Intervention de Gurvan Le Bras

Réunion du mardi 14 septembre 2021 à 14h30
Mission d'information sur la résilience nationale

Gurvan Le Bras, directeur adjoint du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (ministère de l'Europe et des affaires étrangères) :

L'évaluation des menaces et risques dans dix, vingt ou trente ans est un travail très ambitieux qui demanderait un temps conséquent s'il était conduit au sein du ministère. Je ne peux donc qu'essayer de vous expliquer la vision du CAPS. La réponse serait sans doute différente si vous interrogiez d'autres services ou administrations de l'État.

Le président Pompidou avait demandé au ministre Michel Jobert de créer le CAPS à la lumière de deux événements justifiant de « dissiper le brouillard stratégique ». Le premier est la guerre israélo-arabe de 1967. Il s'agissait du premier événement ayant un impact sur les intérêts stratégiques de la France sans que celle-ci n'ait aucune part à son surgissement et guère de prises pour le prévenir. La « direction générale des affaires du monde » n'était plus dans la main des pays occidentaux.

Cette situation reste d'actualité. Le contexte géopolitique actuel est marqué par un désinvestissement des États-Unis dans un certain nombre d'enjeux et de garanties de sécurité qu'ils avaient jusqu'alors assuré de façon à maintenir l'adhésion de leurs alliés au système international. En réponse, des puissances moyennes, elles-mêmes à la recherche de garanties, – éventuellement offensives – se sont engouffrées dans ce vide stratégique pour essayer de conquérir un certain nombre de positions.

Le second évènement est la montée en puissance de la Chine, qui entend tirer parti de cette recomposition stratégique et déployer un programme à long terme d'hégémonie mondiale, ou du moins de prééminence, et jouer le rôle de superpuissance aux côtés des États‑Unis.

Dans ce contexte, les stabilités ne sont plus si évidentes et les chocs s'affirment plus nettement à l'encontre des pays occidentaux. Le ministre Jean-Yves Le Drian le résume dans sa formule de « brutalisation des relations internationales » : ce qui était exclu de la conduite des relations entre les États et au sein des institutions internationales en termes d'usages et de registre d'actions est désormais rendu possible et acceptable par l'absence de sanctions, l'affaiblissement de la règle collective et la remise en cause de l'exemplarité des autres. Ainsi, l'idéal type n'aura duré que le temps de la pacification des relations internationales à la fin de la Guerre froide.

Nous sommes par conséquent face à un monde plus incertain et plus brutal.

Le registre de la brutalité n'est pas le seul pertinent pour décrire les relations internationales. Toutefois, l'un des biais de la notion de résilience est de nous amener rapidement sur le registre du choc et de la brutalité.

À l'avenir, il sera plus difficile de compter sur les « cordes de rappel » multilatérales et sur une capacité occidentale ou européenne d'influence et de dissuasion face à des dangers ou pressions qui s'exerceront sur nous, et qui seront de tous ordres, liés à des bouleversements globaux tels que le changement climatique, l'augmentation du risque pandémique, ou à des mouvements de populations.

Par effet de ciseau, les problèmes à résoudre sont de plus en plus nombreux, alors que la coopération pour limiter les effets des menaces est de moins en moins forte. L'exposition de notre pays et de notre continent à une forme de brutalité des relations internationales est donc probablement beaucoup plus élevée. Nous sommes désormais dans une logique d'effet cumulatif des menaces.

Au sein de l'État, le CAPS mène un travail interne d'alerte précoce. Il n'est pas le seul, certains services disposant de plus de moyens et de scientificité. Le CAPS oriente principalement son travail autour des « signaux noirs », événements dont la réalisation est peu probable, mais dont les conséquences seraient majeures pour les intérêts de la France. Il convient par conséquent de s'y préparer. Il s'agit d'étudier la possibilité de réalisation de scénarios inexplorés et face auxquels nous nous trouverions dans une situation d'impréparation par une conjonction de facteurs défavorables qui aboutirait à une mise en cause directe de nos intérêts. Dans ce cas, nous serions amenés à gérer dans l'urgence une situation non anticipée.

La logique qui prévaut est la planification : le CAPS effectue des exercices d'alerte précoce tous les six mois. Un exercice est considéré comme réussi, non pas lorsque la catastrophe s'est réalisée, mais lorsqu'il a suscité un travail de préparation par les services du quai d'Orsay ou autres.

En synthèse, les constatations du CAPS doivent servir à la préparation d'une politique visant à prévenir, à s'adapter et à convaincre. Lorsque l'on se place dans le registre de la résilience, la capacité à convaincre est aussi importante que la capacité à identifier des vulnérabilités ou des faiblesses : convaincre que l'on se trouve face à une nécessité absolue d'engager des coûts spécifiques sur telle ou telle menace. Plus largement, il est important de faire partager notre vision du monde à nos partenaires, et notre perception des risques et des bénéfices.

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