan Le Bras

Réunion du mardi 14 septembre 2021 à 14h30
Mission d'information sur la résilience nationale

Gurvan Le Bras, directeur adjoint du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (ministère de l'Europe et des affaires étrangères) :

Je vous remercie d'inviter le CAPS et, à travers lui, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

Le Centre d'analyse, de prévision et de stratégie, créé en 1973, est un service du quai d'Orsay directement rattaché au ministre. Composé d'une quinzaine de chargés de missions, il a pour vocation de couvrir l'ensemble des sujets d'intérêt pour le ministère. Selon les termes de Michel Jobert, qui avait présidé à la création du CAPS, la mission des équipes est de « dissiper le brouillard stratégique » par une analyse visant à mieux comprendre les grandes dynamiques et les rapports de force des relations internationales, par une prévision dans la mesure du possible et par l'établissement d'une stratégie via une contribution au cœur de métier du ministère : la production de recommandations et d'options politiques aussi informées que possible pour nos autorités politiques.

Pour le sujet qui nous occupe aujourd'hui, l'apport du CAPS pourra être de restituer l'évolution des débats internationaux. Mon intervention portera notamment sur la manière dont le terme « résilience » s'est imposé plus ou moins récemment comme une modalité d'action nécessaire, mais aussi relativement floue et sans doute insuffisante.

Je précise que le point de vue du CAPS n'est pas celui du ministère, mais de l'un de ses services qui aborde un angle particulier du sujet.

Il n'existe pas d'acception unique et consensuelle à l'échelle internationale, ou même au sein du ministère, du terme « résilience ». A contrario, il existe plutôt une polysémie du terme selon les sujets et les enceintes dans lesquelles il est évoqué.

La mobilisation autour du mot d'ordre de la résilience est sans aucun doute nécessaire sur un certain nombre de sujets. Elle l'est notamment dans le contexte postpandémique, qui a mis en évidence les vulnérabilités liées aux interdépendances caractérisant le système international dans lequel la France s'insère. Parmi les exemples très concrets, je citerai ceux des principes actifs utilisés dans l'industrie pharmaceutique, des semi-conducteurs, mais aussi des migrations. Sur ces sujets, le terme s'impose comme légitime, car il met en évidence la nécessité d'utiliser l'arrière-plan « technique » de la définition de la résilience, à savoir la capacité de connexion en réseau, d'absorption des chocs, et in fine, de gestion des interdépendances.

Je daterais l'apparition du terme dans le débat international de politique étrangère à la crise financière de 2008. Il est apparu en effet que le système financier international est adapté à des chocs d'ampleur réduite ou localisés, mais n'est pas résistant – ou résilient – à un choc systémique. Pour ces raisons, le système financier international mérite sans doute une réforme. En ce sens, il est nécessaire d'aller plus loin que la notion de résilience dans l'analyse, le discours et la conception des politiques étrangères ou l'action de l'État à l'étranger.

À partir de ce premier usage lié à l'analyse de l'ordre international, nous avons assisté à une extension assez forte vers d'autres contextes que celui de l'action en réseau. Le terme a été rapidement utilisé dans des propositions de politiques étrangères plus larges. Son usage s'est éloigné des définitions initiales hors du champ de la diplomatie, et on a souvent le sentiment de l'utiliser comme un « plus petit dénominateur commun ». Récemment, il a servi de support aux travaux de la boussole stratégique du service européen pour l'action extérieure (SEAE), de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur le thème Strengthening economic resilience following the COVID-19 crisis, mais également de la Commission européenne, via ses programmes de coopération axée sur la résilience.

Les discussions avec les différents partenaires montrent que chacun place la résilience sur un terrain différent : construction d'institutions démocratiques, questions cyber, etc. La question est moins de savoir si l'un de ces champs est plus ou moins légitime pour y parler de résilience, que de constater l'absence d'unité sur la définition du mot.

Pour comprendre comment l'acception traditionnelle du terme a évolué pour occuper un champ plus large de la réflexion stratégique dans les institutions européennes et internationales, nous devons traiter de l'évaluation des menaces. La résilience doit être définie comme une réponse de sociétés ou d'États soumis à des ruptures ou à des chocs, en partant de l'idée qu'ils le sont davantage qu'auparavant, et que nos protections, notre assurance et notre dissuasion sont moins efficaces et font à présent l'objet d'attaques plus systématiques.

La « brutalisation » du monde est en partie vraie, mais d'autres paramètres doivent faire partie de l'équation : la capacité d'action, qui renvoie à l'autonomie stratégique et à la souveraineté européenne, et les doutes sur notre capacité à prendre en charge la sécurité et la stabilité dans notre environnement stratégique. À ce titre, le retrait d'Afghanistan, qui clôt un cycle de vingt ans de guerre contre le terrorisme, ouvre un débat sur les modalités de l'action internationale et sur la capacité non pas tant à faire la guerre qu'à faire la paix. Le sujet n'est plus la résilience, mais la capacité à projeter de la stabilité et, ce faisant, à éloigner la menace d'une instabilité ou d'un choc.

Je vois qu'il est temps de conclure. Il faut dépasser une approche uniquement dirigée sur l'évaluation et la lutte contre les menaces, et sans doute être plus proactif, penser en termes de réponses optimales dans la politique étrangère et les relations internationales. En effet, il est plus difficile de mobiliser des moyens face à une menace hypothétique que face à une menace avérée. À titre d'exemple, les mesures et ressources pour faire face à la menace dans le Sahel de 2007 étaient sans commune mesure avec les moyens mis en œuvre six ans après pour répondre à la menace djihadiste avérée. Pour autant, face à l'évidence de l'urgence, il a été plus facile de mobiliser ces moyens.

La question est donc celle du niveau d'ambition dans lequel on se place. Dans ce cadre, la résilience ne peut être l'unique manière d'aborder les questions de coopération internationale et de capacité à créer des structures et institutions qui organisent une réponse collective face aux chocs, préviennent les dérives de certains acteurs et mettent en place des règles visant à éviter ou contenir les ruptures et les chocs.

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